« Le FN est toujours un parti d’extrême droite »
Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite en Europe, explique à TF1 News pourquoi la "normalisation" entamée par la fille du dirigeant historique ne permet pas encore au parti de sortir de sa famille d’origine. Jean-Yves Camus est politologue, chercheur associé à l’Institut des relations internationales stratégiques (Iris) et spécialiste des nationalismes et extrémismes en Europe.
On s’accorde sur un noyau dur de quelques idées présentes dans tous les pays, quelle que soit la formation : le populisme et l’opposition aux élites, l’opposition à toute forme de supranationalité (cela peut être l’Union européenne ou l’Onu), la focalisation sur les thèmes de l’identité nationale et de l’immigration et enfin l’opposition au multiculturalisme, perçu comme une modification substantielle de l’identité européenne s’il concerne un autre continent ou un autre groupe supraculturel.
Il faut cependant remarquer que les partis européens d’extrême droite sont marqués par des conjonctions, des histoires et des traditions nationales très différentes. Par exemple, quand des ultranationalistes tchèques se retrouvent face à des ultranationalistes allemands, beaucoup de contentieux possibles remontent et il leur est impossible de s’entendre. Idem entre Serbes et Croates. Cela explique qu’il n’y a jamais eu et qu’il n’y aura jamais de Front européen des formations d’extrême droite.
Oui. Le Front national d’origine s’inscrivait incontestablement dans l’extrême droite, avec notamment, outre les idées que nous venons d’aborder, une récurrence des références à l’Occupation et aux guerres coloniales. Depuis, le temps a fait son œuvre. Les vieux cadres du parti sont morts et l’idéologie qu’ils portaient s’est estompée.
Aujourd’hui, Marine Le Pen ne fait plus de la Seconde Guerre Mondiale et des guerres coloniales un thème de campagne. C’est d’ailleurs du simple bon sens sociologique : de moins de moins de personnes sont figées dessus. Le FN serait un parti nostalgique sans prise sur les électeurs s’il continuait à aborder ces problèmes. Seuls quelques jeunes, noyau dur réduit de militants et d’idéologues appartenant à l’extrême droite de toujours, s’y intéressent. Certes, c’est important pour la vie interne du parti. Mais cela ne permet pas d’augmenter son socle électoral de base (entre quatre et cinq millions d’électeurs).
Oui, incontestablement. Avec cependant un gros bémol. Si le FN venait à se normaliser complètement, il perdrait alors ce qui fait son attractivité pour la majorité de ses électeurs. Ceux-ci le perçoivent comme un parti hors système opposé aux élites. Aujourd’hui, le FN se retrouve donc face à une double contrainte : trouver un accord avec la droite parlementaire (ce qui ne dépend pas de lui) mais sans devenir une formation comme les autres. Si Marine Le Pen s’exprimait comme l’UMP, personne n’aurait intérêt à voter pour elle. C’est d’ailleurs encore loin d’être le cas.
Si le mode d’expression a évolué avec la fin des dérapages commis par son père (qui, pour moi, n’en étaient pas) et avec une légère inflexion du programme économique, le noyau dur de l’idéologie d’extrême droite reste présent : opposition aux élites et aux partis politiques établis et affirmation de la préférence nationale, ligne blanche qui sépare la droite du FN. La persistance de ces critères démontre que le FN n’est pas encore sorti de son cadre idéologique d’origine. Il ne faut donc pas prendre l’évolution lancée par Marine Le Pen comme une normalisation totale.
Si Alliance nationale est en effet devenue un parti clairement démocratique avant de se dissoudre dans le cartel des droites de Silvio Berlusconi, certains proches de Gianfranco Fini, opposés à cette stratégie, sont partis. Ce n’est donc pas si simple que cela en a l’air. Surtout, il faut se remettre dans le contexte de l’Italie de la première moitié des années 1990. La Démocratie chrétienne, la formation du centre-droit et de la droite, qui avait gouverné le pays depuis 1945, a tout d’abord implosé en raison des affaires de corruption. Elle a ensuite totalement disparu.
L’espoir pour Marine Le Pen, c’est donc que l’UMP implose également. Tout dépendra de la présidentielle de 2012. Si Nicolas Sarkozy est réélu, il n’aura pas besoin d’alliance avec le FN car il n’a rien en commun avec lui -ce n’est pas sa tradition politique. En revanche, s’il est battu, la période qui séparera la présidentielle du second tour des législatives sera cruciale. Elle impliquera une recomposition de la droite. Dans ce contexte, comment réagiront les députés inquiets pour leur siège et confrontés face à un FN fort ? S’adaptant au rapport de force, les responsables locaux pourraient dire que le moment est venu de faire l’unité et l’union des droites. Que répondront alors les militants UMP ? Réclameront-ils aussi la fin du "cordon sanitaire" ou estimeront-ils qu’une alliance avec le FN équivaudrait à recevoir "le baiser qui tue" ? Il est évidemment trop tôt pour le dire. Mais si l’UMP implosait, le FN pourrait alors récupérer une partie de ses militants et mettre ses dirigeants devant le fait accompli de la disparition du "cordon sanitaire".