18.12.2024
Les révolutions de la dignité
Presse
30 septembre 2011
« Parfois, des décennies passent et rien ne se passe, et parfois, quelques semaines passent et des décennies trépassent.» L’actualité de ces derniers mois est venue illustrer de façon éclatante cette citation de Lénine.
En moins d’un an, trois autocrates qui contrôlaient leur pays d’une main de fer depuis des décennies ont été balayés par des jeunes arabes porteurs d’un message universel, par une insubmersible aspiration à la liberté et à la dignité, par un vent révolutionnaire qui n’est pas sans rappeler celui qui a soufflé sur la France et les Etats-Unis à la fin du XVIIIème siècle.
Arrivé au pouvoir en 1969, ayant exercé un pouvoir sans partage pendant 42 ans[1], le colonel Kadhafi[2], qui a démontré au monde entier que la réalité dépassait toujours la fiction, qui s’est accroché et a fanfaronné jusqu’au bout, comme s’il voulait prouver qu’Ubu Roi n’était à ses côtés qu’un petit joueur, a fini par aller rejoindre, dans les poubelles de l’histoire, ses collègues tunisien et égyptien Zine El Abedine Ben Ali et Hosni Moubarak, dont leur chute l’avait tant peiné.
L’automne des autocrates arabes[3]
Ce qui est advenu était complètement inespéré il y a à peine 12 mois. Trois dictatures ont d’ores et déjà été abattues. Plusieurs autres sont confrontées à des manifestations populaires sans précédent, qu’elles peinent à réprimer, aussi brutales que soient les techniques employées.
Nul ne peut prédire la suite des événements. Peut-être ces révolutions seront-elles, comme tant d’autres à travers l’histoire, kidnappées, confisquées ou trahies. Peut-être les forces de la contre-révolution pourront-elles, temporairement, reprendre la main. Peut-être que les impératifs de la realpolitik et l’obsession de la « stabilité », permettront aux conservateurs et aux tenants de l’ordre ancien de s’accrocher encore un peu au pouvoir. Mais il n’en reste pas moins que dans les esprits de la jeunesse arabe d’aujourd’hui, de l’Océan Atlantique jusqu’au Golfe persique, la mentalité d’Ancien régime est tombée. Le carcan d’impuissance a été brisé.
Les pays n’ayant pas encore été atteint par des manifestations de grande envergure s’efforcent d’utiliser la rente pétrolière pour acheter la paix sociale.[4] Mais partout, c’est panique à bord. C’est l’automne des autocrates arabes et ils en sont tous désormais conscients. Les dominos ne tomberont peut-être et sans doute pas l’un après l’autre, mais l’effet domino psychologique est bel et bien présent. Dans leurs têtes, les arabes ont appris qu’ils n’étaient pas condamnés à être des sujets et qu’ils pouvaient devenir des citoyens, des acteurs, des maîtres de leur propre destinée. Ils sont également conscients que le combat sera long, rude, tumultueux, jalonné d’embûches.
Nous sommes en effet assez loin de la configuration qui prévalait en Europe de l’Est en 1989. Tout d’abord parce que tous les pays qui étaient alors derrière le rideau de fer étaient directement dépendants de l’Union soviétique, de simples satellites qui ne pouvaient que s’affranchir automatiquement dès lors que la poigne de fer avait disparu, alors que chaque pays arabe a ses spécificités, liées à sa composition communautaire, à son positionnement sur l’échiquier géostratégique international et au poids de l’histoire. Ensuite, parce que les dissidents d’Europe de l’Est étaient soutenus à bout de bras par les puissances occidentales, ce qui est loin d’être le cas des démocrates arabes, qui ont au contraire beaucoup souffert de voir les dictatures qui les opprimaient être appuyées par les Etats-Unis et l’Europe[5], tantôt au nom de la stabilité et de la crainte du chaos, tantôt au nom de la guerre contre le terrorisme et la menace islamiste, et toujours au nom d’intérêts économiques et géostratégiques bien ou mal compris.
Contrairement aux dissidents démocrates d’Europe de l’Est, les jeunes démocrates du monde arabe, les manifestants de l’avenue Bourguiba de Tunis, ceux de la place Tahrir du Caire, ceux de la place de la Perle au Bahreïn, ceux de Homs, de Deraa ou de Hama en Syrie, ceux de Sanaa au Yémen, ont souvent le sentiment d’être seuls au monde. On pense aux Soldats de l’an deux, porteurs d’un immense idéal, condamnés à lutter simultanément sur plusieurs fronts, et dont Victor Hugo nous disait que « La liberté sublime emplissait leur pensée » et que « La tristesse et la peur leur étaient inconnues ». A ceci près que c’est à mains nues que se battent aujourd’hui les démocrates arabes. C’est ce qui fait leur force, ce qui leur donne leur légitimité, mais ce n’est guère aisé.
Certes, ils ont fini par entendre quelques mots de soutien venus du « monde libre », de « l’occident démocratique», mais ils ne sont pas dupes. Ils ont vu pendant des décennies cet occident fermer les yeux sur les plus abjectes violations des droits de l’homme, ils ont vu leurs tyrans se faire dérouler le tapis rouge dans les grandes démocraties occidentales, ils ont vu que jusqu’au dernier jour, les puissances occidentales ont tout fait pour que les despotes amis se maintiennent en place.
Dogmes orientalistes fracassés
C’est donc un combat extrêmement inégal qu’a livré la jeunesse arabe au cours des derniers mois. Contre les tyrannies, contre les puissances étrangères qui soutenaient ces tyrannies, et souvent aussi contre ceux qui, en interne, qu’il s’agisse des islamistes ou des autres forces contre-révolutionnaires cherchaient à récupérer ces révolutions et à les détourner de leurs objectifs initiaux.
Mais dans ce combat disproportionné, dans ce combat du pot de terre contre le pot de fer, les jeunes révolutionnaires arabes ont déjà enregistré une première victoire, fondamentale, peut-être encore plus importante que la chute des dictateurs, il s’agit du changement dans les représentations culturelles qui s’est opéré.
C’est toute une vision occidentale du monde arabe, enracinée depuis fort longtemps dans les esprits, qui s’est enfin vue remise en question. En quelques semaines, tous les dogmes orientalistes sur lesquels reposaient les visions et politiques occidentales se sont fracassés.
Tout d’abord l’idée selon laquelle le monde arabe était condamné à la léthargie et à l’immobilisme, qu’il était à tout jamais sclérosé, que seul l’usage occidental de la force, comme en Irak, pouvait le sortir de sa torpeur. Ensuite, l’idée que ce monde était foncièrement illibéral ou antilibéral, rétif à la démocratie et à la modernité, inapte à la maîtrise des nouvelles technologies. Enfin, l’idée que tout ce qui se passait dans cette région du monde trouvait sa source, non pas dans le contexte politique, économique et social, mais dans le texte religieux (ce que Maxime Rodinson, et avant lui René Girard et Jacques Derrida avaient appelé le théologocentrisme).
On ne voulait voir que des homo islamicus, motivés exclusivement par des considérations religieuses, et adeptes d’un islam perçu comme sub specie aeternitatis[6], comme une « essence » absolue, de temps immémorial, imperméable à tout changement, identique à lui-même à travers les siècles. On a découvert bien au contraire une jeunesse, parfois religieuse, parfois laïque, mais surtout préoccupée par des considérations on ne peut plus profanes et on ne peut plus universelles : un besoin de dignité, un refus de l’arbitraire, une colère contre la confiscation du pouvoir politique et économique par de toutes petites castes liées au pouvoir.
C’est également avec étonnement que les médias occidentaux ont découvert que les femmes arabes avaient joué un rôle décisif dans ces révolutions. Pourtant, dans l’imagerie orientaliste traditionnelle, seules deux images de la femme arabe étaient prédominantes : l’image de la danseuse du ventre qui se déhanche dans un quelconque harem ou dans un sérail à côté d’un charmeur de serpent, ou l’image de la femme entièrement voilée, la « femme grillagée » dont parle Pierre Perret. Et c’est l’un des mérites de ces révolutions que d’avoir fait découvrir au monde des femmes comme toutes les autres, voulant prendre un rôle actif, confrontées à d’innombrables difficultés mais déterminées à poursuivre le combat, parfois aux côtés des hommes, parfois contre eux, mais toujours de façon naturelle et décomplexée.
Observant le monde arabe de façon panoptique, avec les œillères de l’exotisme, de l’orientalisme et de l’ethnologie coloniale, l’occident se fixait sur trois éléments : le dictateur (la figure du « despote oriental », populaire depuis Montesquieu, bien qu’elle fut, dès l’époque, critiquée par Anquetil Duperron), les ressources naturelles (le pétrole et le gaz), et les masses, supposément toutes fanatisées par l’islam (cette fameuse « rue arabe » qui a tant fait fantasmer les éditorialistes).[7]
De ce point de vue, on peut dire que les événements de ces derniers mois ont conduit à une sorte de révolution copernicienne dans les représentations culturelles. On a enfin aperçu, derrière les caricatures, non plus des ombres muettes, mais des êtres humains de chair et de sang, qui vivaient dans ces pays, avec leurs espoirs, leurs souffrances, leurs idéaux. On a appris qu’il existait des troisièmes voies entre l’autoritarisme et l’islamisme. Les opinions publiques occidentales ont découvert que ces despotes orientaux si pittoresques étaient pour la plupart des clients et des obligés des gouvernements occidentaux, qu’ils étaient honnis par leurs peuples et ne s’étaient maintenus au pouvoir que par le soutien dont ils bénéficiaient chez ceux qui par ailleurs, prêchaient la démocratie lorsque cela pouvait les arranger. On a découvert l’étendue de la corruption de certains milieux intellectuels occidentaux, notamment, exemple parmi tant d’autres, lorsque le journal Politico[8] a révélé que certains des plus célèbres universitaires comme Bernard Lewis, Francis Fukuyama et plusieurs autres avaient servi de consultants stipendiés chargés de lustrer l’image de Kadhafi, et que d’autres avaient été chargés d’aider son fils à obtenir un doctorat de la prestigieuse London School of Economics, ce qui fut fait.
On a également découvert que cette « rue arabe » qu’on nous présentait comme assoiffée de sang et congénitalement violente, pouvait inspirer les jeunesses du monde entier, en manifestant pacifiquement, sans le moindre slogan religieux ou identitaire, mais au contraire autour de slogans portant un message universel, et dans les conditions les plus difficiles qui soient, face à des régimes n’hésitant aucunement à faire tirer à balles réelles sur des jeunes désarmés.
Enfin, on a vu que ces révolutions n’étaient en rien islamistes. Certes, les intégristes, d’abord pris de court par les révolutions, ont cherché à prendre le train en marche, ont fourni des manifestants en nombre, notamment en Egypte, et ont aidé à faire tomber le régime, certes, ils disposent de nombreux atouts qui pourraient leur permettre de jouer un rôle prédominant dans les années qui viennent, mais toujours est-il, et ils en sont conscients, qu’ils ont été en décalage avec le cœur battant du mouvement révolutionnaire. Les révolutions n’étaient ni laïques, ni post-islamistes comme l’ont cru certains, mais elles n’ont à aucun moment placé l’islam au centre des préoccupations.
L’industrie des experts en terrorisme fut donc discréditée par ces révolutions et le temps est aujourd’hui venu de revenir aux choses sérieuses dans le monde de la recherche universitaire, d’étudier les sociétés de la région dans leur complexe globalité, loin des niaiseries néo-orientalistes propagées par certains experts jamais dénués d’arrière-pensées. Et loin des visions binaires qui ont aveuglé les décideurs et dont on a vu les dégâts incommensurables.
De la chute du mur de Berlin aux révolutions arabes, en passant par le 11 septembre et la guerre d’Irak
Puisqu’il est donc désormais clair que le message porté par ces révolutions est un message universel par excellence, axé sur une revendication de liberté, de démocratie et de dignité, il n’est pas inutile de nous demander pourquoi ce processus a tant tardé, et pourquoi il intervient précisément aujourd’hui. Quelles sont les causes profondes, politiques, démographiques et sociétales, de ces révolutions ?
A la chute du mur de Berlin en 1989, le monde entier semble s’orienter vers une démocratisation accélérée. En effet, l’Europe de l’Est, libérée du joug soviétique, s’émancipe rapidement. En Amérique latine, les dictatures tombent l’une après l’autre et les transitions démocratiques réussissent même lorsque personne n’y croyait. La démocratisation atteint également l’Afrique. Au début des années 1990, des « conférences nationales » se tiennent, au Bénin et dans plusieurs autres pays. Le continent, qui ne comptait que 3 démocraties électorales en 1989 en compte près de 25 deux décennies plus tard.
Seul le monde arabe semblait à l’écart. Plusieurs explications à cela, et aucune d’entre elle n’est d’ordre culturaliste. Il faut tout d’abord signaler que derrière le glacis apparent, celui des régimes sclérosés, les sociétés elles-mêmes étaient au contraire dynamiques, les débats d’idées furent nombreux, les sociétés civiles frétillaient, les intellectuels, parfois au péril de leurs vies, apportaient des idées nouvelles, même si tous ces courants souffraient d’être pris en tenaille entre les régimes dictatoriaux et les oppositions islamistes.[9]
Plusieurs événements viendront toutefois retarder l’inévitable processus de démocratisation. L’invasion du Koweït par Saddam Hussein en 1991 nécessitera l’intervention d’une coalition internationale pour l’en déloger. Avec le soutien des Nations Unies, les Etats-Unis parviennent à former une vaste coalition de plus de 40 pays pour mener la guerre. Plusieurs pays arabes ont rejoint cette coalition, mais aucun d’entre eux n’a hésité à monnayer son soutien aux Etats-Unis. Ces derniers peuvent-ils se montrer très regardants sur les droits de l’homme lorsqu’un régime vient de se joindre à eux pour combattre Saddam Hussein ? Ainsi, le syrien Hafez El Assad obtient carte blanche pour contrôler l’ensemble du territoire libanais, les autres régimes obtiennent financements, armements, et garanties qu’on ne se mêlera pas de leurs affaires intérieures.
Un ou deux ans plus tard, un autre traumatisme affectera le monde arabe et notamment l’Afrique du Nord, à savoir la guerre civile algérienne et ses 200.000 morts, qui aura un effet lénifiant sur les aspirations démocratiques des habitants des pays voisins. Ben Ali aura beau jeu de dire à son peuple, en substance : vous avez vu à quoi a mené la révolte algérienne d’octobre 1988, une certaine démocratisation peut-être, des élections peut-être, mais ensuite une montée en puissance de l’islamisme, une reprise en main par l’armée et une guerre civile sanglante. Ne préférez-vous pas la stabilité et le développement économique relatif dont vous bénéficiez ?
Quelques années plus tard, les attentats terroristes du 11 septembre vinrent à nouveau ébranler l’ordre mondial. La « guerre globale contre le terrorisme » qui s’est ensuivie a été, à plusieurs égards, du pain béni pour les autocrates arabes, qui ont tous, volontaires, contraints ou forcés, rejoint les Etats-Unis dans ce combat, en ne manquant jamais de monnayer encore une fois leur soutien. Chacun d’entre eux en profita pour serrer la vis, museler encore plus son opposition, et soutirer plusieurs milliards aux Américains au nom de la guerre contre le terrorisme. Le dictateur yéménite, Ali Abdallah Saleh, est passé maître en la matière. Sans doute le plus rusé et le plus roublard des autocrates arabes, il mériterait, comme Laurent Gbagbo, d’être surnommé « le boulanger », tant il a roulé dans la farine ses interlocuteurs. C’est ce même M. Saleh, qui après avoir obtenu une aide financière et militaire américaine conséquente, n’hésitera pas, lorsqu’il se sentira menacé, à céder le contrôle d’une ville entière à Al Qaida, histoire sans doute de rappeler à ses amis américains jusqu’à quel point ils avaient besoin de lui. Plusieurs chantages de ce type et plusieurs répressions violentes sont passées inaperçues au nom de cette « guerre contre le terrorisme. »
Après la première guerre du Golfe de 1991, après la guerre civile algérienne, après les événements du 11 septembre, c’est la deuxième guerre d’Irak, celle, illégale, de 2003, qui va encore retarder les espérances démocratiques du monde arabe.
Avec huit années de recul, le bilan catastrophique de l’expédition irakienne de l’administration Bush n’est plus à faire : en lieu et place de la démocratisation arabe que nous aveint alors promis quelques brillants esprits, des centaines de milliers de morts chez les civils irakiens, un coût récemment réévalué à 7.000 milliards de dollars par Joseph Stiglitz, les minorités religieuses décimées, les voisins de l’Irak qui se lancent dans une course aux armements, les tensions entre sunnites et chiites qui culminent… Rarement dans l’histoire aura-t-on assisté à un tel désastre humain, moral et stratégique. Rarement aura-t-on pu constater de façon aussi évidente jusqu’à quel point pouvaient être nocives les idées et les rhétoriques orientalistes et néo-conservatrices qui avaient sous-tendu et légitimé cette guerre. On ne peut que penser à la phrase si juste d’Albert Camus : « Les idées fausses finissent dans le sang, mais il s’agit toujours du sang des autres. C’est ce qui explique que certains de nos philosophes se sentent à l’aise pour dire n’importe quoi. »[10]
Mais par une délicieuse ironie de l’histoire, c’est quelques années plus tard, exactement à l’autre bout du monde arabe, et pour des raisons inverses, que va naître cet effet domino démocratique qu’on nous avait promis. Il faut en effet rappeler que si la chute du dictateur tunisien Zine El Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011 a déclenché une vague d’exaltation et d’enthousiasme sans précédent chez la jeunesse arabe, c’est précisément en raison de ce contraste flagrant avec l’intervention militaire anglo-américaine en Irak. Pour la première fois, une dictature arabe est tombée sans F16 américains, sans idéologues va-t-en-guerre, sans effusion massive de sang, mais uniquement grâce à la détermination de jeunes démocrates à mains nues, refusant toute récupération de leur révolution par des intérêts étrangers. C’est essentiellement pour cette raison que l’on a assisté à une émulation de la jeunesse tunisienne par les autres jeunesses arabes et que l’on a vu naître ce fameux effet domino. Et les choses sont alors allées très vite.
Le déclic : l’arbitraire et les humiliations
Les historiens de la Révolution française rappellent fréquemment le rôle qu’ont joué les petites humiliations, en apparence anodines, et qui ont été le déclic d’où a surgi la flamme révolutionnaire. Ainsi Barnave, que rien ne prédisposait à cela, est devenu révolutionnaire le jour où un aristocrate dédaigneux chassa sa mère de la loge qu’elle occupait au théâtre de Grenoble. Il en est allé de même en Tunisie, en Egypte, en Syrie et dans bien d’autres pays. Il s’agit parfois de simples petites vexations comme celles qui ont conduit à l’immolation par le feu de Mohammed Bouazizi, le désormais célèbre marchand ambulant de Sidi Bouzid, privé de permis de travail, harcelé par des bureaucrates, voyant ses horizons se boucher du fait de cette arrogance qui caractérisait aussi bien les hautes sphères du régime dictatorial que ses petits fonctionnaires qui se contentaient d’obéir aux ordres. Victor Hugo ne disait-il pas que : « Les grandes révolutions naissent des petites misères comme les grands fleuves des petits ruisseaux. » ?
Mais souvent, il s’agissait de bien plus que de petites vexations, il s’agissait de véritables crimes d’Etat, comme celui dont fut victime, six mois avant la révolution égyptienne, le jeune blogueur d’Alexandrie, Khaled Said, qui n’avait que 28 ans, qui n’était même pas un activiste politique, mais qui avait pour seul tort d’avoir dénoncé sur son blog la corruption policière. Arrêté par des policiers en civil à 11h du soir, alors qu’il se trouvait dans un café Internet, il fut emmené dans le hall d’un immeuble voisin et battu à mort. Son cas est devenu emblématique. Une page créée sur Facebook, qui proclamait « Nous sommes tous Khaled Said » devint un point de ralliement de la révolution égyptienne et finit par attirer plusieurs millions de personnes. On apprendra plus tard qu’elle avait été créée Waël Ghonim, activiste qui travaillait pour Google, et Ghonim deviendra à son tour un porte-voix de la jeunesse égyptienne.
Crimes d’Etat également en Syrie, et particulièrement odieux, puisque quelques semaines après le début des protestations, un jeune homme de 13 ans, Hamza Al Khatib fut arrêté, torturé, et émasculé. Ses parents subiront des menaces et se verront contraint d’innocenter le régime, dans une mascarade qui ne parvint à tromper personne. Le même régime syrien s’en est pris à un chanteur populaire, Ibrahim Kachouche, qui avait composé un hymne anti-Bachar El Assad, dans la tradition rythmée des chants révolutionnaires français. Kachouche sera arrêté et jeté dans un fleuve, après que les sbires du régime syrien aient pris le soin de lui arracher les cordes vocales. Quelques semaines après les cordes vocales d’un chanteur, c’est aux doigts d’un caricaturiste que s’en prendront les milices pro-gouvernementales syriennes, (les shabbiha), et c’est Ali Ferzat, le Plantu (ou plutôt le Daumier) du monde arabe, qui verra ses phalanges écrasées et broyées car il avait eu le culot de dessiner une caricature montrant Kadhafi en voiture, sur le départ, passer devant un Bachar El Assad faisant de l’autostop et lui demander s’il souhaitait l’accompagner. Un chercheur français, Michel Seurat, assassiné depuis longtemps, avait parlé d’« Etat de barbarie » et le régime baasiste n’a de cesse que de vouloir lui donner raison. Au Bahreïn, au Yémen, deux pays dont on parle moins dans les médias occidentaux, la répression fut tout aussi brutale, et comme partout, l’exaspération collective devant les humiliations, l’arbitraire et la férocité de ces régimes servira de déclic ou de fuel aux révolutions.
Conception patrimoniale du pouvoir
L’immolation du marchand ambulant de Sidi Bouzid, le passage à tabac du blogueur d’Alexandrie, même s’ils ont fortement marqué les esprits, n’auraient certainement pas suffi à provoquer ces révolutions arabes s’il n’existait pas un certain nombre de causes profondes, de tendances lourdes politiques, démographiques, économiques et sociétales qui rendent ces révolution inévitables et le processus de démocratisation irréversible. C’est peut-être parce qu’ils sont conscients de ces tendances lourdes et qu’ils se savent condamnés que les régimes se montrent aussi violents et qu’ils perdent tout sens de la mesure. Voltaire avait forgé l’expression « boeufs-tigres », pour qualifier des gens qui sont « bêtes comme des bœufs et féroces comme des tigres. » Cette expression s’applique parfaitement aux régimes arabes aujourd’hui en bout de course.
Il n’est pas aisé de définir les causes d’un événement historique de cette ampleur. 222 ans après la Révolution française, les historiens continuent de débattre de ses causes, les uns incriminent surtout la crise de la dette et des finances publiques, les autres évoquent des causes plus conjoncturelles comme le climat de la saison 1788, les uns se focalisent sur le rôle des intellectuels des Lumières, les autres minimisent ce rôle et parlent d’un essoufflement de toute la tradition absolutiste, lié à la montée en puissance de la bourgeoisie.
Dans le cas des révolutions arabes, les causes politiques sont relativement bien connues. D’abord, la longévité exceptionnelle des dirigeants (Kadhafi est arrivé au pouvoir en 1969, Moubarak en 1980, Ben Ali en 1987, le père Assad en 1970, Saleh en 1978, sans même aborder le cas des monarchies héréditaires.) Ensuite, la faillite retentissante des Etats post coloniaux fait que les dirigeants ne peuvent plus se revendiquer de la légitimité du combat national. Le décalage entre le disque dur et les logiciels, entre la parole et les actes est devenu insoutenable aux yeux des nouvelles générations. Enfin, le recours presque systématique à la torture, le degré de corruption et la conception patrimoniale du pouvoir ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Passe encore que le dictateur soit indéboulonnable de son vivant. Mais lorsqu’il s’avise de vouloir transmettre le pouvoir à son fils, lequel n’a ni la légitimité historique, ni la légitimité militaire, la pilule ne passe plus. Bachar El Assad ayant réussi à conserver le pouvoir suite au décès de son père en 2000, la plupart des autres fils d’autocrates ont voulu suivre son chemin. Moubarak a dépensé des fortunes auprès des cabinets de lobbying de K Street, à Washington, pour convaincre ses amis américains d’accepter que son fils Jamal lui succède. Au Yémen, Saleh a à la fois un fils et un neveu actifs en politique. Kadhafi plaçait tous ses espoirs en Saif-Al-Islam, enfant chéri de l’occident durant les années 2000. Ben Ali, à défaut d’avoir un fils, misait sur son gendre, lequel se retrouva, à 29 ans, à la tête d’une immense fortune.
Plus encore que les pratiques, c’est l’hypocrisie et la duplicité des discours qui révoltait les jeunes. Le régime syrien, qui se targue de résistance à l’ordre américain, a pourtant collaboré aux politiques de l’administration Bush connues sous le doux nom de « extraordinary renditions », à savoir la sous-traitance de la torture. Le régime égyptien, qui continue de se référer au nationalisme arabe, était devenu en pratique l’exécutant docile des politiques américaines et le complice du blocus de Gaza. Et pour ce qui est de la duplicité, il en va de même pour la plupart des autres régimes. Qu’ils appartiennent au camp dit de la « modération » ou à celui dit de la « résistance » (concepts tous deux mensongers et fallacieux), les régimes de la région ont tous un seul et unique objectif : se maintenir au pouvoir. Tout le reste est négociable.
Confiscation du pouvoir économique
Les causes économiques des révolutions sont tout aussi importantes. Privés de démocratie au niveau politique, les nouvelles générations se voyaient également privées de démocratie dans le monde des affaires, tant la confiscation du pouvoir économique par de petites oligarchies proches du pouvoir était totale. Dans chaque pays, une ou deux familles, une poignée d’hommes avaient la haute main sur les économies nationales, disposaient de monopoles ou exigeaient des parts considérables des revenus de toute entreprise. Le cas de la famille Traboulsi en Tunisie ou celui d’Ahmed Ezz en Egypte sont devenus légendaires. Mais la situation n’est guère différente en Syrie, où l’économie est entre les mains de deux cousins du président, Rami Makhlouf et Zou El Hima Shalish.
La crise économique de 2008, et notamment les fluctuations du prix des matières de base (fluctuations souvent causées par la spéculation) a également accentué la fragilisation de nombre de familles dans le monde arabe, surtout dans les pays où plus de 65 % des revenus d’un foyer sont consacrés à l’alimentation. A cela s’ajoute un taux de chômage des jeunes particulièrement préoccupant. En Tunisie, le chômage des jeunes diplômés était souvent supérieur à 35 % et un diplômé de l’enseignement supérieur avait quatre fois moins de chances qu’un non-qualifié de trouver un emploi. Toute l’économie tunisienne avait été axée sur le développement de quelques ilots touristiques et sur le secteur textile, lequel, comme le tourisme, ne nécessite pas d’emplois qualifiés.
Les pays de la région MENA devront créer entre 60 et 90 millions d’emplois avant 2020, selon plusieurs études. Or, les régimes actuels sont incapables de mener la transition nécessaire. Créer un aussi grand nombre d’emplois, en un laps de temps aussi court, implique de sortir des économies de rente[11], de s’orienter vers des secteurs productifs, ceux du high-tech, de l’économie du savoir et du capital humain. Devant la pénurie d’emplois, le ressentiment des jeunes à l’égard de ces régimes est donc appelé à grandir, une raison supplémentaire qui nous incite à dire que le processus enclenché sera douloureux mais irréversible.
N’oublions pas de mentionner un autre échec patent de ces régimes, celui de l’aménagement du territoire. Ce n’est pas un hasard si les émeutes tunisiennes ont commencé à Sidi Bouzid, ville moyenne du centre-Ouest, les mouvements sociaux égyptiens dans la ville de Mahalla Al Kubra, ville industrielle ayant souffert du déclin du textile, et la révolution syrienne a commencé à Deraa, petite ville agricole à la frontière avec la Jordanie. On le voit, les inégalités territoriales, économiques et sociales furent également au cœur de ces révolutions.
La grille de lecture démographique
Il nous faut également mentionner la transition démographique rapide qui a créé des conditions propices au succès de ces révolutions. Cette grille de lecture démographique est apparue il y a 10 ans, lorsque le démographe Philippe Fargues a publié ‘Générations arabes, l’Alchimie du nombre’ (Fayard, 2000)[12] et s’est de nouveau imposée suite à la parution de l’ouvrage ‘Le Rendez-vous des civilisations’, coécrit par le démographe Youssef Courbage et Emmanuel Todd en 2007[13]. Rappelons certains éléments : le taux d’alphabétisation, notamment des femmes, a atteint de très hauts niveaux alors que celui de la fécondité diminuait rapidement. Après un boom démographique, la transition fut rapide depuis la fin des années 1970. La plupart des pays musulmans passent de 6 ou 7 enfants par femme à 2 ou 3. Le taux de fécondité en Tunisie est désormais inférieur à celui de la France. En ce qui concerne l’alphabétisation, la situation en Tunisie en 2011 est proche de celle de la France en 1789.
Ces analyses sont très intéressantes car elles montrent que la hausse du taux d’alphabétisation, la baisse du taux de fécondité et la sortie progressive du modèle endogame sont des bouleversements sociaux et psychologiques majeurs, qui permettent une émergence de l’individu par rapport au groupe et une émancipation des femmes. Chacun peut désormais lire et rédiger un tract, ce qui n’est jamais inutile en période révolutionnaire. Ces bouleversements démographiques se répercutent donc sur la scène politique et permettent aujourd’hui de mieux comprendre l’entrée de certains pays comme la Tunisie dans le modèle historique classique.
Ces arguments eurent très vite un succès médiatique important, puisqu’ils offraient une grille de lecture originale à une époque où la plupart des intellectuels en étaient réduits à compter le nombre de barbus parmi les manifestants cairotes ou yéménites. Emmanuel Todd sortit donc un deuxième livre[14], intitulé avec humour « Allah n’y est pour rien ». Mais aussi séduisante soit-elle, cette grille de lecture peut poser problème. A titre d’exemple, le Yémen, pays qui est loin d’avoir achevé sa transition démographique, a été secoué par des manifestations monstres, qui n’ont certes pas encore fait tomber le régime.
Il faut également signaler le risque de remplacer la religion par la démographie comme sésame explicatif universel. Il y a quelques années, le regretté intellectuel newyorkais Tony Judt, qui avait pourtant un certain nombre de points communs avec Todd (le courage intellectuel, l’héritage aronien, l’iconoclastie, l’originalité, le goût de la polémique, l’attachement à l’empirisme) avait reproché à ce dernier, dans les colonnes de la New York Review of Books[15] d’avoir développé une fixation sur les questions de fécondité et sur le facteur démographique, au point de vouloir tout expliquer à travers cette grille de lecture[16]. On en reviendrait donc à une sorte de prédétermination par les structures. On ne sortirait du théologocentrisme dénoncé plus haut que pour arriver à une « vision téléologique de l’histoire », que le blogueur marocain Ibn Kafka a également vu poindre chez Todd. Or, ce qu’il y a de fascinant et d’enthousiasmant dans les révolutions, c’est précisément, comme le soulignent Edwy Plenel et Benjamin Stora[17], qu’elles sont imprévisibles, qu’elles ouvrent grand « le champ des possibles » et qu’on peut donc enfin espérer sortir des déterminations.
La révolution médiatique
Les causes politiques, économiques et démographiques évoquées ci-dessus ont également été soutenues par des évolutions technologiques et sociétales essentielles, par la révolution médiatique[18] et par cette irrésistible aspiration à la transparence qui semble caractériser notre époque. Les tunisiens n’avaient certes pas attendu Wikileaks pour connaître la corruption de leurs gouvernants, mais voir des diplomates américains chevronnés décrire noir sur blanc toutes les turpitudes de la « famille mafieuse » a certainement accéléré la prise de conscience de la nécessité du changement. Facebook, Twitter, YouTube, ont accompagné les révolutions, ont permis d’amplifier un mouvement. Il serait toutefois indécent de parler de « Révolution Facebook » tout d’abord eu égard aux centaines de manifestants qui ont subi la torture, affronté les armes et donné leur vie pour le succès de ces révolutions, et ensuite parce que ces instruments ne sont pas forcément utilisés uniquement par les militants d’une alternative démocratique. Comme l’a montré l’analyste biélorusse Evgeny Morozov dans son ouvrage The Net Delusion[19], les régimes autoritaires peuvent aussi tirer profit de ces nouvelles technologies et s’en servir en position de force. Par ailleurs, les nouveaux médias ont été pertinents parfois et surtout parce qu’ils ont été repris par les chaînes satellitaires traditionnelles. Al Jazeera a joué un rôle décisif durant la révolution égyptienne. France24 a également gagné ses lettres de noblesse avec les révolutions arabes, ainsi que la version anglaise d’Al Jazeera qui a réussi une percée remarquable. Il n’est toutefois pas dit, notamment eu égard au rapprochement entre le Qatar et l’Arabie Saoudite qu’Al Jazeera sera toujours à l’avant-garde du combat pour les libertés démocratiques. C’est toute l’ambiguïté de médias qui sont souvent également des relais d’influence de la diplomatie du pays d’origine. En tout état de cause, les vieux médias de la propagande gouvernementale arabe officielle, avec leur logique verticale et leurs grosses ficelles, sont désormais dépassés par une nouvelle logique, faite d’interaction permanente, et infiniment plus propice à la remise en question des versions étatiques, à l’impertinence, au refus de l’autorité, et donc à l’émergence de l’individu. Cette révolution-là n’est pas moins importante que les autres.
Après le « splendide lever de soleil », des transitions tumultueuses
On le voit, toutes les tendances lourdes jouent contre les régimes en place. Ils sont tout simplement incapables de s’y adapter. Quand bien même ils tenteraient de prendre les devants et d’annoncer de vastes réformes, ils ne seraient guère pris au sérieux par leurs opinions, désormais convaincues que les régimes actuels, à une ou deux exceptions près, sont irréformables. Ils ont trop longtemps refusé toute évolution, fut-elle minime, et ils ont tant à perdre s’ils osent un authentique changement. L’heure n’est plus aux réformettes. John Kennedy l’avait compris : « Ceux qui rendent impossible la révolution pacifique rendront inévitable la révolution violente. »
Si ces régimes nous semblent, à terme, condamnés, rien ne garantit que la transition se fera sans heurts. Elle sera au contraire extrêmement tumultueuse et nous connaîtrons de nombreuses convulsions post-révolutionnaires, des retours provisoires à l’ordre ancien, puis un renouveau du combat démocratique. A ce jour, seule la Tunisie peut parler de révolution ayant été à son terme, c’est-à-dire à une nouvelle architecture politique nationale. En Egypte, le Conseil Supérieur des Forces Armées se comporte encore souvent comme s’il souhaitait oublier les acquis de la révolution. Le nombre de jeunes activistes égyptiens qui ont été traînés devant les tribunaux militaires après la révolution fait frémir. Au Bahreïn, les conservateurs ont joué la carte du communautarisme, présentant les révoltes comme étant le fait d’agitateurs chiites, supposément manipulés par l’extérieur, et qui voudraient en découdre avec les sunnites minoritaires au pouvoir. Au Yémen, les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite étudient la perspective d’une transition mais n’ont pas encore définitivement lâché le président Saleh, tant ils craignent une vaste déstabilisation, compte tenu des importantes quantités d’armement présentes dans le pays, de la présence d’Al Qaeda, et du risque de somalisation. En Syrie, les manifestants ont réussi jusqu’à présent rester fidèles aux trois règles d’or, très pertinentes, fixées par l’opposant Burhan Ghalioun, professeur de sociologie à la Sorbonne : « Non au recours aux armes, non à l’intervention militaire extérieure, non au confessionnalisme. » Mais face à l’intransigeance du régime, les opposants syriens, poussés à bout, ne risquent-ils pas bientôt de tomber dans le piège qui consisterait à prendre les armes et donner ainsi au régime un prétexte pour leur mener une véritable guerre en position de force, avec toutes les conséquences tragiques que cela pourrait avoir ? En Libye, la décision de faire intervenir l’OTAN a déjà fait sortir le pays de la logique des printemps arabes, et l’a fait entrer dans une logique de guerre dont on n’est pas encore sorti. Le profil et le passé des principaux représentants actuels du Conseil National de Transition ne sont guère de nature à rassurer, même si certains intellectuels se sont hasardés à les comparer hâtivement à la Résistance française. Jacques Prévert avait tellement raison lorsqu’il disait qu’ « il ne faut pas laisser les intellectuels jouer avec des allumettes. »[20]
Les révolutions arabes, initialement pacifiques et non-violentes, risquent, par la force des choses, et en raison de l’attitude jusqu’au-boutiste de certains régimes, de dégénérer et de sombrer dans la violence. Il y aura probablement encore beaucoup de sang, de sueurs et de larmes avant que le monde arabe ne prenne le chemin de la démocratisation. Mais comme l’a dit Edgar Morin, citant Hegel qui saluait rétrospectivement 1789 : « Ce fut un splendide lever de soleil », et même si le monde arabe devait passer dans les années à venir par des phases de retour en arrière, même s’il devait connaître à son tour des Thermidor et des Restaurations, « le message renaîtra et renaîtra » car il est désormais clair que « l’aspiration démocratique, loin d’être un monopole de l’occident, est une aspiration planétaire ».