« La Chine et la Russie craignent que le printemps arabe donne des idées à leurs populations »
Le Conseil de sécurité de l’ONU a rejeté, mardi 4 octobre, une résolution condamnant la répression en Syrie. Proposée par le front occidental, la Chine et la Russie s’y sont opposées. Pour Didier Billion, chercheur au sein de l’Institut de recherches internationales et stratégiques et spécialiste du Proche-Orient, ce veto sino-russe renforce le régime syrien et affaiblit l’ONU.
Il y a d’abord une raison de principe puisque Pékin et Moscou ont traditionnellement une position de non ingérence dans les pays étrangers. C’est un principe intangible pour ces deux Etats. Et puis, la Russie et la Chine, qui sont loin d’être de réelles démocraties, conçoivent toutes deux quelques inquiétudes à propos du printemps arabe en général, qui pourrait donner des idées à leur propre population.
Surtout les Russes. Ils ont par exemple la possibilité de mouiller leurs navires militaires dans les ports syriens, possibilité qu’ils n’ont pas ailleurs. C’est un avantage logistique, certes, mais c’est surtout un moyen de conserver leur position en mer Méditerranée. Et il est évident qu’un changement de régime nuirait à ses accords militaires. C’est pour ces raisons d’ordre géostratégiques que la Russie est un soutien ferme et résolu de la Syrie.
C’est déjà le cas puisque l’Union européenne et les États-Unis les appliquent déjà, en bloquant les avoirs syriens ou en interdisant leurs entreprises de passer des contrats en Syrie. Mais leurs effets sont limités. Elles sont loin d’être rédhibitoires pour le régime syrien puisqu’elles ne mettent pas l’économie du pays à genoux. Bachar Al-Assad le sait et c’est pour cela qu’il continue de réprimer la contestation en toute impunité. Surtout, sanctions ou non, d’autres pays, comme l’Iran, continuent de commercer avec la Syrie. Si certains refusent de discuter, d’autres, comme la Chine, sont prêts à saisir les opportunités. Il faut donc mesurer les limites de l’exercice et se rappeler que dans l’histoire, les sanctions ont rarement été efficaces, à l’exception de l’Afrique du Sud pendant l’apartheid ou de l’Irak après la première guerre du Golfe.
Bien entendu, ce n’est pas un signal positif. Mais l’opposition syrienne ne se faisait pas beaucoup d’illusions. Elle sait qu’élargir le camp des partisans des sanctions est un travail de longue haleine. Elle a bien compris qu’il n’y aurait aucune intervention militaire en Syrie. Elle va devoir convaincre de nouveaux alliés, comme la Turquie, qui jusqu’à présent était plutôt pro-Assad.
De toute façon, le Conseil national syrien va devoir se concentrer sur la situation interne. Depuis quelques temps, on note un fléchissement de la mobilisation en Syrie. Les manifestations continuent mais perdent de leur puissance. Le grand danger, c’est que le conflit devienne armé. Car si la révolte se militarise, le rapport de force entre le régime et ses opposants deviendrait encore plus inégal.
Ce n’est pas la première fois que ces pays s’opposent aux front occidental. Cela montre bien que le centre de gravité de la diplomatie mondiale s’est déplacé et que les grandes puissances ne sont plus en mesure d’imposer leur point de vue. Mais pour l’heure, les BRICS restent trop hétérogènes pour adopter une position commune et proposer des alternatives. Les alliances risquent donc d’être à géométrie variable, en fonction des intérêts de chacun, pendant quelques années encore.
L’ONU reste la seule instance qui peut se prévaloir d’une autorité internationale. En cela, elle est loin d’être inutile. Ce n’est pas parfait mais elle a le mérite d’exister. Mais le vote d’hier soir montre tout de même sa relative impuissance à faire pression sur certains états. Le grand problème, c’est que l’ONU est structurée comme en 1945, une réforme de son fonctionnement est donc nécessaire. Mais ça sera long et il faut aussi que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (France, Chine, Etats-Unis, Royaume-Uni et Russie) en acceptent l’idée et arrêtent de s’arcbouter sur leurs prérogatives.