10 ans en Afghanistan. « Le processus de paix est en danger »
Peut-on espérer voir la fin de la guerre en Afghanistan ? Rien n’est moins sûr pour Karim Pakzad, spécialiste de l’Afghanistan.
Oui. Sous la pression de son propre gouvernement. L’assassinat, le 20 septembre, de l’ex-président afghan Burhanuddin Rabbani, alors à la tête du Haut Conseil de la paix et de la réconciliation a été un élément politique majeur.
Il faut savoir que la majorité du gouvernement, composé de partisans de Burhanuddin Rabbani, du clan de Massoud et d’anciens généraux, est opposé à toutes négociations avec les talibans et cela depuis toujours. Or, la politique de réconciliation nationale menée depuis cinq ans par Hamid Karzaï avait créé un espoir, notamment grâce à la création de ce Conseil, soutenue par les Etats-Unis, l’Otan, tous ceux qui étaient concernés par la question afghane et bien accueillie par le Pakistan. La personnalité d’envergure de Rabbani devait être déterminante pour parvenir à une solution de paix négociée avec les talibans. Il était à la fois l’ex-président de la République des Moudjahiddines, le chef du parti politique "Jamiat Islami" (parti anti-taliban du commandant Massoud), issu du mouvement des Frères musulmans. Il n’était pas Pachtoune mais Tadjik. Il avait donc toutes les qualités pour négocier avec les talibans et obtenir l’accord des forces politiques afghanes opposées à toutes négociations. Désormais, l’assassinat de Rabbani a donné à la majorité un argument supplémentaire pour rompre les négociations.
Oui certains anciens généraux puissants de l’ex-Alliance du Nord du commandant Massoud ont menacé de reprendre les armes si les négociations continuaient.
Il n’a pas de stratégie claire et cohérente. Jusque-là il nageait entre deux tendances. Entre la majorité de son gouvernement qui ne veut pas entendre parler de partage du pouvoir avec les talibans et ses sentiments personnels favorables à un compromis.
Hamid Karzaï a déclaré lors d’une récente allocution "En tuant Rabbani, ils (les talibans) ont montré qu’ils n’étaient pas capables de décider par eux-mêmes. Maintenant la question est : si nous voulons la paix, à qui faut-il s’adresser ? " en pensant au Pakistan…
Il est vrai qu’il ne peut y avoir de solution politique sans le Pakistan. Mais en agissant ainsi et en insinuant que Islamabad dirige les talibans (et serait aussi le commanditaire de l’assassinat de Rabbani), il se trompe. Le Pakistan veut jouer un rôle dans le processus de paix mais pas de cette manière-là. Ça serait reconnaître qu’il soutient les talibans.
Et en même temps, les négociations directes avec le Pakistan sont prévues depuis longtemps. Mais les derniers rencontres ont été annulées par Hamid Karzaï. On entre là dans une contradiction. Et ensuite il va en Inde pour signer un accord stratégique sur la sécurité.
Très important. J’ai toujours pensé que si on voulait vraiment trouver une solution au problème de l’Afghanistan, il fallait la trouver dans le cadre régional. L’Inde est un allié de Kaboul depuis toujours et elle est très présente en Afghanistan et c’est la hantise des Pakistanais. Le Pakistan, de son côté, est le pays-clé. C’est le seul qui a de l’influence auprès des talibans. L’Arabie Saoudite ensuite peut jouer un grand rôle parce qu’elle a toujours été en contact avec les talibans. D’ailleurs, une partie des financements des talibans vient des pays du Golfe. L’Iran enfin est un pays incontournable dans la crise afghane. Mais là aussi on retrouve l’incohérence de la politique américaine qui souhaite que le pays s’implique dans le processus de paix en Afghanistan mais en même temps maintient de très mauvaises relations avec Téhéran.
En effet, cette tension parallèle fait suite à la déclaration du général Mike Mullen, le chef d’état major de l’armée américaine, qui a accusé l’armée pakistanaise de soutenir les réseaux talibans de Haqqani, la fraction active en Afghanistan. Ces accusations, qui ne sont pas sans fondement, ont provoqué un choc au Pakistan. L’ensemble des partis, même ceux de l’opposition, a accusé les Etats-Unis de chercher un bouc-émissaire pour son échec en Afghanistan.
Washington officiellement a annoncé qu’elle soutenait la position de Hamid Karzaï, les Etats-Unis ne peuvent pas se désolidariser. Mais en fait ils commencent à comprendre que la clé de la solution réside au Pakistan.
Absolument. Tous ces éléments démontrent que rien n’incite à l’optimisme.
Depuis huit mois, il veut forcer la main des Américains pour la signature d’un accord stratégique pour l’établissement de plusieurs bases permanentes en Afghanistan. Pour lui, c’est la seule façon de garder son pouvoir. Les talibans y sont favorables également. Mais les Américains sont réticents parce qu’ils savent bien qu’aucun pays voisin n’acceptera cela. Et puis pour le moment Washington et Kaboul ne s’entendent pas sur les modalités d’un tel accord.
Dans son dernier rapport, le Conseil de sécurité constate 7.000 actions armées en Afghanistan sur les trois derniers mois. C’est énorme. Rien qu’à Kaboul en octobre, il ya eu des actions contre l’ambassade américaine, contre le siège de l’Otan et l’assassinat de Rabbani. Il n’ y a plus de sécurité, les talibans peuvent frapper où ils veulent.
D’ici 2012, il y aura des retraits de troupes au compte goutte tant que les élections américaines ne seront pas passées. Mais je ne pense pas que les Etats-Unis vont quitter totalement le pays en 2014.
Parce que soyez sûr que l’armée afghane ne sera pas capable d’assurer la sécurité seule. La probabilité d’une guerre civile serait alors beaucoup plus importante que la prise de pouvoir par les talibans.