ANALYSES

Le séduisant danger de deux Europe

Presse
4 novembre 2011
Par Maxime Pinard, chercheur à l’IRIS
Alors que les dirigeants européens multiplient les réunions de travail, sous la houlette du couple franco-allemand, pour trouver une solution au moins temporaire à la dure crise qui secoue une partie des Etats, l’idée que l’action d’une Europe à 27 a fait son temps semble se propager, sans provoquer de réelle réaction. Aussi bien les politiques que les organisations pro-européennes ne semblent guère s’offusquer de ce qui remettrait en cause le sens même de l’Europe. Martine Aubry avait même jugé intéressante cette idée d’une Europe à deux vitesses, afin de ne pas la laisser dans la léthargie qu’elle connait actuellement.

L’Europe est une construction unique en son genre, qui suscite aussi bien la méfiance que l’étonnement positif de la part des autres puissances, les Etats-Unis prédisant son implosion prochaine alors que d’autres Etats comme l’Inde s’interrogent quant à la possibilité d’un modèle transposable. L’Europe a traversé de nombreuses épreuves, parfois provoquées par ses membres fondateurs, sans jamais cesser d’avancer, grâce aux initiatives de grands hommes politiques qui avaient une vision qui fait cruellement défaut aujourd’hui. De sa mise en place au début des années cinquante à aujourd’hui, l’Europe n’a eu de cesse d’accepter de nouveaux membres, avec certes des prérequis indispensables en particulier en matière de respect des droits, mais tout en ayant cette souplesse relative en matière économique qui lui a conféré une réelle dimension humaniste. Cette dernière a cependant été remise en cause avec l’entrée en 2004 de dix nouveaux Etats, leur sentiment européen étant pondéré par une forte volonté pour la plupart d’entre eux de se soustraire à l’influence russe et de se rapprocher de l’Occident. Cet ajout aurait dû conduire à une réflexion de grande ampleur sur l’Europe sur ses moyens d’action, mais cela n’a pas été le cas. L’impulsion politique ayant fait défaut, si bien que nous sommes aujourd’hui dans une quasi-impasse, avec des processus de décision contraignants et une lenteur qui empêche l’Europe d’avoir les mêmes armes que ses partenaires américain et chinois.

La crise économique et financière actuelle a mis en lumière les disparités croissantes entre Etats européens, si bien que l’on distingue désormais les vertueux (Europe du Nord, Allemagne) des mauvais élèves (Grèce, Espagne, Portugal, Italie) du sud de l’Europe. On a donc vu, au départ de façon peu médiatique, émerger des interrogations de la part des responsables des Etats dits vertueux pour savoir s’il fallait toujours aider les Etats dans le besoin. Le principe de solidarité n’est pas inné, il s’acquiert à travers un long travail, et l’instinct humain peut le remettre en cause lorsqu’il y a danger. Alors que ces Etats ressentent dans une faible mesure les effets de la crise, ils tergiversent pour aider leurs camarades et partenaires européens, qui sont toujours plus proches d’un effondrement de leur économie, voire de la société. Les diverses manifestations à Athènes, Madrid et Rome témoignent de ce sentiment d’abandon de populations qui savent qu’elles doivent faire des efforts, mais pas au prix de sombrer dans la misère. Certes, ces Etats ont vécu au-dessus de leurs moyens pendant des années, mais les autres "sages" puissances n’ont que peu agi pour les contraindre à une meilleure gouvernance. L’Irlande, surnommée le "Tigre européen", en référence aux nouvelles puissances asiatiques, était un paradis fiscal bien utile pour des sociétés européennes désireuses de payer moins d’impôts.

L’Espagne s’est fabriquée une croissance artificielle avec une bulle immobilière qui éclate aujourd’hui, mettant à la rue des milliers de famille, alors que des milliers de logements ont été construits en trop et demeurent inoccupés. La responsabilité de ce qui se passe en Europe doit être partagée et assumée par tous ses membres, y compris l’Allemagne qui a su maintenir son niveau d’excellence grâce à ses partenaires. Au lieu de jouer la division, qui ne signifierait rien d’autre que la fin de l’Europe, les dirigeants auraient tout intérêt à entreprendre de vastes réformes au niveau européen, et ce dans deux directions : au niveau institutionnel en rendant plus démocratique et rapide les processus de décision, et par voie de conséquence, en œuvrant à une refonte des principes économiques entre partenaires, pour éviter des disparités néfastes à chacun.

Il faut reconnaître que ce n’est pas actuellement le chemin retenu, mais que serions-nous dans une Europe à deux vitesses, ou plus concrètement dans deux Europe ? Aurions-nous les capacités suffisantes pour exister à l’échelle planétaire ? L’idée d’une Europe à deux vitesses s’apparente à une longue traversée, où les forts décideraient d’aller plus vite, laissant au passage les faibles sur le bord de la route. Seraient-ils au final toujours aussi forts ? Rien n’est moins sûr. L’Europe est à un tournant de son histoire : elle peut aussi bien s’abîmer que se sublimer.
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