Quel modèle social européen pour l’avenir ?
Si l’on entend construire un modèle social européen pour l’avenir, quels sont les écueils et les scénarios ? La liste des écueils ne saurait être exhaustive. Le premier renvoie, on y reviendra, à l’ambiguïté constitutive de la construction européenne, à savoir la tension entre le national et le communautaire.
Le deuxième écueil est l’hétérogénéité de l’Union européenne. Jamais l’UE n’a été aussi hétérogène que depuis les élargissements de 2004 et 2007. Comment construire un modèle social européen commun à la Bulgarie et au Luxembourg ? Leurs PIB par habitant sont à des années lumière et les difficultés très différentes. Comment instaurer un salaire minimum à tous les pays de l’UE quand le smic français représente un salaire confortable en Roumanie ? De la même façon, le chômage ne frappe pas aujourd’hui de la même façon en Autriche ou en Espagne. Et les Etats membres restent tentés de pratiquer un dumping social et fiscal pour attirer les investisseurs.
Le troisième écueil concerne la faible convergence des bonnes pratiques. La lutte contre la corruption -un phénomène social majeur -constitue un défi pour le développement économique. Les régions éligibles au Fonds de cohésion dans le cadre de l’objectif de Convergence en 2007-2013 se trouvent pour l’essentiel en Europe de l’Est comme en Europe du Sud. Il s’agit de sommes considérables qui peuvent représenter 2 à 5 % du PIB des pays considérés. De quoi nourrir bien des convoitises. Il se trouve que les pays qui reçoivent le plus de fonds sont aussi ceux qui affichent, sauf exception, les niveaux de corruption les plus élevés. Il suffit d’observer le cas grec pour comprendre que la corruption ne favorise ni le développement ni l’équilibre budgétaire. Une étude de l’évolution des pratiques montre cependant que depuis 2004 la corruption régresse lentement dans les deux tiers des nouveaux Etats membres… mais qu’elle progresse chez douze des anciens Etats membres, dont la Grèce, l’Italie, l’Espagne et le Portugal. Or il faut attendre juin 2011 pour entendre la Commission européenne promettre un rapport sur la corruption dans tous les pays membres… à l’horizon 2013.
Dans ce contexte, comment construire un modèle social européen pour l’avenir ? Quel que soit le scénario envisagé, il importe de mettre en acte la solidarité, d’optimiser l’usage des fonds communautaires comme nationaux, et de renforcer la compétitivité des territoires. Il convient de ne pas passer aux oubliettes de la rigueur budgétaire les bonnes résolutions qui avaient été annoncées en 2008 en matière de politique de la population. Tant il est vrai que vieillissement et dépeuplement ne sauraient s’aggraver sans remettre en question les relations entre les générations et aggraver la disparité des territoires. À travers des efforts en matière de formation, il faut augmenter à la fois la productivité, l’employabilité et le taux d’emploi.
Reste cependant à choisir -ou ne pas choisir, mais à quel prix ? -de trancher au sujet de l’ambiguïté constitutive de la construction européenne, à savoir la tension entre le national et le communautaire. Pour caricaturer, deux scénarios sont concevables. Le premier scénario instrumente les difficultés de financement des dettes souveraines pour faire exploser la zone euro, voire l’UE. Porté par des mouvements populistes et souverainistes présentant le retour à une monnaie nationale comme un moyen de reprendre le contrôle des grands paramètres d’une politique économique et sociale, ce scénario irait à l’évidence contre la création d’un modèle social européen puisqu’il s’agirait bien au contraire de diverger.
Le deuxième scénario instrumente les difficultés de financement des dettes souveraines pour accélérer le passage à une Europe fédérale. Cela se fait/ferait à travers le glissement progressif d’un fédéralisme monétaire, via l’euro, à un fédéralisme budgétaire, via le contrôle en amont par Bruxelles de budgets nationaux, pour mettre en place une « gouvernance économique » qui ne saurait avoir de crédibilité sans un fédéralisme politique. Alors que les précédents transferts de souveraineté ne semblent pas avoir fourni les résultats attendus, il reste à prouver que cette option apporterait un mieux à une large majorité des citoyens européens. Or, dans un contexte de crise, le temps du débat démocratique est réduit.