ANALYSES

«La classe populaire est derrière Poutine, ses opposants sont les jeunes des classes moyennes»

Presse
14 décembre 2011
- Atlantico.fr
Les manifestants étaient 50 000 en Russie samedi dernier, le Parti communiste a de nouveau appelé à une mobilisation dimanche… Qui sont ces opposants au régime ?

En premier lieu c’est le Parti communiste russe, justement, la première force politique d’opposition du pays. Ensuite, en observant les images des manifestations, on remarque un certain nombre de drapeaux noir/jaune/blanc qui sont fréquemment l’apanage de l’ultra droite et de groupes nationalistes. On trouve aussi des opposants appartenant au LDPR de Vladimir Jirinovski, ainsi que ceux de Russie Juste et des libéraux.


Ce melting-pot d’appartenances politiques rappelle un peu le mouvement des Indignés où se côtoient souvent des manifestants de tous bords, et où la voix contestataire se répand en partie grâce aux réseaux sociaux (Facebook, Twitter)…

On ne peut vraiment les comparer avec les Indignés. Essayez d’imaginer des militants d’extrême-droite avec les Indignés ! C’est un mouvement globalement de gauche, altermondialiste, alors qu’on parle ici de mouvements essentiellement nationalistes, ou du moins patriotes. Que ce soient les communistes ou les partisans de Vladimir Jirinovski, ils sont à l’opposé du côté angélique et pacifique des Indignés.


Il est vrai qu’un certain nombre se révoltent contre les difficultés sociales auxquelles ils sont confrontés, avec notamment un vote protestataire du Parti communiste. Mais de là à les comparer aux Indignés la marge est trop importante.


Quant aux réseaux sociaux, ils ne changeront sans doute pas grand-chose. Les Russes sont très présents sur ces réseaux et sur Internet en général. Cette contestation sur le net n’est pas neuve et, à ce titre, n’est sans doute pas déterminante.


Le communisme se fait donc entendre. Mais où en est-il exactement en Russie ? Peut-il redevenir une réelle force politique ?

Depuis la fin de l’Union Soviétique, le Parti communiste a toujours été structurellement la deuxième force politique du pays, derrière le parti présidentiel, quel qu’il soit. Il est donc le premier parti de l’opposition. Le score des communistes aux dernières élections législatives (NDLR : 19,2 %) n’est pas surprenant, dans la mesure où le Parti communiste a régulièrement un socle de 20 % des voix aux différentes élections. Il faut d’ailleurs rappeler qu’ils avaient fait 22 % en 1995, et en 1996 Guennadi Ziouganov avait atteint 40 % des voix au second tour des présidentielles.


Pour autant, le communisme en Russie rappelle à tout le monde les millions de morts, la chape de plomb pesant sur la société du temps de l’URSS… Un certain nombre de nostalgiques se revendiquent du communisme et de Staline, mais la plupart des Russes n’ont aucune envie d’y revenir, y compris ceux qui ont voté communiste. Le Parti communisme est certes la première force d’opposition, mais on ne peut imaginer une résurgence massive de cette idéologie dans les urnes. Le « choix » du communisme est aujourd’hui avant tout un vote protestataire.


De quelles couches sociales provient ce vent de protestation ?

Lorsqu’on regarde les manifestants, on voit le traditionnel cortège communiste des retraités, mais aussi un grand nombre de jeunes. Ceux-là sont formés, issus d’une classe moyenne qui vit mieux que n’ont jamais vécu les Russes dans leur Histoire. Ils se révoltent parce qu’ils ne disposent pas du poids politique correspondant à leur pouvoir économique, ont le sentiment que leur avis ne compte pas. C’est l’éternelle histoire : toute bourgeoisie émergente aspire à jouer un rôle politique en accord avec le dynamisme dont elle fait preuve, à peser davantage. La classe populaire, elle, est plutôt derrière Poutine.


Justement, la particularité des mouvements un peu révolutionnaires, comme l’Histoire l’a montré, est qu’ils sont souvent nés dans les classes moyennes plus que dans les milieux vraiment populaires. N’est-ce-pas un signe ?

Un signe de révolution, je ne pense pas. Ces classes moyennes ont émergé depuis 1999 grâce à une croissance économique accélérée. Certes il y a eu un coup d’arrêt en 2008-2009, pendant la crise financière. Mais le bilan économique de Poutine et de Medvedev est largement positif. Que les jeunes défilent dans les rues, contestent, réclament plus de libertés, plus de responsabilités, c’est dans l’ordre des choses. Nous sommes bien placés pour le savoir. Ce n’est pas pour ça que leurs parents, qui ont tiré le diable par la queue pour survivre à la dépression économique des années 90, et qui ont réussi à remonter la pente, sont prêts à les suivre.


Pour eux, que cela plaise ou non, Poutine représente la croissance, le retour de la Russie sur la scène internationale en tant que puissance qui compte. Je les vois mal se lever contre un pouvoir certes autoritaire, mais qui leur a apporté une certaine stabilité, ainsi qu’une prospérité malgré tout indéniable. Alors la réforme oui, la chienlit non.

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