L’UE relance la coopération militaire treize ans après Saint-Malo
Le Royaume-Uni s’est mis, lors du sommet de Bruxelles du 9 décembre, en retrait de l’Union européenne (UE), qui compte avancer sans lui vers une plus grande intégration économique. Quelles sont les conséquences pour l’Europe de la défense ? Est-ce la fin de celle-ci comme l’estiment certains observateurs ? Certainement pas. Depuis le sommet franco-britannique de Saint-Malo le 4 décembre 1998 l’Europe de la défense a progressé. Ce sommet appelait l’UE "à avoir une capacité autonome d’action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises internationales".
Depuis, une analyse détaillée des besoins en capacités a fait apparaître des déficiences dans 64 domaines comme les bombes intelligentes, le système de commandement intégré, ou encore le transport stratégique. Sur ce point, les capacités de déploiement des troupes européennes sont préoccupantes. Avec 1,61 million de militaires en 2010, l’UE ne peut en déployer que 40 à 50 000 pour des opérations de moyenne à haute intensité du type de celle menée en Afghanistan.
Face à cette situation, la création de l’Agence européenne de défense (AED), lancée fin 2003, avait pour but de mobiliser les Etats au service de ces objectifs capacitaires. Elle n’a pas encore donné les résultats attendus mais la situation a évolué récemment.
La Présidence française de l’UE avait donc fait en 2008 une priorité du renforcement des capacités cherchant à promouvoir notamment la projection des forces avec le développement d’une flotte européenne de transport aérien. Paris avait aussi pensé que la réintégration de la France dans le commandement militaire intégré de l’OTAN en 2009 permettrait de promouvoir plus facilement l’Europe de la défense.
Il n’en a rien été et Paris a joué la carte franco-britannique, laissant – temporairement – de côté l’Europe de la défense. Le sommet bilatéral de Lancaster House du 2 novembre 2010 a conduit à un accord de coopération militaire étendu. Elle s’est manifestée dans le conflit libyen. Mais cette guerre a montré les faiblesses des deux pays et de l’UE, notamment en matière de munitions de précision, de surveillance et de ravitaillement en vol. De plus, si l’opération est un succès opérationnel, elle est un échec politique pour l’Europe. Seuls 6 pays européens sur 27 ont participé aux frappes aériennes.
Toutefois la volonté sous la présidence polonaise de l’UE au second semestre 2011 de faire avancer l’Europe de la défense a donné des résultats récents significatifs. La réunion de l’AED, le 30 novembre, a retenu 11 projets de coopération comme la formation des pilotes, le renseignement, les satellites… Certains répondent à des besoins récents comme les bombes à guidage laser qui ont fait défaut côté pendant le conflit libyen.
Dans ce contexte, la coopération franco-britannique bénéficiera-t-elle à l’Europe de la défense ? Les deux sont complémentaires. Comme le souligne le professeur en relations internationales de l’université Yale, Jolyon Hoyworth, les forces nucléaires britannique et française participent à la sécurité collective de l’UE. Et Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’IRIS, estime que "toutes les coopérations engagées entre la France et le Royaume-Uni sont de long terme", notamment sur les futures drones de combat. Cette coopération apparaîtcomme un impératif : " il est plus difficile d’obtenir des progrès à Londres qu’à Paris. Mais on ne voit pas en raison de la crise et des restrictions budgétaires, d’autres alternatives à ce projet ", indiquait Camille Grand, directeur de la FRS.
Il faudra aussi mettre fin au déclin des dépenses de défense à l’œuvre en Europe. A force de tailler dans les dépenses d’équipement, l’UE perdra des capacités militaires. Dépenser mieux les quelques 186 milliards d’euros qu’a consacré en 2010 l’UE à sa défense est nécessaire. Moins de 15 % de cette somme est employée à des acquisitions d’armements modernes. La France et le Royaume-Uni représentent à eux deux 50 % des dépenses de défense de l’Union. Un tel déséquilibre a des conséquences sur les capacités militaires – trop faibles – de certains Etats.
Des projets en "pooling and sharing" ("mise en commun et partage") s’imposent de plus en plus. On en voit d’ailleurs déjà les points positifs dans le cas de l’EATC (commandement de transport aérien européen), lancé en 2010, qui rassemble 4 Etats ; il a permis aux Pays-Bas de faire 20 % d’économies annuelles sur ses dépenses de transport militaire.
Ceci pose aussi la question de l’industrie européenne d’armement qui doit se consolider pour être en mesure de répondre efficacement aux besoins de capacités militaires en pouvant financer les efforts de R&D dans un contexte budgétaire difficile.
Mais il est nécessaire d’avoir des projets d’envergure estime Sven Biscop, directeur de recherche à l’Institut Egmont (Bruxelles) : de ce point de vue, le Conseil des ministres des affaires étrangères de l’UE du 1er décembre 2011 est très positif créant "une dynamique capacitaire" avec des projets en matière de ravitaillement en vol et aussi de futurs satellites de communication. Par ailleurs, ce Conseil insiste aussi sur l’importance d’"améliorer significativement la performance de l’UE en matière de planification et de conduite des opérations civiles et militaires". Le débat sur un quartier général européen, auquel se refuse Londres, est donc relancé.
Dans ce développement capacitaire de l’UE, la France doit jouer un rôle de leader et donner une vision à l’Europe, sur ce que sont ses valeurs, notamment en matière de défense, souligne le général Jean-Paul Perruche, ancien directeur général de l’état-major militaire de l’UE.
A court terme et dans un contexte budgétaire contraint, elle peut favoriser des projets plus modestes. Comme l’a dit Robert Schuman dans sa déclaration du 9 mai 1950 : "L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d’abord des solidarités de fait".