Iran : « Les embargos pétroliers ne servent à rien »
Les pays de l’Union européenne se sont mis d’accord ce lundi matin pour imposer un embargo pétrolier contre l’Iran ainsi que pour sanctionner sa banque centrale afin d’assécher le financement de son programme nucléaire, des mesures inefficaces selon Thierry Coville, spécialiste de l’Iran, chercheur à l’Iris, l’institut de relations internationales et stratégiques.
Oui. Les réactions de l’Iran menaçant à nouveau de fermer le détroit d’Ormuz le montrent. Le pétrole représente 80% de ses exportations, 60% de son budget, donc Téhéran peut considérer que, là, on l’attaque directement.
L’Union européenne veut progressivement arrêter d’acheter du pétrole, alors que ses achats représentent pour l’Iran 20% de ses exportations. Et, du côté américain, le Congrès a voté une loi qui veut interdire à des pays tiers de travailler avec la Banque centrale d’Iran. Or, la Banque centrale est là pour recycler les pétrodollars. Si c’était respecté, ce serait un embargo total sur le pétrole iranien.
Les pays qui importent le plus de pétrole iranien sont les pays qui vont le plus mal en Europe : la Grèce, l’Italie et l’Espagne. Quelque 15% de leur pétrole vient d’Iran, ils doivent donc trouver absolument dans les prochains mois un autre fournisseur. Mais, honnêtement, ils n’ont pas vraiment voix au chapitre lors des décisions actuelles. L’embargo du pétrole iranien est le fait de la France et de l’Angleterre.
Il y a eu un article récent dans le Financial Times, qu’on ne peut pas vraiment soupçonner de sympathie pour la République islamique, qui disait que les embargos pétroliers ne marchent jamais. Déjà, les politiques de sanctions ne fonctionnent pas, et les embargos sur le pétrole encore mois car il y a toujours des pays pour acheter. La Chine notamment a de gros besoins et, si elle peut acheter plus de pétrole iranien pour moins cher, elle ne va pas se gêner. L’Inde ou la Corée du Sud sont dans la même situation.
L’Iran aura peut-être un peu moins d’argent, mais cela ne va pas ruiner son économie. Deuxièmement, on oublie aussi que les exportations non pétrolières de l’Iran, notamment vers l’Irak et l’Afghanistan, sont en augmentation ces dernières années. Ils vendent des produits manufacturés bon marché, notamment du textile bas de gamme, vers des pays qu’ils connaissent bien. Ils font concurrence à la Turquie notamment.
Paradoxalement, cet embargo peut donc rendre service à Téhéran dans le sens où cela l’incite encore plus à développer ses efforts pour être moins dépendant du pétrole.
Non. La Chine ne cèdera jamais là-dessus. Elle pense avec raison qu’on sort de la question du programme nucléaire. Là, c’est une attaque contre le pays, avec l’idée que les gens sortent dans la rue, qu’il y ait des tensions sociales pour entraîner un changement de régime.
Les Indiens trouvent, eux, la politique occidentale vis-à-vis de l’Iran assez enfantine et un peu ridicule. Ils exportent de plus en plus vers ce pays, et ils ont aussi d’énorme besoin en énergie.
Ce sont des pressions amicales. Ils font des lois extraterritoriales et menacent de ne plus travailler avec les pays qui commercent avec l’Iran. Le Japon, du fait de l’histoire, peut être sensible à ces pressions. Les rapports de force avec la Chine ou l’Inde ne sont pas les mêmes.
La caractéristique de ce régime est que les hommes forts se tirent en permanence dans les pattes. Cependant, toute pression extérieure peut aussi rassembler le régime et renforcer le nationalisme contre l’ennemi commun. Cela renforce les extrêmes, ceux qui disent : «Voyez, on ne peux pas faire confiance aux Occidentaux, on ne peut pas négocier avec eux.»
Sur le nucléaire, depuis le début des sanctions, l’Iran est passé de 3% d’enrichissement à 20%. Les faits sont là. Le gouvernement iranien est allé tellement sur loin sur ce sujet qu’il serait compliqué pour lui de revenir en arrière.