La diplomatie de Benyamin Nétanyahou. L’art de la fabrication de l’ennemi
La paix ne fait pas recette au Moyen-Orient. Qui sont les ennemis et quelle est la réalité de la menace ?
Il faut reconnaître à M. Nétanyahou la constance de sa ligne diplomatique à l’égard du problème palestinien. Lorsqu’il accède pour la première fois au poste de chef de gouvernement en 1996, quelques mois après l’assassinat d’Itzhak Rabin par un extrémiste juif il s’oppose aux accords d’Oslo et refuse de discuter du statut de Jérusalem pourtant inclus dans les négociations. Il a toujours entendu conserver le contrôle sur la Cisjordanie pour protéger les colonies dont il favorise par ailleurs le développement. Il démissionne en 2004 du gouvernement Sharon pour protester contre le plan de désengagement de Gaza. Enfin, il s’oppose à la création d’un Etat palestinien. Investi pour la deuxième fois en mars 2009 avec une faible majorité, il doit accorder une place significative aux nationalistes et aux ultra-orthodoxes encore moins prêts à la négociation que lui.
Le recours à la force et l’intransigeance sont un mode de comportement. Il est l’homme de l’intervention au Sud Liban de 1998 à 2000, dont le retrait ne sera décidé que par son successeur. Il décide de l’opération « Plomb durci » qui fait 1400 morts (Palestiniens) et de la réaction brutale déployée contre la flotte humanitaire turque, forçant le blocus de Gaza (9 morts) et provoquant ainsi une crise grave avec la seule puissance régionale amie, la Turquie. Il n’est pas le fondateur du mur de 700 km qui encercle les villages palestiniens sur leur propre territoire, rendant inviable toute forme d’entité palestinienne à venir, et il explique qu’il pourra le détruire et reprendre des négociations des que le terrorisme aura cessé. Mais comme il continue à encourager la colonisation (dont l’arrêt est demande comme préalable aux négociations par l’autorité palestinienne) il démontre ainsi son intention de ne rien négocier. Preuve en est la réaction disproportionnée prise à la suite de l’entrée de la Palestine à l’UNESCO (instance internationale sans grande importance, il faut bien le dire !), décidant unilatéralement d’un gel des avoirs dus à l’Autorité et la reprise de la colonisation, mesures sans aucun rapport avec la décision de l’organisation située à Paris. Même Washington a protesté contre la mesure de gel financier ! Universellement condamné pour la brutalité de l’opération « Plomb durci » et du blocus de Gaza, M. Nétanyahou décide alors « d’assouplir le dispositif qui permet aux biens civils de pénétrer dans la bande de Gaza et d’accroître le flux de matériaux nécessaires aux projets civils sous supervision internationale ». La liste des « biens civils » autorises concerne une centaine de produits (aliments, ustensiles de cuisine, matelas, jouets, articles de papeterie et torchons), alors que les matériaux de construction manquent cruellement depuis les destructions.
Menahem Begin négociait des « Territoires contre la Paix » avec l’Egypte ; Rabin accepta l’instauration de l’Autorité palestinienne et signa la paix avec la Jordanie. Benyamin Nétanyahou défend quant à lui depuis longtemps l’idée de « la Paix par la Sécurité ». C’est donc un homme recherchant une « Paix d’Empire », comme aurait dit Raymond Aron, arguant continuellement de l’insécurité pour refuser les négociations. Mais qu’est-ce que la sécurité, quand on dispose de la force ! Il y a quelques années, une publicité pour des couches pour bébé utilisait ce slogan étonnant : « Même quand c’est mouille, c’est sec ! » Le slogan pourrait être repris par M. Nétanyahou qui selon ses propres dires, appelle l’Autorité palestinienne à venir à la table des négociations « sans condition » c’est à dire grosso modo sans demander aucune concession à Tel-Aviv. Même quand il prétend reprendre le dialogue, il n’y a rien à négocier.
Nétanyahou est donc un homme qui, n’ayant aucune raison valable pour ne pas négocier réellement avec l’Autorité palestinienne, a grandement besoin d’un ennemi lointain arguant continuellement de l’insécurité pour refuser toute concession. Les difficultés s’amoncellent contre le gouvernement. Face aux indignés de Tel-Aviv qui proposent depuis mi-juillet un autre projet de société, il ne veut pas entendre parler de coupes dans le budget de la Défense. Certains commentateurs de l’opposition pensaient d’ailleurs que le Premier ministre pourrait détourner l’attention des questions sociales en jouant la carte de la « menace palestinienne ». Ils se trompaient, c’était la menace iranienne qu’il fallait entendre ! Comment interpréter autrement l’annonce publique de la nécessité d’une action guerrière contre l’Iran, avant même que le rapport de l’AIEA ne soit sorti.
Begin prenant très au sérieux l’armement non conventionnel irakien et les discours antisionistes de Saddam, ordonna en 1981 le bombardement du réacteur Osirak construit par la France. Il annonçait déjà « À aucun prix Israël ne permettra à un ennemi de développer des armes de destruction massive qu’il pourrait utiliser contre notre peuple ». Dès son élection, Nétanyahou a repris ce thème, mais à propos de l’Iran : « Israël traverse une période cruciale et doit faire face à des défis colossaux. L’Iran cherche à se doter de l’arme nucléaire et constitue la menace la plus grave pour notre existence depuis la guerre d’indépendance ». L’existence d’une menace extérieure, autre que palestinienne a été une réalité de l’histoire d’Israël. Mais elle a eu des natures très différentes et la situation actuelle est fondamentalement nouvelle. Les traités de paix avec l’Egypte et la Jordanie, la disparition de Saddam Hussein et de Kadhafi les accords d’Oslo et enfin la vague du « printemps arabe », qui est en train de réduire à néant le pouvoir du dictateur syrien, créent un contexte bien différent de ce qu’il fut précédemment, et dont les alliés d’Israël ne peuvent pas ne pas tenir compte. L’annonce de l’imminence du programme nucléaire iranien commence dès 1992, c’est-à-dire un an après l’annihilation quasi complète des moyens militaires irakiens durant la guerre du Golfe et la mise en place d’un dispositif, inconnu jusque-là, de démantèlement des programmes non conventionnels de Bagdad. Depuis cette date, et selon un rituel bien rodé, le programme iranien est annoncé comme imminent par les « commentateurs », c’est-à-dire près d’aboutir à la mise au point d’une tête nucléaire dans l’année ou les deux années qui suivent. On a donc eu l’annonce de la conclusion du programme pour 1994,1996, 2002, 2006, 2010… et maintenant ? Apres les mensonges de l’équipe de G. W. Bush sur les armes de destruction massive irakiennes les annonces de ce genre laissent planer des doutes quant à la crédibilité émanant des mêmes « experts ». L’AIEA a réalisé près de 4000 inspections menées en Iran, et le rapport actuel ne fait que confirmer ce qu’on savait déjà. Le programme nucléaire iranien est une réalité, mais encore faut-il en comprendre la raison avant de définir une ligne diplomatique. L’Iran, depuis soixante ans – depuis le coup d’Etat organise en 1953 par la CIA contre le Premier ministre élu Mossadegh -, n’a cessé d’être victime d’ingérences extérieures. En 1979, la jeune révolution a été attaquée par l’Irak soutenu par l’ensemble des pays occidentaux, y compris pour ses programmes d’armes de destruction massive. Téhéran peut difficilement croire à la bonne volonté des puissances occidentales pour garantir sa sécurité. Il faut rappeler que l’ensemble de celles-ci a sanctionné et mis sous embargo l’agressé (l’Iran) et non l’agresseur (l’Irak), une grande première en droit international dans un conflit qui fut une saignée démographique comparable à celle de la guerre de 1914-1918 pour la France. Faire la guerre à une révolution renforce les extrémistes, la France le sait bien. Shirin Ebadi parle, à propos de la diplomatie occidentale à l’égard de la révolution khomeyniste, du « syndrome de Frankenstein », l’accusant d’avoir aidé à la naissance d’un monstre dont elle voudrait aujourd’hui se débarrasser. Le programme nucléaire lancé par ceux qu’on appelle dans les chancelleries les « modérés » vise d’abord à la sanctuarisation du territoire plutôt qu’à une agression extérieure qui se conclurait indubitablement par la destruction totale du pays. Selon les experts du nucléaire, Israël dispose d’un stock de têtes nucléaires vectorisées variant entre 70 et 200. Dénoncer la menace venant d’un pays qui n’a ni la bombe ni le vecteur, est ce crédible ? Pas maintenant en tout cas ! La menace d’une action militaire préventive est devenue un rituel lié à une politique d’annonce, soit publique, soit confidentielle, auprès des chancelleries occidentales rappelant ainsi les alliés à leurs obligations de solidarité, et les contraignant dans leurs initiatives à l’égard de Téhéran.
Confrontées à la montée des communautarismes, en particulier de jeunes musulmans qui transportent le conflit israélo-arabe à l’étranger, certaines instances représentatives des communautés juives, importantes aux Etats Unis et en France, ont la tentation de jouer la même partition a rencontre de toute critique, aussi bénigne ou légitime soit elle, vis-à-vis d’Israël. Si elle émane de non-juifs, elle est taxée « d’antisémitisme », comme le fut l’ignoble campagne d’accusation à l’encontre de Pascal Boniface, il y a quelques années. Si la critique émane d’intellectuels juifs comme Edgar Morin, on brandit le stupéfiant concept de « haine de soi ». À cette aune, la France serait composée de 60 millions de malades. Aux Etats Unis, quand Jimmy Carter, ancien président des Etats-Unis, publia un livre – au titre (probablement excessif) Palestine la paix, pas l’apartheid ! – dénonçant en particulier le tracé du Mur, l’Anti-Defamation League l’accusa d’être antisémite, sans jamais intenter une action en justice. Certains intellectuels se prêtent à ce jeu Bernard-Henri Levy, dans une revue américaine proche des néo-conservateurs, commentait le livre Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine, écrit par un universitaire américain juif lui-même (1), qui critiquait le comportement excessif de certains responsables communautaires : « Nous avons le cas étrange (…) du best-seller de Mearsheimer et Walt (…), livre si terrible que je suis sûr qu’aucun éditeur français n’aurait osé le publier (…). Parce qu’en France, nous connaissons déjà trop bien cette rhétorique des fauteurs de guerre (…), celle de L. F. Céline dans ses pires propos antisémites. C’est considéré en France comme une diffamation » disait notre philosophe national, comparant son coreligionnaire à Louis-Ferdinand Céline. L’ouvrage a été évidemment publié en France en 2007 et personne ne l’a jamais attaqué.
Le basculement progressif d’une partie de la Diaspora vers les thèses de l’extrême droite des néo-évangélistes américains ou du Front national en France est un effet miroir des évolutions politiques en Israël. Avigdor Liberman, plusieurs fois ministre, à la tête du troisième parti politique de la Knesset et connu pour ses déclarations racistes à l’encontre des Arabes israéliens ou en faveur d’un redécoupage des frontières de 1967, aurait une place de choix au Front national en France. Certains intellectuels juifs parmi les plus brillants, comme Michel Wieviorka, s’inquiètent de ces rapprochements : « Quelques-uns sont tentés de rejoindre idéologiquement le Front national dans sa haine des Arabes, des musulmans ou des migrants maintenant que ce parti semble se détacher de toute expression antisémite. Honte à eux ! », écrit-il dans la revue L’Arche.
Les alliés sont condamnés (ou se condamnent) au silence. Quand Obama a évoqué pour la première fois, en mai 2011, (l’hypothèse d’un Etat palestinien sur la base des frontières de 1967, il s’est fait immédiatement rappeler à l’ordre par le Premier ministre israélien, qui exclut que des « centres majeurs de population israélienne en Judée Samane (Cisjordanie) se retrouvent de l’autre côté de la frontière ». On ne peut être plus clair ! Les signes d’irritation des alliés à l’égard d’une telle intransigeance se multiplient. Même Paris a voté pour l’admission du nouveau candidat à l’UNESCO ! Ces excès conjugués sèment les germes d’une véritable crise de confiance internationale Les premiers indices étaient déjà sensibles dans le rapport du Groupe d’étude sur l’Irak (2006) – coprésidé par l’ancien ministre des Affaires étrangères républicain, James Baker, et le démocrate Lee Hamilton – qui prônait des pourparlers directs entre Israël, le Liban la Syrie et les Palestiniens James Baker revient à la charge le 2 décembre 2011 en déclarant « Pour parvenir à un accord au Moyen Orient le gouvernement israélien doit être prêt à s’avancer pour établir la paix, comme l’avait fait Itzhak Rabin. Je suis désolé que cela ne s’applique pas à l’actuel gouvernement israélien. » Le chef du Pentagone lui-même, Leon Panetta, déclare le vendredi 2 décembre dans une conférence à la Brookings [Institution, NdlR] « Israël doit agir pour sortir de son isolement dans la région », évoquant les relations tendues depuis plusieurs mois entre Israël, l’Egypte et la Turquie. S’il est un Etat dont la légitimité ne peut être contestée, c’est Israël, les Occidentaux ayant démontré leur solidarité avec Tel-Aviv en de multiples occasions. Mais les erreurs cumulées de Benyamin Nétanyahou et de certains représentants de la Diaspora, par leurs excès, sapent progressivement les fondements mêmes de cette légitimité. Ce n’est pas l’auteur de cet article qui le dit, c’est Tzipi Livni, au cours d’un déjeuner à Paris le mois dernier. L’affaiblissement général des régimes arabes environnants permet aujourd’hui plus que jamais de construire avec les Palestiniens une paix durable. La « Danse du Sabre » que joue M. Nétanyahou face à un compétiteur de choix le président iranien Ahmadinejad est extrêmement risquée. La « guerre préventive » a fait des dégâts effroyables en Irak que dire de ceux qu’elle aurait sur l’Iran ? Même Alain Juppé met en garde ! 2012 étant année électorale dans les grands pays occidentaux, aucune initiative diplomatique n’est prévisible, bien au contraire, et tous les candidats républicains américains en rajoutent dans le discours de l’ennemi sur l’Iran et dans la solidarité avec Israël. Les premières élections démocratiques du monde arabe portent au pouvoir des partis islamistes qui n’observeront probablement pas, à l’égard d’Israël, la même ligne diplomatique que Moubarak ou le roi de Jordanie. Il sera bientôt trop tard pour regretter d’avoir laissé passer les occasions de négocier réellement avec l’Autorité palestinienne en jouant la politique du pire en position de force.
Ce texte est donc la chronique d’une guerre annoncée, tous les ingrédients étant dorénavant réunis.