« On a lissé un peu la façade »
Le politologue Jean-Yves Camus et spécialiste de l’extrême-droite analyse les rouages et les enjeux de la première campagne présidentielle de Marine Le Pen.
Incontestablement, je crois qu’il y a un problème avec la récolte des parrainages. Le parti de Marine Le Pen, ayant beaucoup moins d’élus locaux que les grandes formations politiques, est obligé de démarcher auprès des maires apolitiques. Or beaucoup d’élus ne veulent pas prendre le risque de voir leur nom publié. Cela les stigmatiserait aux yeux d’une partie de leurs administrés. Et puis, les appareils des grands partis ne font pas, du moins pour l’instant, un effort particulier pour que Marine Le Pen puisse être présente au premier tour.
Il faut avoir une réflexion de fond sur le système des parrainages. Revenir à la question initiale : pourquoi ce système avait-il été conçu ? Pour limiter les candidatures fantaisistes. Est-ce que les candidatures de mouvements différents des quatre principales formations sont des candidatures fantaisistes ? Je n’en suis pas persuadé. Il existe des familles politiques, elles ont le droit d’être représentées. C’est vrai aussi bien pour ce que l’on appelle la gauche radicale que pour des formations de droite radicale. Ensuite, est-ce que cela fait plaisir ? C’est une question que chaque citoyen doit juger en son âme et conscience. Mais, on ne peut pas tordre la règle démocratique en fonction de ses préférences personnelles. Dire qu’un parti qui recueille 18% des intentions de vote à la présidentielle ne doit pas être présent au premier tour me paraît un peu excessif et sûrement pas très adroit.
Si cette hypothèse se vérifiait, la partie de l’électorat frontiste, qui est certaine de voter pour Marine Le Pen, y verrait le résultat d’un complot de la classe politique et le ferait payer à la présidentielle puis aux législatives.
Elle l’aborde après avoir passé un cap difficile. A savoir l’élection à la présidence du parti dans une configuration un peu inédite puisqu’il y a eu un vote des militants qu’elle a gagné haut la main. Elle a donc réussi à maintenir la cohésion du mouvement. Puis, elle est parvenue à imprimer sa marque sur un certain nombre de questions dont celle de la place de l’Etat, même si les fondamentaux sont toujours là. Et, elle a évincé une partie des éléments les plus radicaux. Cela ne veut pas dire que le FN est un parti semblable aux autres partis de droite. On a simplement lissé un peu la façade.
Il ne suffit pas de se dire dédiabolisé pour l’être. Pour l’instant, ce parti n’est pas considéré comme un parti de droite comme les autres. Et c’est l’attitude de la droite qui compte. C’est de savoir si elle aura à l’avenir la même attitude à l’égard du FN que celle des appareils politiques nationaux de la droite de gouvernement ou si au contraire ce que l’ancien patron des Renseignements Généraux a déclaré, à savoir qu’il n’avait plus lieu de tenir le cordon sanitaire, deviendra la doctrine officielle.
Sur la question de l’Etat incontestablement. Le vieux fond d’idées libérales, voire ultra libérales qui était celui du FN du temps de Jean-Marie Le Pen a cédé la place à ce martèlement du thème de l’Etat stratège et protecteur. On sent bien également que la présidente frontiste a évolué en mettant la question de la réindustrialisation au centre de sa campagne. Sa cible étant les catégories populaires. Ceux qui n’ont plus confiance dans aucune des deux grandes familles politiques qui ont alterné au pouvoir. Ceux qui ont voté pour Nicolas Sarkozy il y a cinq ans et qui, comme le soulignait la politologue Nonna Mayer dans Libération (6/02/2012), ont “des regrets à la hauteur de leurs espérances de 2007”. Tous ceux qui ont cru au “travailler plus pour gagner plus”, les plus touchés par la mondialisation libérale, par le chômage ont vu quelle était la réalité des slogans de l’UMP en 2007. Il n’est pas certain qu’ils rééditent leur vote pour le président sortant. Alors, cela ne veut pas dire nécessairement qu’ils voteront pour Marine Le Pen. Une bonne partie de ce vote peut se réfugier dans l’abstention. L’abstention est d’ailleurs l’un des adversaires du FN.
Le terme de rabatteur ne rend pas compte de la réalité. Car une partie de la droite croit, et cela bien avant le mandat de Nicolas Sarkozy, que pour réduire l’extrême droite à son étiage minimum, il faut aller sur ses thèmes de campagne et utiliser ses termes de langage. Or, l’histoire des vingt dernières années prouve que cela n’a marché qu’en 2007. Charles Pasqua et les valeurs communes avec le FN n’ont pas empêché Jean-Marie Le Pen d’être présent au second tour en 2002. Au fond, on a affaire à un électorat frontiste pour lequel, sur les questions qui donnent lieu au maximum de surenchères comme la sécurité ou l’immigration, la droite de gouvernement n’en fait jamais assez. Par exemple sur l’identité nationale : le gouvernement oscille entre le fait de répéter que la nationalité française peut s’acquérir quelles que soient les origines, et la stigmatisation d’un certain nombre de catégories, comme les Roms ou les Comoriens. Mais la doctrine du FN, c’est autre chose. C’est la fin du droit du sol, l’interdiction de la double nationalité, la préférence nationale rebaptisée “priorité nationale”.
Il parait ne jamais aller assez loin. Et puis, aux yeux des électeurs frontistes, la droite de gouvernement a une tare contre laquelle elle ne peut pas lutter : elle est une partie du système. Et la détestation de nos élites, le sentiment d’un fossé grandissant entre le peuple et les élites sont au cœur du vote frontiste. C’est aussi un problème pour la gauche d’ailleurs, dans la possibilité de reconquérir l’électorat populaire.
Elle a évité de la placer au centre du débat, en ne tombant jamais dans la surenchère ou dans l’emprunt de ses thèmes de prédilection. Tout dépend ensuite de quelle famille de la gauche on parle. Mais elle a donné des signes de prise en compte du malaise des catégories populaires face aux effets de la mondialisation. Ce sont les déclarations de François Hollande sur la finance et celles de Jean-Luc Mélenchon sur les marchés.
Je le pense d’abord parce qu’elle aura largement l’âge d’être candidate. Ensuite parce qu’en 2017, Nicolas Sarkozy ne sera pas le candidat de la droite. Le candidat de la droite n’aura peut-être alors plus la même capacité à rassembler ou peut-être plus les mêmes prévenances vis-à-vis du Front. Parce que je continue à penser que Nicolas Sarkozy n’aime pas le FN. Et puis évidemment, il y a un scénario privilégié qui est celui où le président actuel n’est pas réélu et où l’UMP implose et la droite se recompose.
Si l’aile droite de la majorité présidentielle sent qu’il y a une pression de la base pour aller dans ce sens, je pense que la région Paca sera le laboratoire de ce type de discussion.
Le mouvement est bien malade. Il y a un phénomène de démobilisation qui date de 2007 et de la rapidité avec laquelle dans tous les milieux, on a enterré le FN. Nicolas Sarkozy lui avait porté un coup quasiment mortel. Beaucoup de militants des réseaux antifascistes sont alors passés à d’autres types de mobilisation dans le tissu associatif, les luttes sociales. J’avais d’ailleurs expliqué dans ces milieux, et cela avant 2007, qu’il fallait compléter l’engagement antifasciste par un engagement social car c’est la question sociale qui fait le FN. Aujourd’hui, tout est à reconstruire.