La nouvelle course aux ressources
Durant les années 1990 et le début des années 2000, la géopolitique des ressources avait quasiment disparu de l’horizon intellectuel des décideurs. Mais la montée progressive du prix de l’énergie, qui a culminé en 2008, et les émeutes de la faim, la même année, ont remis pleinement cette question au coeur de la politique internationale. C’est ce que rappellent Bastien Alex et Sylvie Matelly à l’orée d’un passionnant dossier intitulé "Matières premières et relations internationales", dans le dernier numéro de La Revue internationale et stratégique. Sans prétendre être exhaustif, ce bouquet d’articles dessine bien les principaux axes de réflexion que sous-tend la question des ressources naturelles, qui regroupent les matières premières agricoles et les énergies fossiles.
Le premier est l’affirmation nouvelle de stratégies étatiques pour s’assurer la maîtrise des divers types de ressources. Sont ainsi détaillées les politiques très volontaristes de la Chine sur les terres rares, de la Russie sur le gaz ou des riverains de l’Arctique pour les hydrocarbures que recouvre cet océan. Ces dynamiques peuvent conduire à des rapports de forces nettement affirmés, comme lorsque la Chine a utilisé en septembre 2010 son quasi-monopole sur les terres rares pour faire plier le Japon à propos d’un litige maritime ou quand la Russie a coupé l’approvisionnement en gaz de l’Ukraine, début 2006. De ce point de vue, plusieurs auteurs soulignent la position de faiblesse dans laquelle se trouve l’Union européenne (et à un moindre degré les Etats-Unis), du fait de l’abandon d’une politique étatique de contrôle des ressources pour se reposer sur les grandes entreprises et les mécanismes de marché. Comme l’écrit Yves Jégourel, "la volonté européenne de limiter l’action des Etats dans la sphère économique au profit de la libre concurrence n’est pas toujours de nature à renforcer la capacité des nations à se prémunir contre les offensives menées par les pays utilisant les armes offertes par le capitalisme d’Etat".
Un autre axe de réflexion porte sur la modification des flux de ressources : au traditionnel schéma Sud-Nord – richesses des pays du tiers-monde vers les nations occidentales – se superpose un schéma de circulation Sud-Sud, orienté de l’Amérique latine, de l’Afrique et de l’Australie vers l’Asie, et, en premier lieu, la Chine. Un nouveau phénomène devrait se développer, l’autoconsommation par les détenteurs des ressources de celles-ci (par exemple pétrole par les producteurs du Moyen-Orient, ressources minérales par les pays africains), ce qui devrait limiter peu à peu la part disponible pour les pays extérieurs.
Enfin, quoique la question ne soit pas abordée spécifiquement, le problème écologique s’introduit dans toutes les dimensions de la querelle des ressources : soit que les pollutions pèsent au niveau de l’exploitation ou au niveau planétaire par les émissions de gaz à effet de serre, soit que, paradoxalement, le réchauffement climatique facilite l’accès aux ressources dans des zones comme l’Arctique. L’équilibre entre la course aux ressources et les conséquences écologiques de leur production et de leur consommation est loin d’être clairement analysé : mais du moins le champ est-il ouvert.
Ce dossier très riche alimente aussi une réflexion spécifique sur la politique de l’Europe, continent sans doute le plus démuni de ressources énergétiques, et dont la relation avec la Russie, si riche en gaz, est réellement cruciale : comme le souligne Christophe-Alexandre Paillard. "La Russie est, d’une certaine manière, un passager clandestin de l’Union, codécisionnaire sans en être membre."