Il faut retrouver une dynamique commune en faveur de l’élargissement
La crise est désormais le ressort quasi-exclusif de l’ensemble des décisions prises au niveau européen. En quelques années, elle est ainsi venue remettre en cause les deux politiques qui avaient toujours été présentées comme les principales réussites de l’UE : la création de la monnaie unique, parangon de la stabilité économique, et l’élargissement, producteur de normes et vecteur de démocratisation. Après un énième plan de sauvetage de la Grèce qui ne semble toujours pas en mesure d’assurer le maintien du pays au sein de la zone euro, les populistes se déchainent, faisant d’une pierre deux coups : pointer du doigt l’échec relatif de l’intégration monétaire tout en critiquant les pays candidats et leur incapacité à atteindre les standards européens.
On ne peut évoquer les conséquences de la crise sur l’élargissement sans préciser au préalable que ce dernier n’avait pas besoin d’une récession mondiale pour être décrié. En effet, la récente ratification du traité d’adhésion de la Croatie et l’attribution du statut de candidat à la Serbie ne suffisent plus à masquer les déconvenues d’un processus qui ne fonctionne plus qu’au ralenti, en témoignent, pour des raisons différentes, les cas turc, macédonien, albanais, kosovar et bosnien. Entre les institutions européennes et l’opinion publique, les divergences sur ce dossier se constatent chaque semestre, lors de la publication des résultats des sondages eurobaromètres, dans les Etats membres, mais aussi, fait récent et plus inquiétant, chez les postulants.
En effet, l’UE n’est aujourd’hui plus, pour ces derniers, le point d’ancrage irrésistible vers lequel tous les regards convergeaient jadis. Incapable d’apparaître comme un bouclier efficace face à la crise, elle n’a pu empêcher le renforcement de ce sentiment de rejet que l’on voyait poindre il y a peu.
Déjà, à la veille de la vague d’élargissement de 2004, parmi les dix pays concernés, huit voyaient le soutien de leur population à l’intégration ne pas dépasser les 50%. Ainsi, dans les Balkans, à la critique souverainiste de droite, nationaliste, dure, est ici venue s’ajouter – notamment chez les jeunes – celle de la gauche radicale anticapitaliste, phénomène dont l’ampleur a été sous-estimée par les décideurs politiques. Le déficit démocratique, l’ultralibéralisme, la rigueur budgétaire et les plans d’austérité sont désormais les paramètres structurants de la réflexion de ces eurosceptiques qui n’acceptent plus que l’on dénigre la possibilité d’une alternative à l’UE.
Le drame de la Grèce est passé par là, ébranlant l’idée d’une solidarité européenne effective dans les pays candidats qui n’ont aucune envie de prendre la place d’Athènes, le mauvais élève, auquel trente ans de présence au sein de l’Union n’ont pas permis d’éviter le naufrage. De même, la Turquie, galvanisée par sa réussite économique, a commencé en 2011 à parsemer son discours de références à un éventuel refus d’intégrer une UE en perte de vitesse, décision présentée comme préjudiciable pour l’UE dont Ankara a le potentiel pour être un contributeur net dans l’avenir.
La question n’est donc pas de savoir si l’élargissement est toujours pertinent en temps de crise, mais plutôt de comprendre pourquoi et comment des populations auxquelles nous avons vendu pendant vingt ans, et présenté comme le principal vecteur de démocratisation et de prospérité économique, ce projet d’adhésion, n’en veulent plus, ou ne l’acceptent qu’après une consultation dont l’insignifiante participation (moins de 45% de votants en Croatie) illustre le désaveu.
Si certains pays développés avaient à l’époque fait montre de leur réticence à l’adhésion (Royaume-Uni), ce sentiment s’est donc aujourd’hui étendu aux candidats d’un niveau de développement inférieur, et c’est ici le principal enseignement à tirer des dix dernières années de politique européenne en ce domaine. La part de responsabilité des élites est importante, et cela ne devrait pas s’arranger. Le vieux discours anti-européen, surfant sur la crise, est plus que jamais partie intégrante du logiciel de la droite européenne, comme vient de le démontrer le candidat Sarkozy lors de son meeting de Villepinte.
Comment promouvoir l’élargissement lorsque l’on remet en cause les accords de Schengen, sous couvert d’en discuter le fonctionnement ? Nous ne sommes ici plus dans le politique mais dans la communication, le symbole et l’idéologie. En ce sens, c’est avec humilité et une véritable démarche de remise en question que l’UE doit repenser sa politique d’élargissement dont les résultats ne sont plus satisfaisants, et remettre la construction européenne sur ses pieds. Si l’on ne peut convaincre les eurosceptiques, essayons a minima de ménager les eurodéçus.