L’Europe a sa part de responsabilité
L’Europe occidentale a la mémoire sélective et courte. Là voilà qui tire la sonnette d’alarme sur une "vague brune" qui s’étendrait de la Hongrie à la Grèce en passant par Belgrade. Manière de laisser entendre qu’au centre et au sud-est de notre continent, l’ethos démocratique serait encore sous la pression de maux ( le nationalisme, l’irrédentisme, le poids de la religion dans la construction de Nation, la xénophobie) que nous aurions pour notre part éradiqués. Comme si l’Union européenne avait pour mission, en s’étendant à l’Est, d’apporter aux pays concernés la conception post-moderne de l’identité qu’elle a bien du mal à gérer à l’ouest.
Le mouvement national-populiste qui inscrit l’extrême-droite, dans la longue durée, comme une famille politique importante démarre en Scandinavie, remporte des succès électoraux précurseurs en France, en Belgique et en Autriche. L’extrême- droite participe à des gouvernements en Italie dès 1993 puis en Autriche (2000) et aux Pays-Bas (2002). Nous ne pouvons donc pas faire comme si le mal ne venait pas de chez nous.
Remarquons aussi qu’avant les élargissements de 2004 et 2007 l’extrême-droite avait participé au gouvernement roumain et slovaque sans que l’Union européenne en fasse un obstacle à leur adhésion. Elle n’a pas davantage considéré que le respect effectif du droit des minorités ou la fin des revendications irrédentistes, devaient en être un préalable. Alors pourquoi ce saisissement soudain devant la percée électorale de l’Aube dorée, la réforme constitutionnelle hongroise où l’élection du président Nikolic ?
Etats-Nations encore récents, les pays d’Europe centrale et des Balkans veulent que soient prises en compte les spécificités de leur passé. Dans les cas hongrois et serbe, celui-ci inclut un traumatisme dont l’Europe (et les Etats-Unis) sont pour partie responsables, par l’amputation territoriale imposée par le traité de Trianon et l’intervention militaire de l’OTAN contre Belgrade.
En votant Orban ou Nikolic, les citoyens hongrois et serbes ne signifient pas leur rejet de l’Europe mais rappellent que leurs jeunes Etats ne sont pas arrivés à l’ère du "post-national" et que leur indépendance est encore trop récente pour qu’ils soient déjà prêts à consentir des abandons de souveraineté. Le véritable problème dans ces pays, comme dans l’ensemble de la région, est la difficulté à faire émerger une notion contractuelle, volontariste de la citoyenneté, détachée des déterminants ethnique et religieux. Or l’Union européenne semble privilégier la construction du marché européen, la contrainte budgétaire et les aspects économiques de son fonctionnement au détriment des valeurs fondatrices.
Ceci nous conduit directement à la situation de la Grèce. Mouvement authentiquement néo-nazi, l’Aube dorée existe depuis le début des années 80. Lors des élections de 2009, elle demeurait au stade groupusculaire avec 0,29% des voix. Peut-on sérieusement croire qu’en trois ans, près de 7% de nationaux-socialistes convaincus ont émergé en Grèce ? En même temps que l’Aube dorée progresse, l’autre parti d’extrême-droite grec, LAOS, chute de 5,63 à 2,9%. L’explication est limpide : alors que les néo-nazis ont fait campagne contre l’Europe et le plan d’austérité qu’elle impose, LAOS a brièvement participé au gouvernement Papademos et a payé au prix fort son acceptation, avant rétractation, de la purge financière imposée par l’UE et le FMI. Ces deux instances semblent ne rien vouloir entendre du vote du peuple grec. Le politiquement correct du moment est de s’alarmer du néo-nazisme à Athènes et d’y amalgamer, de manière stupéfiante, la percée électorale d’une gauche radicale qui a pourtant réaffirmé son souhait que la Grèce reste dans l’Europe. A ce compte, le scrutin du 17 juin risque de confirmer le score de l’extrême- droite radicale.
Il ne suffit pas, en effet, de multiplier les références aux valeurs de l’Union. Encore faut-il déterminer si elles ont la prééminence sur la nécessaire élaboration d’une politique économique commune ou si elles ne lui sont que subordonnées. Il faut admettre que l’intégration a eu un coût social élevé – et la Serbie passera aussi par là- mal préparé, non corrigé par des politiques d’égalité et de redistribution et qu’elle a été le moyen d’enrichissement non contrôlé d’élites dont le pro-européisme apparaît aux peuples comme bien intéressé.