La Russie n’est pas une alliée, mais elle peut être une partenaire.
Aborder les relations de la France avec la Russie – mais c’est exactement le même problème avec la Chine -, revient souvent à se faire présenter deux politiques alternatives possibles, entre lesquelles il faut choisir.
La première consiste à placer les principes moraux au premier plan, à dénoncer la violation des droits de l’homme et les atteintes à la démocratie dans ce pays ou à critiquer le soutien qu’il peut apporter à des régimes répressifs sur le plan international. La seconde prenant en compte l’importance stratégique du pays, son statut au Conseil de sécurité, notre dépendance énergétique à son égard et l’attractivité de son marché conduiraient à ne jamais mettre en avant des différences d’appréciation et encore moins exprimer publiquement de vives oppositions. Une approche morale opposée à une approche réaliste, bref l’éternel dilemme weberien entre l’éthique de responsabilité et celle de conviction.
Mais la vie internationale réelle ne s’enferme pas dans un découpage aussi manichéen. Il serait bien sûr confortable de partir du principe qu’intellectuels et éditorialistes n’en ont rien à faire des réalités de terrain, tandis que les dirigeants n’ont pas à se préoccuper de principes moraux. Nicolas Sarkozy donne un exemple de celui qui est passé d’un statut à l’autre. Candidat à l’élection présidentielle et soucieux de plaire aux intellectuels médiatiques, il avait annoncé qu’il ne serrerait jamais la main à Poutine. Devenu président de la république, il fut le premier chef d’État d’un pays de l’OTAN à fournir des matériels militaires majeurs à la Russie, et entretient d’excellentes relations avec les dirigeants russes.
Mais doit-on se résigner à cette dichotomie de posture, liée à une dichotomie de statut ? Mitterrand a su prononcer le nom de Sakharov au Kremlin alors que celui-ci était encore assigné à résidence, sans que cela ne déclenche une crise majeure entre Moscou et Paris. Il faut, quand on évalue nos relations avec Moscou, perdre l’illusion d’un temps – par ailleurs depuis longtemps révolu, s’il a jamais existé – où nous serions en mesure d’imposer nos volontés à d’autres nations qui n’auraient d’autre solution que de s’y soumettre.
Fustiger en termes violents la politique russe peut faire plaisir à un certain public mais ne fera pas bouger d’un iota à la politique de ce pays. Il faut donc tout d’abord évaluer le rapport de force d’un point de vue réaliste. "Lorsque l’on veut modifier le statu quo il faut d’abord le reconnaître", avait théorisé Egon Bahr, le maître à penser de l’ostpolitik qui demeure un modèle du genre dans l’élaboration d’une politique intelligente à l’égard de Moscou. Le problème est que certains ont, à l’égard de la Russie, une attitude qui rappelle plutôt la politique de Faucon à l’égard de l’Union Soviétique. Une condamnation en bloc qui empêche tout accord, fût-il ponctuel.
Si la France veut continuer à jouer un rôle actif sur le plan international, elle ne peut pas ignorer le poids de la Russie, ni celui de la Chine, pas plus d’ailleurs qu’elle ne peut le faire pour les autres grandes nations. La position de donneur de leçons est très payante sur le plan interne, cependant elle n’apporte absolument rien sur le plan international. Quel est notre intérêt en la matière ? Quels sont nos besoins réels et en quoi avons-nous intérêt à coopérer avec Moscou ? Nous avions, par exemple, un accord avec la Russie sur l’opposition à la guerre d’Irak nous sommes en désaccord sur la Syrie. Nous devons travailler à faire bouger la Russie sur ce point, et ne pas masquer nos divergences sur ce dossier.
La Russie n’est pas une alliée, mais elle peut être une partenaire. Et rien n’oblige à être toujours d’accord avec un partenaire. Il faut traiter au cas par cas. Mais cela ne doit pas nous conduire à nous taire sur ce que nous désapprouvons. Ni condamnation générale, ni silence total. Le tout est dans la forme. Si nous voulons être une grande puissance, il faut avoir le courage d’affirmer nos oppositions avec Moscou – comme d’ailleurs avec d’autres capitales -, il faut aussi savoir travailler avec ce pays. Nous n’avons pas à choisir entre l’une et l’autre approche, il est nécessaire de cumuler les deux.