Vous avez dit « JO Politiques »? (Pascal Boniface)
Le problème n’est pas de prendre des « têtes brulées » qui remportent des victoires plutôt que de se satisfaire de « scores middle ». La comparaison que vous faites avec les arts de la guerre et celles notamment du Pacifique ne semble pas être de mise. Le sport est un affrontement symbolique, la guerre est un affrontement réel. La guerre est certes encadrée par des lois qui ne sont pas toujours respectées. Le manquement aux règles dans le sport est beaucoup plus fréquemment sanctionné.
Mais surtout, la différence c’est que les sportifs ont acquis aujourd’hui une telle visibilité que leur comportement est constamment observé. Par rapport au sport le plus médiatisé qu’est le football, on attend des footballeurs non seulement qu’ils jouent bien mais également qu’ils se comportent de façon respectable voire même exemplaire. On a beaucoup moins d’exigences par rapport aux responsables politiques, aux journalistes ou aux chefs d’entreprise. On peut regretter ce double standard, on peut juger que les réactions médiatiques par rapport aux fautes réelles commises par les trois footballeurs en Ukraine sont disproportionnées, mais « si l’on veut changer un statu quo, il faut d’abord le reconnaître » disait il y a déjà longtemps Egon Bahr il y a donc une obligation de comportement pour les footballeurs, le talent ne suffit plus.
Les Jeux Olympiques sont en effet le reflet des tensions et des crises, mais aussi des périodes d’apaisement et elles sont cependant plus que cela. Elles peuvent être un instrument. Prenons par exemple la Chine et les États-Unis. Ce serait bien sûr idiot de mettre sur une seule rencontre de ping-pong le rapprochement entre ces deux pays. L’un comme l’autre n’en avait envie et besoin, mais pour des questions d’opinion, il leur était difficile de le déclarer publiquement. On a donc pris le prétexte de la visite d’une équipe de pongistes américains en Chine pour montrer que les Américains pouvaient être bien reçus en Chine, à une époque où les invectives fleurissaient entre Pékin et Washington. Le choix de Berlin en 1931 accompagnait une politique de réconciliation avec l’Allemagne. Malheureusement, deux ans plus tard c’est Hitler qui arrive au pouvoir et c’est lui qui va accueillir les jeux. L’attribution des Jeux à Tokyo en 1964 saluait à la fois le dynamisme du pays, en même temps que le retour à une normalité de comportement, une intégration dans la communauté internationale, et le fait que le monde reconnaisse que le Japon a renoncé au militarisme. Le choix de Pékin pour 2008 et de Rio pour 2016 sont le symbole de la reconnaissance par le CIO de la multipolarisation du monde mais en même temps la contribution de ce même CIO a accéléré cette multipolarisation.
Ce qui est certain, c’est que le budget de lutte contre le terrorisme a explosé. Le terrorisme fait son entrée en force dans l’histoire olympique. À Munich, il l’a fait par surprise mais par la suite, les différents états ont plus anticipé ce risque et pris des mesures de plus en plus chères pour le contrer. L’après 11 septembre a évidemment participé à cette inflation. Il faut se rappeler que deux jours après avoir gagné à Singapour l’organisation des jeux de 2012, Londres a été frappée par une série d’attentats sanglants. Lors des Jeux d’hiver de 2002 de Salt Lake City, le village olympique était devenu un camp militaire retranché. Le budget sécurité des Jeux d’Athènes qui était initialement de 145 millions est passé à 1,8 milliards d’euros. 70 000 militaires avaient été déployés pour surveiller les différents sites, les champions et les spectateurs. L’extrême visibilité des Jeux Olympiques en font bien sur une cible de choix, il en va désormais de même pour tous grands événements médiatisés.
S’il fallait garder le symbole le plus fort politique des J.O, c’est bien sûr le point levé de Tony Smith et John Carlos lors de la remise des médailles du 200 m masculin, pendant les Jeux de Mexico en 1968. Ils ont été suspendus, se sont vu retirer leurs titres olympiques, expulsés des Jeux à vie mais ils sont restés dans l’histoire. Le même comité international olympique qui avait condamné ces deux athlètes était resté muet devant la répression qui a fait plusieurs centaines de morts par l’armée mexicaine contre des étudiants, afin que l’ordre soit rétabli à l’ouverture des Jeux. Carlos et Smith sont rentrés dans l’histoire et ont beaucoup fait pour faire avancer la cause des noirs aux États-Unis et dans le monde.
Les jeux olympiques peuvent-ils servir de vitrine pour les régimes dictatoriaux ? C’est surtout le débat autour des jeux de Berlin. Hitler voulait en faire une vitrine pour son régime, un instrument de propagande, aussi bien sur le plan interne que sur le plan international. Il a à la fois réussi sa démonstration de force, mais on peut également penser qu’il a échoué. Tout d’abord il y a eu une très grande mobilisation contre son régime avant les Jeux. On a même organisé des « jeux antifascistes » à Barcelone -qui malheureusement ont été inaugurés le jour même de l’entrée des troupes de Franco dans la ville- mais on peut dire que la quadruple victoire de Jessie Owens est venue battre en brèche la théorie de la suprématie raciale de la race aryenne et que l’amitié de Jessie Owen avec le sauteur en longueur allemand Lutz, un grand blond aryen a littéralement rendu furieux Hitler. Aujourd’hui organiser un événement sportif mondialisé revient à attirer les caméras du monde entier, à multiplier les débats sur le pays. Cette vitrine se transforme vite en coup de projecteur géant qui vient éclairer les phases les plus sombres d’un régime. Donc non les jeux ne sont pas l’opium du peuple.
Le sport peut servir effectivement d’instruments de rapprochement. On se rappelle de l’amitié entre le fidèle communiste Zatopek et l’ultra gaulliste Mimoun. Les athlètes en tous les cas peuvent s’apprécier au-delà des différences politiques et de régime parce qu’ils partagent la même passion pour le même sport et qu’ils sont amenés à se fréquenter régulièrement.