«Pour Bachar al-Assad, il serait trop risqué de recourir à l’arme chimique»
Le régime syrien irait-il jusqu’à faire usage d’armes chimiques dans le conflit qui l’oppose aux rebelles sur son propre sol ? A en croire l’Armée syrienne libre, Bachar al-Assad a transféré récemment des «armes et des équipements de mélange de composantes chimiques vers des aéroports à la frontière». Lundi, le régime n’avait pas contesté disposer de telles armes, «stockées et sécurisées» et qui «ne seront utilisées qu’en cas d’agression étrangère».
Il ne fait plus guère de doute que la Syrie possède un arsenal d’armes chimiques, qu’elle aurait développé depuis les années 70 et qui serait aujourd’hui l’un des plus importants de la région à en croire certains experts et organisations internationales. Mais l’hypothèse d’un usage effectif de ces armes reste peu plausible, estime Jean-Vincent Brisset (photo DR), directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) sur les questions de défense, ancien général de l’armée de l’air, et qui vient de publier un Manuel de l’outil militaire – Comprendre le fonctionnement des armées (IRIS éditions, 2012).
En matières d’armes chimiques, on dispose de très peu d’informations précises. Il y a une très forte suspicion sur la Syrie, mais savoir quoi et combien… La surveillance satellitaire ne peut pas tout. La fabrication de ces gaz a lieu dans des usines officiellement dédiées à autre chose : produits pharmaceutiques, insecticides… On n’est pas dans le cas de figure de vastes sites repérables comme pour le nucléaire. Ce qui peut alerter, c’est la mise en place de gardiennage particulier, de mouvements de transports inhabituels… Les Américains font probablement cette surveillance.
D’abord des gaz «classiques» comme le Sarin, qui attaque le système nerveux. Il est assez facile à fabriquer. C’est le gaz qui a été utilisé dans les attentats dans le métro au Japon en 1995. Mais aussi des gaz plus sophistiqués, dits binaires car résultant du contact de deux produits, comme le gaz VX. En quelles quantités ? L’armement chimique est toujours très difficilement quantifiable. Mais ce sont des produits que l’on peut fabriquer très vite en grande quantité, et pour des coûts finalement assez restreints. C’est une arme du pauvre.
Mais le tout n’est pas de produire ces gaz. La difficulté, pour un Etat qui voudrait s’en servir, c’est de les transporter et de les pulvériser. Cela suppose de disposer de missiles ou obus assez perfectionnés. Dans le cas de la Syrie, on est aujourd’hui à peu près sûr qu’ils disposent de ces capacités, des Scuds C notamment. De là à attaquer avec… D’autant que ces gaz ont une fâcheuse tendance à se disperser de manière incontrôlée, ce qui veut dire qu’ils peuvent se retourner contre eux.
Pas que l’on sache. Dans l’histoire récente, l’usage de ces gaz a finalement été relativement rare, quoique meurtrier: l’Irak contre les Kurdes, les attentats au Japon, les Russes dans l’affaire de la prise d’otage du théâtre de Doubrovka à Moscou en 2002, les Etats-Unis au Vietnam, la Chine. Beaucoup de pays ont très certainement encore des capacités chimiques, même s’ils s’en défendent. Peut-être une cinquantaine, dont un certain nombre au Moyen-Orient (Iran, Israël, Turquie…). S’en servir est une autre affaire.
Elle me paraît très peu plausible. On est plus dans le registre de la peur, de la menace de la part d’un Etat qui se considère comme légitime et qui voit les rebelles comme des terroristes. Et encore, il faut noter que ce sont les rebelles qui ont d’abord parlé de cette menace. Une attaque à l’arme chimique serait pour Bachar al-Assad trop risquée. C’est pour lui à double tranchant. Techniquement d’abord, pour les questions de disséminations évoquées et parce qu’il serait difficile de cibler à l’arme chimique dans un conflit où les différentes forces sont aussi imbriquées. Politiquement ensuite. Pour dire les choses simplement, il rentrerait dans la catégorie des très très méchants. Il y aurait là un vrai motif pour une intervention étrangère. Rappelons que c’est sur le prétexte de la présence d’armes de destruction massives en Irak que les Etats-Unis étaient intervenus. Et à côté, il y a Israël, qui pas plus que la Syrie n’a signé la convention sur l’interdiction des armes chimiques, entrée en vigueur en 1997.
Cela supposerait l’aval de l’ONU, dont le Conseil de sécurité est complètement bloqué sur le dossier syrien. Et je n’imagine pas une inspection en force.
L’hypothèse que les stocks tombent aux mains de réseau mal-intentionnés n’est pas si évidente, toujours pour cette question de difficulté technique de transport. On ne déplace pas des armes chimiques comme ça. L’hypothèse la plus vraisemblable, en cas de transition négociée avec contrôle de la force internationale, est que celle-ci isole et finisse par détruire les stocks, ce qui n’est pas chose aisée. Il faut les incinérer à température extrême, ou les immerger, comme on le fait encore en France pour des munitions datant de la Première Guerre mondiale.