ANALYSES

« Les terroristes sont encouragés par l’Occident »

Presse
11 septembre 2012
Interview de [Pierre Conesa->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=conesa] par Sybille De Larocque

D’un côté, la guerre contre le terrorisme menée par les Occidentaux ; de l’autre, la nébuleuse Al-Qaïda qui n’en finit pas de s’étendre dans toutes les zones sensibles de la planète. Si le 11 septembre a été l’élément révélateur du danger terroriste islamiste pour le monde, les guerres de libération qui ont suivi semblent n’avoir qu’achever de provoquer les organisations terroristes. Dans ce contexte, Pierre Conesa, chercheur associé à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS) et ancien haut fonctionnaire du ministère de la Défense, spécialiste des questions stratégiques internationales et du terrorisme, estime que le double jeu conduit par l’Occident dans certaines parties du globe ne fait que réalimenter la machine du terrorisme.


Onze ans après les attentats du 11 septembre, quelles sont les plus grandes menaces terroristes qui pèsent sur le monde occidental et d’où viennent-elles ?

Les menaces qui nous concernent proviennent principalement de la culture arabo-musulmane. Qu’elles soient extérieures – la nébuleuse Al-Qaïda – ou intérieures – le cas de Mohamed Merah.


Le problème principal est que le terrorisme, aujourd’hui, a été alimenté par les extraordinaires échecs des invasions de l’Afghanistan et de l’Irak. La machine terroriste a été réalimentée par ces opérations, et c’est dans ces deux défaites dramatiques que les actes terroristes d’aujourd’hui trouvent leur origine.


Ce que les États-Unis ont appelé « guerre globale contre le terrorisme » se solde finalement par une réponse terroriste à l’invasion.


Il faut savoir que, si 3000 soldats américains ont été tués en Irak, 100 000 Irakiens sont morts des suites de cette intervention.


Ces chiffres résonnent chez tous les musulmans et encouragent les mouvements terroristes.


Une autre caractéristique me frappe beaucoup, c’est celle de l’après « Printemps arabe », où comment, par cette guerre contre le terrorisme, ce dernier est finalement encouragé.


Alors que tout le monde regardait les Frères musulmans s’emparer des pouvoirs des différents pays, personne ne semblait prêter attention à la forte montée des salafistes dans les scrutins.


Mais il faut savoir que c’est parmi ces salafistes, d’origine pakistanaise et saoudienne, que sont recrutés les principaux combattants d’Al-Qaïda. Et pourtant, les États-Unis, prétendument ambassadeurs de la lutte contre le terrorisme, sont au coude à coude avec l’Arabie Saoudite et le Pakistan.


Même constat avec le Qatar, qui est un grand financier des salafistes dans le monde arabe.


Les pays occidentaux se sont engagés dans certains conflits du monde arabe, notamment pendant le « Printemps arabe ». Pour les musulmans, cet engagement est synonyme d’invasion. Alors que les pays occidentaux auraient dû être prudents, ils ont créé une frustration arabe qui conduit au terrorisme.


Comment fonctionne aujourd’hui la nébuleuse Al-Qaïda ? Réussit-elle à garder le contrôle sur tous les groupes qui se réclament de l’organisation, qu’il s’agisse d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ou encore Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) ?

Al-Qaïda n’a pas pour ambition de garder le contrôle sur toutes ses antennes. L’organisation agit dans le cadre d’une guerre insurrectionnelle. Son objectif est de frapper partout où cela sera possible.


Si cela ne marche pas quelque part, ses membres iront ailleurs. C’est le cas au Mali où la chute de Mouammar Kadhafi a créé un véritable déséquilibre dans le Sahel, provoquant l’arrivée massive des islamistes qui, voyant que la situation n’était plus sous contrôle, ont envahi le nord du pays avec l’ambition de descendre vers la capitale, Bamako, pour islamiser la région.


Les forces en présence se réclament d’Al-Qaïda mais sont en fait équipées par les armes libyennes du « Printemps arabe », leurs combattants sont issus notamment d’Algérie, leurs ressources financières viennent en partie des rançons exigées contre la libération des Occidentaux. Actuellement 100 millions d’euros sont demandés pour la libération des Européens emprisonnés au Mali.


Le Qatar apporte également sa part de financement, non pas directement mais par le biais d’associations à but plus honorables.


Finalement, les organisations terroristes profitent de la misère qu’elles trouvent sur leur chemin. Contre un peu d’argent et de soins, les locaux sont recrutés et viennent grossir les rangs des antennes d’Al-Qaïda. Ils sont facilement manipulables parce qu’aucune alternative économique ou professionnelle ne leur est proposée à côté.


Un autre 11 septembre serait-il encore possible aujourd’hui ?

Il me semble que cela serait difficile. Le 11 septembre est survenu après une organisation de très longue durée qu’il serait difficile de reproduire aujourd’hui. D’autant que les services et mesures de sécurité ont été décuplés depuis l’attentat du World Trade Center. Il est toujours possible de passer au travers des mailles du filet mais le degré de difficultés ne sera pas le même.


Les scénarios des attentats de Londres ou de Madrid sont en revanche beaucoup plus plausibles. Sur ce point, la France peut se vanter d’avoir des services très efficaces et de nombreux attentats ont déjà été déjoués.


On ne parle quasiment que de terrorisme islamiste. Qu’en est-t-il des autres formes de terrorisme ?

Il y a toujours un risque de résurgence terroriste chez une minorité, quelle qu’elle soit. Je pense par exemple aux terroristes corses, et plus avant chez les Basques.


Dès qu’une partie de la population se sent victimisée, le risque terroriste naît. Souvenons-nous de l’attentat d’Orly, le 15 juillet 1983. Une bombe a explosé près du comptoir d’enregistrement de la compagnie Turkish Airlines. L’attentat avait été revendiqué par l’Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie (ASALA).


Mais aujourd’hui, les nids terroristes vraiment dangereux ne se trouvent pas dans ces zones.


Le cas Mohamed Merah est-il le signe que le terrorisme, depuis le 11 septembre, a également changé de visage ?

Le terrorisme a fait écho dans la société française et Mohamed Merah en est l’exemple frappant. Éduqué dans le système français, il a fait ses premiers pas seul dans le monde terroriste et est revenu en loup solitaire pour se venger de ce qui n’est pas accepté dans le monde musulman. Il a d’abord tué des militaires, en référence à l’invasion de l’Irak. Il a ensuite tué des Juifs, en référence aux colonisations sauvages d’Israël.


Mohamed Merah a voulu se donner une image de chevalier blanc qui se bat contre des actions diplomatiques considérées comme injustes et, dans ce sens, génératrices de terrorisme.


Mohamed Merah peut ne pas être un cas isolé car le terrorisme est une option qui se présente vite. Dans une société occidentale, il suffit d’un échec scolaire, d’une rupture avec la société, d’une rencontre comme ce fut le cas de Khaled Kelkal, auteur des attentats de Saint Michel en 1994.


Le terrorisme est-il devenu aujourd’hui la principale menace pour les États ?

Je ne pense pas. Un acte terroriste ne pourra pas faire gagner une guerre. Le terrorisme est plus utilisé à des fins psychologiques que stratégiques. L’effet le plus marquant du 11 septembre n’a pas été le côté meurtrier de l’attentat mais l’aspect psychomédiatique qui s’en est suivi.


Les États-Unis ne se sont pas écroulés après le 11 septembre, mais l’effet traumatique a été très important. Le terrorisme est une menace, mais une menace qui n’est pas stratégique.

Sur la même thématique