Violences anti-américaines : «Obama finira-t-il comme Jimmy Carter ?»
Chercheur spécialiste du Proche et Moyen-Orient à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), Karim Bitar revient sur le sentiment anti-américain qui agite les pays arabes, et les espoirs qu’avait suscité l’arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche en 2008.
Nous sommes face à un événement choc avec des images choc. L’ambassadeur américain en Libye a été tué, en Égypte le drapeau américain a été brûlé et remplacé par un drapeau noir qui est souvent brandi par les partisans d’Al-Qaïda. Ce sont des symboles forts. Ma première réaction en voyant les images en provenance d’Égypte et de Libye fut de me demander si Barack Obama ne risquait pas de finir comme Jimmy Carter. Dans l’inconscient populaire américain, les images de la prise d’otage dans l’ambassade américaine de Téhéran en 1979, juste après la révolution iranienne, avait très fortement traumatisée l’Amérique et avait conduit à la défaite du démocrate aux élections de cette même année.
Les républicains vont faire feu de tout bois pour exploiter ces violences. Mitt Romney a en tous cas immédiatement sauté sur l’occasion en disant que ces événements constituaient une disgrâce pour la Maison Blanche. Il va pouvoir entonner le refrain de l’Amérique qui a perdu l’Égypte, d’un Obama qui n’a pas suffisamment fait pour protéger ses alliés au Moyen-Orient.
Ce qui est à craindre maintenant, c’est que ces incidents permettent à une droite américaine radicale, animée par une vision très caricaturale du monde musulman, de prendre le dessus dans le débat.
Mais le même scénario grotesque se reproduit régulièrement – on se souvient de l’affaire des caricatures de Mahomet. Au départ, il s’agit d’une provocation émanant d’un milieu extrémiste de l’Occident qui, bien qu’initialement passée inaperçue, est montée en épingle par des démagogues mobilisant les foules.
En fait, chacun tombe dans le piège à éléphants tendu par l’autre. Les salafistes, qui souhaitent rouvrir les guerres de religion, trouvent de formidables alliés chez les extrémistes américains comme Terry Jones [pasteur chrétien intégriste de Floride qui avait menacé de brûler 200 exemplaires du Coran le 11 septembre 2010]. Nous avons affaire à ce que Sigmund Freud appelait des "jumeaux psychiques". Les uns et les autres ont une vision totalement déformée du camp adverse qu’ils perçoivent comme un bloc homogène et sur lequel ils projettent leurs fantasmes. Il s’agit de deux "essentialismes" qui s’opposent : pour les uns, l’islam est par essence violente, pour l’autre, l’Amérique est par essence impérialiste. Ces représentations culturelles biaisées constituent un terreau propice aux affrontements géopolitiques.
Chez une petite partie de la population, la critique de la politique extérieure menée par les États-Unis prend la forme d’une hostilité aux valeurs américaines. Mais, comme l’ont prouvé les révolutions arabes, ce n’est pas la démocratie et la liberté que déteste la majorité de la population, mais le soutien que les États-Unis ont apporté à certains dictateurs.
À son arrivée au pouvoir, Barack Obama s’est distingué en refusant les visions "essentialistes" que j’ai évoquées auparavant. Contrairement à son prédécesseur, il avait une vision ouverte et ne réduisait pas à une caricature le mot "musulman". Le discours du Caire en juin 2009 avait constitué une date importante parce que, pour la première fois, un président américain refusait les caricatures et tendait la main aux musulmans.
Malheureusement, il n’a pas été suivi d’actes ou de changements radicaux au Moyen-Orient. Ce que lui ont reproché les Égyptiens par exemple, c’est d’avoir soutenu Hosni Moubarak un peu trop longtemps et de ne pas avoir infléchi la politique américaine dans la région. Mais Obama ne peut être considéré comme seul responsable. Car il y a, sur le terrain, des situations très difficile à débloquer.
On a beau faire de la diplomatie publique, on a beau renforcer son "soft power" dans la région, tant que les grandes questions telles que le conflit israélo-palestinien ne seront pas résolues on ne pourra pas améliorer la situation.
Il est vrai que dans un second mandat, il aura un peu plus de latitudes pour accentuer la pression sur Israël. Mais si le Congrès n’est pas sur la même ligne et si Benjamin Netanyahou reste au pouvoir, je crains, malheureusement, qu’il ne faille pas avoir trop d’espoir là-dessus.
Son second mandat lui servira surtout à laisser une trace dans l’Histoire, et il sait qu’au Moyen-Orient il a peu de chance de réussir un coup d’éclat. Il s’intéressera davantage aux questions portant sur la Chine plutôt qu’à celles portant sur une région où les choses semblent désespérées.