ANALYSES

Un nouveau Livre Blanc, pour quoi faire ?

Presse
18 septembre 2012
Par [Fabio Liberti->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=liberti], directeur de recherche à l'IRIS

Un quatrième Livre Blanc sur la défense et la sécurité nationale devra être finalisé d’ici la fin 2012. Mais quel est exactement l’objectif de cet exercice ? Le Livre Blanc n’est que le début d’un processus, fixant un cadre général qui est complété ensuite en France par la Loi de Programmation Militaire (LPM), par le vote annuel du budget de l’Etat, par les décisions d’emploi des forces armées, par la gestion au quotidien des grands programmes d’équipement des forces armées, par la définition d’une politique industrielle. Il ne faut donc pas exagérer la portée du document, qui s’insère dans une réflexion plus globale même s’il en constitue le chapeau.


Il s’agit également d’un exercice rare. Le premier Livre Blanc, remontant à 1972, est communément identifié comme le document ayant posé les bases théoriques de la dissuasion nucléaire. Le second, en 1994, était justifié par la fin de la guerre froide et la multiplication des opérations militaires hors zone. Enfin, Nicolas Sarkozy avait souhaité la rédaction d’un nouveau texte, publié en 2008, tirant les leçons du 11 septembre 2001, et mettant l’accent sur l’effacement de la frontière entre les notions de défense et sécurité et sur l’importance d’accorder des moyens conséquents à une nouvelle fonction stratégique, celle portant sur la "connaissance et anticipation".


Mais quels grands événements justifient une refonte de ce document, seulement quatre ans après sa dernière mouture ? Deux événements majeurs ont effectivement eu lieu depuis 2008, à savoir l’explosion de la crise financière mondiale, devenue économique, puis des dettes souveraines, et les événements communément désignés comme "le printemps arabe". La crise de la dette, véritable rupture stratégique, oblige les Etats européens à des actions de réduction de leurs déficits publics sans précédent et ce alors même que les Etats-Unis, protecteurs historiques du continent européen, se tournent vers l’Asie, et que le voisinage s’embrase, entre des Balkans occidentaux loin d’être définitivement pacifiés, et une Afrique du Nord en proie à l’instabilité. La France a-t-elle, à travers une inflexion de sa politique de défense, les moyens de modifier cette situation ? La réponse, assez évidente, est non. A moins de vouloir croire que, en trois mois à peine, la commission réussira le miracle de révolutionner la politique de défense française malgré des lourdes coupes budgétaires qui s’annoncent.


Alors, peut-on dire, en forçant à peine le trait, qu’après la dissuasion, les opex (opérations extérieures) et l’intelligence, la France va élaborer le Livre Blanc de l’austérité ? Ce serait réducteur. Après tout, l’argent est certes le nerf de la guerre, mais il ne fait pas tout. Pour rendre plus efficace la politique de défense française, il faudrait en accepter l’européanisation, non pas comme une énième et inatteignable relance de l’Europe de la défense, concept franco-français qui suscite de plus en plus d’ironie au-delà de l’hexagone tant l’objectif est en décalage avec les actes et les moyens, mais comme une acceptation des faiblesses nationales poussant les uns et les autres à accepter ce qui paraît inacceptable.


Concrètement, tous les pays européens font face aux mêmes défis. Comment garder une influence quelquonque sur la gestion des affaires mondiales ? En gardant une autonomie d’appréciation, de décision, d’action, répond le président de la République dans la lettre de mission adressée à M. Guéhenno. Mais autonomie par rapport à qui ? Aux Etats-Unis ? Au Royaume-Uni ? A l’Allemagne ? La France en a-t-elle les moyens ? La Libye a montré l’envers, ainsi que toutes les limites d’une réflexion stratégique. Quel lien entre le Livre Blanc de 2008 et l’aventure libyenne ? Les conséquences de l’intervention avaient-elles été évaluées ? La pression médiatique et émotionnelle du moment et une certaine conception instinctive de la politique a-t-elle, au contraire primée ?


Aussi, garder une autonomie stratégique veut dire garder une autonomie industrielle garantissant le développement des équipements clés. Là aussi, le résultat est sans appel. La théorie des trois cercles, qui voyait la France se fournir auprès d’entreprises françaises pour les équipements les plus sensibles, en Europe pour tout ce qui ne relevait pas des activités stratégiques clés, et sur le marché mondial pour les équipements non stratégiques, risque de voler en éclat face au mur de la dette à laquelle est confrontée l’Europe.


L’achat de drones américains ne semble pas respecter la logique des trois cercles. Face aux réductions à venir des budgets de la défense, les achats sur étagère ne pourront que se multiplier. La décision historique d’inviter des représentants britanniques, allemands et d’institutions européennes à siéger au sein de la commission est à saluer. Mais comment partager ses informations les plus stratégiques, comment croire à une sécurisation européenne des approvisionnements si les européens ne veulent pas prendre part aux mêmes guerres, comme l’ont montré l’Irak et la Libye ? Comment poser les bonnes questions liées aux bouleversements stratégiques cités, à savoir le possible éclatement de la zone euro avec le retour de la pauvreté en Europe, l’installation de bases terroristes aux portes du continent européen, sans affoler les citoyens et les marchés financiers ?


Ainsi les membres de la commission se retrouvent face à des dilemmes insolubles. Comment sauvegarder l’autonomie française et traiter les enjeux de la politique industrielle et technologique nationale avec des moyens déclinants, et alors même que la formule magique jusqu’ici utilisée, celle de l’européanisation, ne donne que très peu de résultats ?


Le risque est donc bien réel que le cru 2012 ne rentre dans l’histoire que comme celui du déclassement, à moins que les leaders politiques européens décident d’une véritable révolution stratégique européenne dont les prémices sont pour l’instant invisibles. Une armée européenne ne verra pas le jour demain, et tel n’est pas l’objet de l’exercice du Livre Blanc. Paradoxalement, les membres devraient plutôt se pencher sur une question abrupte : vaut-t-il mieux être autonomes et impuissants, ou puissants mais dépendants ?

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