Pourquoi les associations créent-elles des fondations ?
On emploie couramment les mots Organisations Non Gouvernementales (ONG) pour qualifier les associations françaises, notamment humanitaires. Si les ONG françaises sont effectivement principalement constitués sous la forme associative, les structures non gouvernementales peuvent en fait revêtir des formes multiples et évolutives. Cela est dû à l’éventail juridique offert mais aussi à la capacité d’adaptation des associations et à leur dextérité en matière d’ingénierie des organisations. Cette dextérité, qui s’exprime pour des raisons stratégiques, économiques voire de gouvernance ou de sécurité juridique et fiscale, conduit à la création de véritables groupes plus ou moins formels. Le sujet, n’est pas nouveau.
En 1998, la Cour des comptes décrivait le « groupe MSF » comme suit : association MSF France, association Epicentre (formation, bureau d’expertise épidémiologique, association MSF logistique (centrale d’achat), Fondation MSF (promotion de l’action humanitaire), SCI MSF et SCI SABIN (acquisition, gestion des immeubles associatifs), association MSF assistance (partenariat entreprises), SARL Etat d’urgence (films), bureaux à l’étranger sous la responsabilité de MSF France (1).
Ce qui est nouveau, c’est la multiplication des fondations. Une étude sur « les fonds et fondations en France de 2001 à 2010 »(2), sortie en mai 2011, notait que le nombre de fondations avait augmenté de 52% et s’établissait à 1684. En 2010, la France comptait 2264 fonds et fondations.
Ce qui nous intéresse, ce n’est pas d’expliquer ce phénomène récent qui est abordé dans l’étude réalisée notamment par la Fondation de France, mais d’exposer, en soulignant parfois les difficultés et les raisons moins avouées, ce qui peut motiver les associations à créer des fondations ou à se transformer en fondation.
Une association en tant que personne de droit privé peut créer une fondation si cette dernière s’avère utile à son activité. C’est ce qu’a fait, par exemple, MSF en 1989 en dotant la fondation MSF de 5,2 millions d’euros en valeurs mobilières « pour promouvoir l’action humanitaire et sociale en France et à l’étranger et soutenir les actions de MSF ». La fondation MSF a été reconnue d’utilité publique en 1991 (3). Autre exemple, Action Contre la Faim France a, en 1995, initié la création de la Fondation Accion Contra el Hambre à Madrid dans le but d’accroître ses moyens d’actions pour lutter contre la Faim (4).
Les choses, en apparence, peuvent paraître simples si l’on excepte la question des moyens. En fait, il n’en est rien : la question de la création d’une fondation pose inévitablement, comme dans tous les groupes, la question des missions dévolues à chaque entité, de l’allocation des ressources et de la gouvernance, en d’autres termes de l’indépendance des structures. En France, dans les structures reconnues d’utilité publique, et les grandes associations le sont souvent, le Conseil d’Etat pose des limites aux velléités de pouvoir, de contrôle et à l’instrumentalisation d’une structure par l’autre. Il s’érige en véritable gardien de l’indépendance notamment de la fondation qui est, et doit rester, un établissement autonome de droit privé indépendant de ses fondateurs.
C’est dans ce sens qu’il convient de lire un avis défavorable qu’il a rendu le 13 juillet 1976 (5) à la création d’une fondation par une association reconnue d’utilité publique (RUP) au motif que les conseils d’administration et les objets des deux structures n’étaient pas suffisamment distincts.
Au-delà du sujet de la création d’une fondation par une association, si l’indépendance est protectrice pour la fondation, elle l’est du coup pour les relations avec les tiers et notamment lorsque les tiers sont des associations et ce contrairement à ce que soutiennent certains chroniqueurs dont Denis Maillard. En effet, ce dernier s’est s’interrogé sur le rôle de la Fondation de France lors de l’appel à la générosité publique lors des tremblements de terre en Haïti:« La Fondation de France est une organisation qui se veut indépendante mais au sein de laquelle sept représentants de l’Etat (ministères) siègent au conseil d’administration. Bref, quand on connaît le poids de la puissance publique en France, il est douteux que la Fondation soit totalement indépendante. C’est plutôt l’Etat qui cherche de cette manière à réguler le marché de la générosité dans notre pays.(…). L’opération médiatique des télévisions et radios publiques est en fait chargée d’orienter la générosité privée vers la FDF qui se charge ensuite de reverser l’argent à des associations qui œuvrent en Haïti. (…) (6).A lire Denis Maillard, on a le sentiment que la main invisible du pouvoir discrétionnaire de l’Etat sur les structures RUP crée une vassalisation des organismes RUP à l’Etat. Selon nous, l’argument est très relatif , d’une part, parce que les représentants de l’Etat ne sont que 7 sur 24, et, d’autre part, parce que c’est faire fi rapidement du rôle du juge qui censure toute atteinte au principe d’indépendance des fondations, en tant qu’organisme privé, face aux pouvoirs publics (7).
Cela dit, hormis, d’une part, le cas de la préfiguration sous forme associative d’une fondation, le temps que cette dernière acquière les moyens et la taille adéquats, et, d’autre part, celui des fondations opérationnelles nécessaires à l’activité de l’association, les velléités de création de fondations par des associations ont des raisons parfois moins avouables.
Etre une association RUP ou une fondation RUP relève du pouvoir discrétionnaire de l’Etat, pouvoir qui offre à la structure concernée la « grande personnalité juridique » et dans le même temps un label de sérieux face aux donateurs: grande personnalité juridique qui permet à l’association de recevoir des legs et donations; label de sérieux qui rassure le donateur sur l’objet et le fonctionnement de l’association et qui de ce fait crée un différentiel face à la concurrence des autres ONG sur le terrain de la générosité du public.
Cela dit, si la RUP concerne aussi bien les associations que les fondations, malgré un lobby intensif, les associations reconnues d’utilité publique n’ont pas réussi à bénéficier de l’avantage octroyé aux fondations RUP en matière d’impôt sur la fortune (ISF). Autrement dit, les contribuables imposés à l’ISF ne peuvent, à ce jour, orienter leur don tiré de l’ISF que vers les fondations RUP (et ainsi bénéficier d’une imputation de 75% de leur versement sur leur ISF, avec cependant un plafond de 50 000 euros).
La tentation est alors grande pour les associations RUP à la recherche de fonds soit de se transformer en fondation RUP, soit de créer un fondation RUP ou, pour le moins, une fondation hébergée au sein d’une fondation RUP, telle par exemple la Fondation de France (8). La collecte en jeu est loin d’être négligeable:120 M€ selon les chiffres fournis par Bercy à Mme la Députée Muriel Marland-Militello (UMP)(9). La discussion sur l’augmentation du seuil de déclenchement de l’ISF n’avait pas tempéré les esprits car la baisse potentielle de la collecte du fait de l’augmentation du seuil de l’ISF était évaluée à environ 15%.
La gestion des conditions pour obtenir la reconnaissance d’utilité publique (RUP) peut être une autre raison qui plaide pour la fondation par rapport à l’association. A ce niveau, il a lieu de rappeler une différence significative entre les associations et les fondations.
Alors que l’association, selon l’article 1 de la loi du 1er juillet 1901, est une « convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices (10)», la fondation, quant à elle, selon l’article 18 de la loi du 23 juillet 1987 est un « acte par lequel une ou plusieurs personnes physiques ou morales décident l’affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif »(11). Autrement dit, alors que l’association est un groupement de personnes, la fondation est une libéralité. Parce que les fondations ne sont pas des groupements de personnes comme les associations, la pratique administrative ne leur impose pas, comme l’une des conditions pour obtenir la RUP, de compter au moins 200 adhérents dans leurs rangs (12). Autrement dit, l’association désireuse d’être reconnue d’utilité publique (RUP), mais comptant peu de membres et ne désirant pas ouvrir son AG au plus grand nombre, verra dans sa transformation en fondation une solution.
Le sujet du nombre des adhérents n’est donc pas seulement un sujet juridique: il pose aussi la question de la démocratie et de la gouvernance. En effet, le contrôle d’une AG de 200 membres est plus aléatoire que celui d’une structure à effectif réduit. En outre, la vie de la fondation, qu’elle dispose d’un Conseil d’administration ou d’un directoire et d’un conseil de surveillance, avec ses collèges et ses membres de droit ou son commissaire du gouvernement, n’a rien à voir avec la vie démocratique pouvant naître d’une assemblée générale associative. La tentation peut donc être grande de privilégier la fondation au nom d’une certaine forme d’efficacité entrepreneuriale et par conséquent sans avouer son rejet de la gestion d’une démocratie jugée turbulente et vue comme un frein à la performance, ou pire, à son pouvoir personnel de fondateur de l’ONG.
Dans l’univers feutré de la générosité, souvent au nom de la sensibilité des donateurs sur les sujets d’argent ou de leurs difficultés à comprendre les enjeux, on ne fait pas assez état des trésors d’ingéniosité déployés pour trouver des ressources et rendre les ONG plus performantes. Si on a évolué, par exemple, sur le rapport argent public/argent privé en distinguant l’origine des ressources dans leur utilisation notamment au profit des missions sociales, on ne communique pas assez, à tort, sur les choix organisationnels qui, après tout, sont aussi financés par les donateurs.