La reconquête du Nord Mali suppose trois conditions
Le Conseil de sécurité a adopté à l’unanimité, le 12 octobre, la résolution présentée par la France pour répondre à la demande des autorités maliennes d’une force militaire internationale. Il demande aux organisations régionales africaines un plan d’intervention dans les 45 jours tout en préconisant un processus de négociation crédible entre le gouvernement malien et les rebelles Touaregs. Le feu vert éventuel du Conseil de sécurité interviendra avant la fin de l’année. La France a déployé beaucoup d’efforts pour que cette intervention ait la légalité internationale tout en mettant l’Afrique en première ligne ; elle apportera son appui logistique. Cette intervention a été longtemps refusée par l’Algérie, principale puissance régionale, qui préférait la négociation. Certains craignent un enlisement et considèrent que le préalable est la légitimité du pouvoir malien et la reconstitution de son armée.
D’un côté, il y a légitimité et urgence à agir vu le contrôle par la force de mouvements extrémistes qui prennent de l’ampleur (en termes de recrutement, d’arsenal militaire et d’actions terroristes). Les populations du Nord subissent des exactions quotidiennes et des drames humanitaires avec plus de 200 000 déplacés ou réfugiés. Les risques augmentent pour le Mali et les pays de l’arc sahélo-saharien mais également pour la France. Des alliances opportunes existent entre les quatre forces par le contrôle des divers trafics (de drogue, d’hommes, d’armes) mais les revendications vont de l’indépendance de l’Azawad (MNLA), à l’exigence de la charia (Ansar-Dine) ou à la volonté du califat de la Mauritanie à la Somalie (AQMI et son allié Mujao).
De l’autre, la reconquête du Nord Mali suppose :
1/ une reconstitution d’une armée malienne décomposée matériellement et dans sa hiérarchie ;
2/ une légitimité des autorités maliennes alors que les ex-putschistes imposent leur loi militaire et que les responsables politiques sont divisés ;
3/ un appui des forces africaines et non de la seule CEDEAO. L’Algérie, qui est un des acteurs majeurs ayant en partie entraîné la crise en boutant AQMI hors de ses frontières et en laissant ouvertes les frontières pour les approvisionnements des divers mouvements du Nord à commencer par Ansar-Dine, est évidemment un acteur incontournable pour trouver une solution. Une intervention militaire, incertaine dans ses conséquences et ses effets collatéraux, ne pourrait pas être mise en place avant le printemps 2013.
Quatre volets doivent être menés de concert même si leur temporalité diffère.
Le volet militaire suppose une reconstitution de l’armée malienne, un déploiement de forces africaines, un appui logistique, à la formation, de renseignement et de forces spéciales notamment de la France, des Etats-Unis et de l’Algérie. Les interventions doivent être spécifiques vis-à-vis de milices très mobiles et de mouvances atomisées. Au-delà de la reconquête des villes (Gao, Kidal, Tombouctou), se pose le contrôle d’un immense territoire. Les 700 fanatiques doivent être dissociés des 4000 combattants essentiellement Touaregs, membres d’Ansar-Dine et du MNLA. Ces derniers doivent disposer d’opportunités de reconversion. Il importe de tarir les différents circuits d’approvisionnement en armes qui proviennent pour l’essentiel de Libye et transitent par l’Algérie
Le volet diplomatique suppose que les pays échaudés par l’intervention libyenne, s’opposant aux hégémonies occidentales, craignant le leadership de la France, soient convaincus de la nécessité d’une action légitimée par la communauté internationale. La France doit convaincre l’Algérie. L’Europe doit prendre conscience que la question malienne la concerne et donner un appui en termes de formation et de logistique.
Le volet politique implique que les rivalités personnelles des responsables du Mali cèdent la place à une unité sur un enjeu stratégique national. Si l’indépendance de l’Azawad n’a aucune légitimité, des droits doivent être reconnus avec une plus grande autonomie du Nord, voire un Etat fédéral. Le soutien des mouvements associatifs, des organisations paysannes, des mouvements des femmes, des responsables religieux se situant dans les traditions soufiste ou malékite, est prioritaire pour faire basculer les rapports de force.
Le volet économique est le grand absent des projets en cours. Les causes profondes de la crise du Nord Mali renvoient, comme dans d’autres pays du Sahel, à la conjonction d’une explosion démographique, de jeunes sans perspectives, de la prolifération des trafics, de crises environnementales et alimentaires, et de l’extension d’un islam radical sous l’influence de puissances non africaines. L’aide française et européenne affectée à la zone sahélienne est infime.
Eviter un enlisement du conflit ou son déplacement vers d’autres zones suppose des projets offrant aux jeunes des opportunités de revenus et d’insertion sociale, un assèchement des circuits de drogue et de trafics divers, des retombées des investissements miniers pour les populations, une réactivation de la coopération décentralisée. Un positionnement fort de l’Union européenne est prioritaire, pour éviter que cette zone devienne la Somalie ou l’Afghanistan de l’Afrique de l’Ouest.