Ce que la France peut faire dans l’Otan
François Hollande a demandé à Hubert Védrine de rédiger un rapport sur le bilan de la réintégration de la France dans les organes militaires de l’Otan et ses conséquences pour la défense européenne. Le rapport de celui qui incarne politiquement le gaullo-mitterrandisme à gauche – pour avoir travaillé quatorze ans auprès de François Mitterrand à l’Élysée, puis avoir été ministre des affaires étrangères de 1997 à 2002 – devra influencer les conclusions du livre blanc sur la défense, attendu pour le début de l’année prochaine. Le gaullo-mitterrandisme peut se définir comme la politique étrangère de la Ve République, basée sur l’indépendance et la préservation des marges de manœuvre de la France, développée par de Gaulle et poursuivie par Mitterrand, opposée à l’atlantisme (priorité à l’alliance avec les États-Unis) ou occidentalisme.
Nicolas Sarkozy avait décidé, dès son élection, que la France allait réintégrer tous les organes militaires de l’Otan. Le Parti socialiste à l’époque – et notamment François Hollande et Laurent Fabius, qui fut le porte-parole du groupe socialiste lors du débat à l’Assemblée nationale – s’y était vivement opposé. Par un curieux paradoxe, celui qui se réclamait de De Gaulle annihilait l’un des gestes les plus symboliquement marquants du Général sur le plan stratégique.
Heureusement pour Nicolas Sarkozy, cette réintégration, décidée alors que George Bush était président, a eu lieu alors que Barack Obama occupait la Maison-Blanche depuis peu. Il était au zénith de sa popularité. De fait, la décision de réintégration devenait difficilement critiquable. L’opinion publique française, qui aurait été hostile à une réintégration sous mandat de George Bush, ne s’y opposait pas, étant sous le charme d’Obama.
En vérité, cela ne changeait pas grand-chose, la France n’a réintégré qu’un seul comité militaire auquel elle ne participait pas. Symboliquement, l’affaire était différente. La France pouvait donner le sentiment de rentrer dans le rang et d’abandonner une politique indépendante à l’égard des États-Unis. Elle perdait ainsi son avantage spécifique vis-à-vis des autres pays européens, avec l’illusion de pouvoir détrôner la Grande-Bretagne comme allié privilégié de Washington.
La problématique est en fait bien différente. Il est tout à fait possible d’être intégré dans l’Otan en restant indépendant. La Turquie comme l’Allemagne se sont très fortement opposées à la guerre d’Irak en 2003, tout en étant totalement intégrées dans l’Otan. On voit mal, à l’avenir, François Hollande décider une nouvelle fois de quitter les organes militaires intégrés de l’Otan. Cela donnerait une impression d’instabilité de la France, changeant de position à chaque élection.
Mais il est par contre tout à fait possible de demeurer à part entière dans l’Otan tout en faisant preuve d’indépendance. C’est ce que n’a pas fait Nicolas Sarkozy. Il avait dans un premier temps fait dépendre la réintégration de la France d’une européanisation de l’Otan. Elle n’a pas eu lieu pour le moment. L’Europe de la défense est en panne, et la France, qui en était l’avocat, s’est faite plus discrète et moins active sur le sujet.
La France perdrait en crédibilité en quittant les organes militaires intégrés. Elle peut par contre montrer que sa réintégration n’a en rien limité son autonomie stratégique, en posant des problèmes de fond dans l’Alliance qui ne l’ont pas été pour le moment. Comment doit évoluer l’Alliance ? Doit-elle être perçue comme le bras armé de l’Occident ? Quelles leçons tirer de l’échec afghan ? Le système de défense antimissile ne risque-t-il pas de relancer dangereusement et inutilement la course aux armements ?
La France doit parler clairement et montrer qu’elle ne suit pas passivement et aveuglement la politique du Pentagone. Rester dans les organes militaires intégrés de l’Otan ne pèsera pas sur l’autonomie ni sur le rayonnement de la France, à condition qu’elle fasse entendre une voix autonome et indépendante. Cela n’a pas été le cas pour le moment. À François Hollande de montrer qu’il peut suivre la même voie que de Gaulle et Mitterrand, en étant un allié loyal, mais avec sa vision propre des affaires stratégiques. Et le projet de bouclier antimissile est le dossier prioritaire pour que la France marque sa différence.