ANALYSES

« La fin du monopole occidental »

Presse
29 décembre 2012
Pascal Boniface - Le Journal du Dimanche

Directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), Pascal Boniface prévoit le déclin du monopole de la puissance occidentale et la montée de la puissance asiatique. Plus aucun État ne pourra imposer seul ses volontés.


La fin du monopole de la puissance

"La plus grande mutation est celle de la fin du monopole occidental sur la puissance. Elle est en cours depuis une vingtaine d’années et va se poursuivre encore sur une trentaine d’années. Depuis le XVe siècle, l’Occident était au cœur des relations internationales et dirigeait le monde. C’est fini. C’est l’évolution fondamentale, plus importante encore que la fin du monde bipolaire, puisque ce dernier n’a duré que quatre ou cinq décennies. Ce qui prend fin aujourd’hui a duré cinq siècles et est très enraciné dans les consciences et les habitudes de pensée. Mais l’erreur serait de penser que c’est la fin de la richesse ou de la puissance occidentale. C’est la fin du monopole, simplement. Le monde occidental n’est pas devenu pauvre ni faible. Il doit juste accepter que d’autres soient riches et puissants et ne plus penser qu’il a la possibilité de décider seul des affaires mondiales."


Basculement du centre de gravité vers l’Asie

"Le centre de gravité du monde quitte l’Europe pour aller en Asie. Le PNB chinois devrait rattraper celui des États-Unis. Les préoccupations stratégiques américaines se concentrent d’ailleurs vers l’Asie. Même si les Américains renforcent leur présence du fait des tensions entre le Japon et la Chine, cette stratégie avait été décidée avant. La zone la plus chaude reste le Proche-Orient, mais la zone la plus importante est l’Asie."


Un monde en voie de multipolarisation

"Que la Chine ait envie ou non de prendre les commandes du monde… De toute façon, ce ne sera pas possible. L’époque où un pays peut imposer ses volontés aux autres est révolue. On le voit aujourd’hui avec les États-Unis, hyperpuissance incapable d’imposer sa volonté : entre l’échec en Afghanistan, l’impossibilité d’une paix au Proche-Orient et la poursuite du programme nucléaire iranien. Il en sera de même si la Chine dépasse les États-Unis. Il n’y aura pas de partage du monde entre deux puissances, comme au temps de la guerre froide, pas de compétition-¬rivalité sino-¬américaine comparable à l’ancienne compétition-¬coopération entre l’URSS et États-Unis. Il y a trop d’acteurs, trop d’États, trop d’émiettement de la puissance. Ce sera un monde en voie de multipolarisation. Il y a aura forcément des équilibres à trouver."


La bonne surprise de l’Afrique

"L’Afrique a commencé sa course et son entrée de plain-pied dans la mondialisation. Elle va la poursuivre. Souvent vue de façon négative, l’Afrique pourrait devenir le continent de l’avenir. L’Afrique pourrait être la surprise économique et stratégique des prochaines décennies. Même s’il y a encore des pays dévastés comme la RDC, il y a aussi de belles réussites, comme l’Angola, qui connaît une forte croissance depuis la fin de la guerre. L’Afrique du Sud est moteur, malgré une panne de croissance pour l’instant. Il y a un progrès de la démocratie puisque les élections deviennent les arbitres des pouvoirs. Ce n’est pas encore universel, mais c’est beaucoup plus fréquent qu’auparavant."


Les opinions publiques

"Le poids des opinions va s’accentuer. Non seulement dans les démocraties où les dirigeants ne peuvent conduire de politique sans l’assentiment des opinions, mais aussi dans les pays qui n’élisent pas leurs dirigeants. Il y a 500 millions d’internautes en Chine. La Chine n’est pas une démocratie à l’occidentale, mais il y a néanmoins un poids de l’opinion dont les autorités doivent tenir compte. Dans les tensions avec le Japon, d’ailleurs, l’opinion publique chinoise pousse plus à la surenchère qu’à l’accalmie. Le nationalisme n’est pas mort dans un monde globalisé. Lors du printemps arabe, certains parlaient d’un effet domino. En fait, c’est bien pays par pays que les mouvements se situent. Ce qui se passe en Syrie n’a rien à voir avec ce qui se passe en Tunisie ou en Égypte. L’échelon national reste pertinent dans l’analyse des relations internationales."

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