Mali : quelle guerre la France peut-elle se permettre
Depuis longtemps, le coût des opérations extérieures est, au moins en partie, pris en charge par un abondement du budget voté par le Parlement. Toutefois, tout aussi traditionnellement, ce supplément budgétaire ne couvre pas le coût réel des opérations, et encore moins l’hypothèque sur le futur que fait peser l’usure accrue des matériels et les consommations de matériels et de potentiels. Le désengagement d’Afghanistan aurait permis de faire des économies, puisqu’il concernait à peu près le même nombre d’hommes que ceux qui seront prochainement engagés au Mali. En fait, ces "économies" ne seront sans doute pas suffisantes pour compenser le coût des opérations en cours, d’autant plus qu’il faut en ce moment payer les retours et les remises en état des matériels rapatriés.
Aujourd’hui, la question n’est pas vraiment de savoir si la France a les moyens de mener l’essentiel d’une opération à laquelle elle ne devait, au départ, qu’apporter un soutien. La vraie question est de savoir si le pouvoir politique va décider que le pays doit payer le prix de cette intervention, ou si ce prix doit être payé par une nouvelle diminution des capacités des forces militaires du pays.
La France dispose, à condition de faire certains choix de priorités, de suffisamment de matériel pour mener ce type d’opérations dans le domaine des hélicoptères, des blindés légers, des avions de combat. Elle dispose aussi de structures de commandement et de communication à peu près adaptées. Les principales lacunes résident dans le manque de moyens de reconnaissance et, surtout, de projection. Sur un théâtre aussi vaste et complexe que le Nord du Mali, le problème est bien davantage de trouver et de traquer les cibles que de les attaquer. Pour ce faire, le moyen le plus adapté est le drone, capable de survoler très longtemps une zone. Cela nécessite, au-delà des drones eux-mêmes, domaine dans lequel la France a un certain retard sur les Etats-Unis, des structures d’analyse de l’information et de transmission des données que nous ne possédons pas encore. Mais la plus criante des lacunes est l’absence de moyens de projection suffisants. La défense française n’a actuellement aucun moyen de transport stratégique en propre et est obligée de compter sur ses alliés ou sur des locations pour remplir cette fonction. Encore faut-il que ces moyens soient disponibles et que leurs propriétaires acceptent de les mettre à disposition. Pour le transport tactique, les capacités des C 130 et des Transall sont insuffisantes. Ces derniers sont de plus à bout de souffle. Cette situation qui va encore s’aggraver. L’A 400M a pris beaucoup de retard, et même son arrivée ne résoudra pas complétement le problème étant donné le nombre d’avions commandés.
Encore une fois, la principale question réside bien davantage dans la volonté des politiques que dans des considérations plus matérielles. La France a maintenu un effort de longue durée en Afghanistan. Elle a choisi de stopper cet effort et elle est maintenant dans l’obligation de demander l’aide de ceux qu’elle a laissés seuls. Elle aura encore besoin de leur coopération aussi longtemps que les opérations dureront au Mali. Il faudra de plus prendre en charge, pour l’équipement, la formation et le soutien, les forces africaines. A ce jour, ce sont elles qui ont vocation à prendre la relève des forces françaises, en particulier pour tenir le terrain dans le Nord, mais elles ne sont techniquement pas autonomes. Tout ceci aura un coût important que la France devra assumer pour la plus grande part.
La France ne pourra continuer d’assumer ce type d’opérations dans le futur que si les capacités de ses armées sont maintenues et régénérées. Ce qui veut dire qu’il faudra non seulement ne pas réduire les moyens dont les armées disposent, mais les maintenir en état quantitatif et qualitatif, ce qui impose de leur accorder un niveau de priorité bien supérieur à celui qui est envisagé. C’est le prix à payer pour garder notre crédibilité sur la scène internationale.