ANALYSES

Le Qatar n’achète pas la France, il achète en France

Presse
17 janvier 2013
Pascal Boniface - La Croix

Le Qatar est certainement le pays étranger qui a suscité le plus de reportages et de commentaires dans les médias français en 2012. Certains relèvent de la curiosité, du besoin de comprendre la stratégie d’un pays à la démographie et à la géographie réduites, mais qui a une activité internationale extrêmement importante. Il y a, en effet, une énigme qatarie. D’autres sont nettement moins bien orientés, alternant entre les préjugés, les arrière-pensées et parfois tout simplement l’hostilité vis-à-vis d’un pays pour la simple raison qu’il s’agit d’un pays musulman wahhabite du Golfe, riche grâce à ses gisements énergétiques. Et la tonalité qui se dégage, c’est un Qatar qui achète la France. Notre souveraineté, notre indépendance seraient menacées.


La très forte augmentation du cours des matières premières énergétiques a donné au Qatar des capacités d’investissement et une force de frappe financière disproportionnées par rapport à sa population. Il a choisi d’investir en France, comme dans d’autres pays, pour ne pas dépendre des seules matières premières énergétiques. Il a bâti un plan à long terme pour qu’en 2030 la moitié de ses revenus proviennent de ses investissements à l’étranger.


D’une façon amusante, alors que ses investissements étaient déjà conséquents auparavant, l’achat du Paris Saint-Germain – pour une somme modeste comparée aux autres acquisitions – lui a donné une visibilité médiatique incomparable.


La France doit multiplier les partenariats si elle veut conserver des marges de manœuvre.

Le PSG donne d’ailleurs quelques exemples des travers de ce traitement médiatique. Certains ont regretté que le club de football soit vendu à des étrangers. II appartenait avant cela à Colony Capital, un fonds de pension américain. De surcroît, ce fonds de pension était plus intéressé par le potentiel immobilier du Parc des Princes que par l’équipe de football. Il a été également dit que l’équipe féminine, désormais, ne pourrait plus jouer au Parc des Princes. Elle n’y avait jamais joué auparavant et les nouveaux propriétaires, loin de reléguer l’équipe féminine à l’arrière-plan, lui ont donné des moyens qu’elle n’avait jamais eus. L’homosexualité étant pénalisée au Qatar, on avait prédit que le partenariat entre le PSG et le Paris Football Gay ne serait pas reconduit. Il l’a été.


Les Qataris ont donné au PSG une autre dimension, utile et globale au football français, plus compétitif dans les championnats européens.


Le Qatar n’est-il pas en train d’acheter la France ? Son intérêt pour les banlieues n’est-il pas suspect ? Certains ont imaginé des hordes d’imams allant prêcher le djihad. On voit bien la part de fantasme. La France serait-elle si fragile qu’elle puisse être mise sous influence par le Qatar ? La France n’a-t-elle pas intérêt à établir un partenariat ? Cela ne sert-il pas les intérêts nationaux respectifs de chaque pays ?


Le Qatar n’achète pas la France, il achète en France. II fait des investissements en France, comme la France fait des investissements au Qatar. La véritable question à se poser est de savoir si le Qatar, en défendant son intérêt national, ce qu’il fait dans sa relation avec la France, le fait de façon compatible avec l’intérêt national français.


La France et le Qatar n’ont certainement pas le même système politique et juridique, mais ce sont les règles françaises qui s’appliquent et nous ne pouvons pas ne coopérer qu’avec nos semblables.


Dans un monde en profonde mutation, où la rente de situation que la France avait pendant la guerre froide du fait de sa position originale a disparu, où le monde occidental a globalement perdu le monopole de la puissance, la France doit multiplier les partenariats si elle veut conserver des marges de manœuvre. Elle doit le faire en dehors du cercle européen et atlantique, avec d’autres pays pour faire prévaloir ses intérêts. Le Brésil, la Turquie, le Mexique, le Japon, l’Indonésie, etc. Bref, avec tous les pays émergents, y compris le Qatar. Il n’est pas question d’avoir une relation exclusive avec le Qatar ni de lui permettre d’influencer notre politique. Il s’agit d’agir au coup par coup avec lui, lorsque nous y trouvons intérêt. L’intérêt du Qatar pour la France peut paraître disproportionné vis-à-vis de sa taille. Il n’est pas démesuré par rapport aux capacités françaises.

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