L’Europe pour quoi faire ? La peur d’une guerre ne suffit plus
Demain samedi 23 février, à Enghien-les-bains (Val d’Oise), l’Europe sera à l’honneur lors d’un colloque organisé par l’IRIS, dont Le Plus est partenaire, auquel participeront Elisabeth Guigou, Jean Quatremer, Yvan Rioufol, Roselyne Bachelot et une dizaine d’autres intervenants [1]. Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’IRIS, ouvre déjà le débat.
Ce qui peut inquiéter, dans la situation de l’Union européenne, c’est la perte de repères dans laquelle se trouvent à la fois les États et les citoyens. Ce qui s’exprime c’est sans doute plus qu’un doute, le sentiment qu’il n’y a plus de boussole qui pourrait nous donner le sens de la marche. Ou pire, la boussole ne donne pas le même Nord selon que l’on est à Paris, à Berlin, à Londres, mais aussi à Helsinki à Bucarest ou Tallin, tous ces pays qui sont trop petits ou trop loin pour être véritablement dans notre champ de compréhension.
Pourtant, le jeu diplomatique qui s’exprime dans un ensemble qui est encore loin d’être un État fédéral est tout à fait normal. Mais il faut bien le dire, nos dirigeants manquent souvent de souffle : sauver l’euro ne peut constituer une fin en soi. On ne fait pas rêver un être vivant en lui disant qu’il doit s’estimer satisfait parce qu’il n’est pas mort.
On a beaucoup glosé sur le discours qu’a prononcé le Premier ministre britannique, David Cameron, sur l’Europe en janvier 2013, en mettant en avant la forme de chantage qu’il faisait peser sur l’Europe avec le référendum qu’il souhaitait organiser en 2015. On a moins disserté sur le fait que le dirigeant britannique, en donnant une vision claire de ce que doit être l’Europe vue de Londres, nous posait les vraies questions auxquelles nous devons répondre. Que partageons-nous ? Qu’est-ce qui nous différencie ?
Le problème est que si l’Europe ne doit se résumer qu’au plus petit dénominateur commun qui nous réunit, il ne restera bientôt plus grand-chose et en tous cas pas qui puisse attirer les citoyens. Ou alors, il faut faire comprendre à nos opinions publiques que sous le vocable "Union européenne", il peut y avoir des clubs de pays que réunit la volonté d’aller plus loin dans certains domaines – l’Europe différenciée dont a parlé le président François Hollande lors de son discours au Parlement européen au début du mois de février.
Et puis il faut positiver. Ariane, c’est l’Europe. Galiléo, le positionnement par satellite, c’est l’Europe. La politique agricole commune, c’est l’Europe. Une véritable relance par une politique d’innovation, c’est l’Europe. Pourquoi le président américain Barack Obama a-t-il mis à l’agenda de sa deuxième présidence la signature d’un accord de libre-échange avec l’Union européenne, si ce n’est parce qu’il voit dans l’accès au marché européen une chance pour son pays ? L’Europe peut encore être attractive et il faut le dire.
Même en matière de politique étrangère et de défense, la situation n’est peut-être pas si noire qu’on veut bien le dire. Nos partenaires européens ne combattent pas au Mali au côté des troupes françaises ? C’est vrai. Mais en même temps, leur soutien politique est réel. L’appui logistique se met en place.
Ces partenaires ont des interrogations sur la solution politique à mettre en place, sur l’armée malienne, sur la gouvernance au Mali et sur les forces armées africaines qui doivent constituer le soutien à l’armée malienne ? La réalité est que nous nous posons les mêmes questions à Paris. Et puis, la solidarité que nous demandons à l’Europe sur le Mali, aurions-nous la même vis-à-vis des pays d’Europe centrale si une crise se déclarait dans le Caucase au voisinage Est de l’Union européenne ?
L’erreur, aujourd’hui, ce serait de ne pas se poser les questions, de se voiler la face, de trouver des compromis qui arrangent tout le monde à très court terme, notamment pour des raisons électorales, sans nous projeter dans l’avenir dans 15, 20, 30 ans. La démocratie, c’est aussi considérer les individus comme des citoyens et non comme des électeurs et ne pas avoir peur de leur présenter clairement les choix qui s’offrent à eux. Il faut leur faire confiance car sinon, ils ne nous feront pas confiance.
Il y a encore une place pour une politique étrangère et de défense commune. Celle-ci ne peut plus être basée sur la crainte de la guerre entre les pays européens. La deuxième Guerre mondiale est désormais trop loin dans les mémoires et les jeunes attendent une vision positive et dynamique de l’Europe et non une vision tournée vers le passé. Il faut aussi que cette politique étrangère soit compréhensible par le citoyen européen.
L’opération militaire au Mali n’a de sens que si l’on peut prouver au citoyen français, mais aussi au citoyen danois, belge, bulgare ou lituanien, que sa sécurité sera renforcée. Sinon nous resterons dans des égoïsmes nationaux, notre champ d’action se rétrécira de plus en plus, à l’heure où la mondialisation nous impose d’avoir la planète comme champ d’action.