ANALYSES

Impuissante : réussira-t-on un jour à dépasser la malédiction qui pèse sur l’Europe de la défense ?

Presse
6 mars 2013
Interview de [Fabio Liberti->http://www.iris-france.org/cv.php?fichier=cv/cv&nom=liberti], directeur de recherche à l’IRIS
François Hollande et Angela Merkel se réunissent ce mercredi à Varsovie pour discuter de l’Europe de la défense. Pour quelles raisons l’Europe de la défense n’a-t-elle jamais véritablement commencé ?

Le non succès de l’Europe de la défense est avant tout lié au manque de définition réelle de ce que l’on entend par "Europe de la défense". Plusieurs versions s’affrontent :


• la création d’une armée européenne : nous n’y sommes actuellement pas et il est peu probable que l’Union y parvienne au cours de la prochaine décennie


• une coopération accrue entre les Etats européens : de nombreux progrès ont été réalisés ces dix dernières années notamment depuis le sommet franco-britannique de Saint-Malo en 1998 qui a donné naissance à cette coopération


• un renforcement de la coopération entre les Etats européens qui permettrait de peser sur la scène internationale


Au final, l’Europe de la défense n’est qu’une subordonnée d’une "Europe de la politique étrangère" qui n’existe pas. Chaque gouvernement garde jalousement ses prérogatives en matière de fixation de ses intérêts stratégiques. Or, sans politique étrangère commune il est difficile de créer une défense commune.


Sous l’impulsion de la France, un traité avait été signé par six Etats – les trois pays du Bénélux, l’Allemagne de l’ouest et la France – dans les années 1950 afin de créer la Communauté européenne de défense. L’objectif était de créer une armée européenne visant à unir l’ensemble des armées jusqu’à la plus petite unité existante. L’idée sous-jacente était aussi de contrôler le réarmement de l’Allemagne. Bien que la France ait été signataire, elle n’a pas ratifié le traité à l’Assemblée nationale en 1954 ce qui à conduit inéluctablement à l’échec du projet. Les communistes étaient opposés (afin de ne pas renforcer l’Europe face à l’Union soviétique) ainsi que les gaullistes. La présence américaine à travers le monde s’est imposé comme la seule forme de défense européenne réelle.


Pourquoi la France s’est-elle davantage tournée vers le Royaume-Uni, plutôt eurosceptique, en termes de coopération militaire plutôt que vers d’autres Etats européens ?

Nous parlons souvent du moteur franco-allemand même si depuis quelques temps la locomotive est surtout allemande, la France commençant à accumuler les retards. Les grandes initiatives européennes ont en effet été le fruit de ce duo et les décisions prises ont été par la suite suggérées, voire imposées par la suite aux autres partenaires européens. Mais ce couple n’a jamais existé dans le domaine de la défense car Berlin a toujours été réticent à prendre des responsabilités dans le domaine militaire pour des raisons historiques évidentes. Résultats : le décalage stratégique entre les deux pays est important.


La France a donc naturellement tendance à se tourner vers le Royaume-Uni lorsqu’il s’agit d’organiser une opération militaire sur le plan opérationnel, d’autant plus que les deux pays se considèrent comme les deux gagnants de la Seconde Guerre mondiale, qu’ils disposent tous deux de l’arme nucléaire, d’un siège de membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU et qu’ils assument leurs politiques de défense de leurs intérêts stratégiques. Une chose encore impossible aujourd’hui pour les Allemands et, dans une moindre mesure, les Italiens. Le couple frano-britannique est par conséquent devenu le moteur de l’Europe de la défense. Mais le Royaume-Uni n’est plus certain de vouloir rester au sein de l’Union européenne. Il y a bel et bien un problème à ce que cette collaboration ne soit plus européenne à proprement parler, mais purement bilatérale.


L’Europe de la défense existe-t-elle implicitement par la coopération?

Ces dernières années, l’Europe de la défense a plutôt émergé par défaut, notamment parce que les Etats sont étriqués par des considérations d’ordres budgétaires et que chaque gouvernement souhaite protéger ses industries et les emplois industriels, surtout en période de crise économique.


Justement, la crise va-t-elle pousser les européens à s’unir sur le plan militaire ?

Sur le plan d’une logique économique de long terme, il est évident que la création d’un chantier européen de la défense – pour les avions de chasse par exemple – générerait des effets biens plus performants qui permettraient de faciliter les exportations.


Mais sur le plan pratique, ce chantier nécessiterait de procéder à des fusions entre les différents groupes et, par la suite, la fermeture d’un nombre important de sites industriels et la suppression des emplois qui y sont associés, ce qui serait très difficile à faire accepter politiquement surtout lorsqu’un Etat y investit plusieurs milliards. Dernier exemple en date, Angela Merkel a posé son veto à la fusion entre BAE System et EADS tout simplement parce qu’elle craignait des pertes d’emplois en Bavières en plein période électorale. La tendance reste toutefois à une véritable consolidation du secteur à l’échelle européenne.

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