ANALYSES

Hugo Chavez, un missionnaire de l’économie solidaire

Presse
7 mars 2013

Le Venezuela est un pays de taille et d’économie modeste. La mort d’Hugo Chavez, son président, le 5 mars, est à l’image de sa vie, paradoxalement médiatisée à l’extrême. Il est vrai qu’il jouait, se jouait et acceptait de jouer avec les medias. Qui le lui rendaient bien. Ses foucades télévisées, ses mots à l’emporte pièce, faisaient mouche. Etait-il chef d’une démocratie populaire ? Avait-il mis sous tutelle étatique l’économie de son pays ? Etait-il socialiste ? Etait-il une réplique continentale de Fidel Castro ? Avait-il converti le Venezuela au communisme cubain ? Etait-il un modèle pour les révoltés du monde ? Il l’affirmait en tous les cas. Et la presse main stream, de New York à Francfort, sans oublier les journaux de Caracas lui ont fait crédit sans inventaire.


Le décor ainsi posé pourtant cachait une réalité plus complexe. Il y a oui, un florilège de déclarations, de publications, au label on ne peut plus officiel, qui font référence au "socialisme du XXIe siècle". Les partisans d’Hugo Chavez défilent c’est vrai en chemises rouges. Mais le Venezuela d’Hugo Chavez n’a pas décrété de grand soir communiste ou socialiste. Il n’y a pas eu de fiscalité confiscatoire, de nationalisations des moyens de production, du commerce petit et grand, pas plus qu’il n’y a eu de planification de l’économie par l’Etat. La jeunesse n’a pas été enrégimentée dans un mouvement de faucons rouges. En dépit des polémiques avec l’opposition et ses journaux, Il n’y a pas de Pravda chaviste, feuille unique de lecture permise aux Vénézuéliens. Le multipartisme est garanti par la Constitution.


La vraie rupture aura été celle de la solidarité. Solidarité sociale d’abord en direction des Vénézuéliens les plus défavorisés. Depuis 2003 le régime a mis en place des programmes ciblant les populations marginalisées. Baptisés "missions", ils ont apporté aux personnes vivant dans la précarité, la gratuité et la proximité en ce qui concerne la santé (mission dite Barrio Adentro), un réseau de produits alimentaires à bas prix (mission Mercal), le logement (mission Habitat) et l’école (Missions Robinson, Ribas, Sucre). Les chiffres chantent comme on dit. Ils signalent une réduction notable de la grande pauvreté. Et un attachement compréhensible à la perpétuation de ces missions, de la part de ses bénéficiaires.


Solidarité extérieure également, qui a été aussi politique d’influence avec le Sud, le Sud voisin de la Caraïbe et d’Amérique du Sud, le Sud plus lointain d’Afrique et du monde arabe. L’argent du pétrole vénézuélien a en effet été mis à contribution pour fabriquer de la coopération. L’ALBA-TCP, Alternative, puis, Alliance bolivarienne des Amériques-Traité de commerce entre les peuples, et ses petits, Petrosur, Petrocaribe, Petroandina, Banque du Sud, Telesur, unité de compte commune, le Sucre (système unifié de compensation régionale), ont tissé un réseau de complémentarités financé par le Venezuela. Quinze pays d’Amérique centrale et des Caraïbes, la Bolivie, Cuba, le Nicaragua, l’Uruguay, ont ainsi capté 8 % de la production vénézuélienne en 2011. Le Venezuela a organisé le sommet fondateur de la Célac (Communauté des Etats de l’Amérique latine et de la Caraïbe) en 2011. Il a participé activement à d’autres projets, portés par le Brésil, en direction de l’Amérique du Sud (Unasul), de l’Afrique (ASA) et du monde arabe (ASPA).


La priorité donnée au pétrole est à la base de cette solidarité nationale et extérieure, définie par le régime comme "socialisme du XXIe siècle". Dés sa prise de fonction, en 1999, le président Chavez a bataillé au sein de l’OPEP pour faire grimper le prix du baril. Tombé à 10 dollars il avait plongé le pays dans une crise globale, économique, politique et sociale. Hugo Chavez en avait bénéficié. Il ne voulait pas en être la victime. Algérie, Irak, Iran, Libye, Nigéria, Russie, il a alors fait le tour de tous ceux qui se trouvaient dans la même situation. Il a organisé à cet effet un sommet de l’OPEP à Caracas en 2000. La Chine aidant, la baisse de production concertée à Caracas a stimulé les prix.


Hugo Chavez est alors passé à une seconde étape, celle de la captation des retombées financières de la vente de pétrole. La mise sous tutelle de la société pétrolière nationale, PDVSA (Pétroles du Venezuela société anonyme) est devenue une priorité politique. Bien que société publique, depuis le 1er janvier 1976, PDVSA, était laissée libre de gérer ses affaires par son actionnaire principal. Après une grande grève l’ayant opposé aux cadres et salariés de PDVSA, à la fin 2002 et au début de 2003, Hugo Chavez a sollicité et obtenu pour l’emporter le soutien des Brésiliens Henrique Cardoso et Luis Inacio Lula da Silva. PDVSA a in fine été mise au pas. Plus de 10 000 employés et dirigeants ont été licenciés. L’affectation des bénéfices de l’entreprise ont été soumis désormais aux directives sociales voulues par le gouvernement.


Pour le reste peu de choses. Le Venezuela était un pays victime du syndrome hollandais. Il est à ce jour toujours paralysé par cette malédiction. Avant-hier, avant le pétrole, avant donc 1920, le pays produisait l’alimentation dont il avait besoin. Il exportait du café. Aujourd’hui le Venezuela importe sa nourriture comme l’essentiel de sa consommation courante. Les tentatives de diversification agricole et industrielle, ou de création d’un tiers secteur, relèvent du social plus que de l’économie. Comme ses prédécesseurs, le gouvernement est contraint de remettre en dévaluant la monnaie nationale les compteurs à zéro, de temps en temps, pour casser l’inflation et tenter de donner un peu d’air aux survivants du secteur productif. Dévalué en janvier 2010, le bolivar l’a de nouveau été en février 2013. Ces mesures qui relèvent de l’expédient ne bouleversent pas la tendance.


Les nouvelles relations ouvertes avec les voisins de l’ALBA, les Africains, les Arabes, et même la Chine n’ont pas fondamentalement changé la donne commerciale. Les Etats-Unis étaient, et sont restés, le principal partenaire du Venezuela. Pétrole oblige, ce pétrole convoité par les Etats-Unis, ce pétrole dont la vente est une nécessité vitale pour le Venezuela. 75 % de l’huile vénézuélienne part donc vers l’Amérique du nord. PDVSA qui avait fait d’importants investissements aux Etats-Unis les a préservés. En sens contraire, Chevron a développé un partenariat avec PDVSA dans la ceinture de l’Orénoque. Les uns, les Etats-Unis, comme l’autre, le Venezuela, y trouvent leur compte, économique.


Le reste, les mots, les coups de gueule du président Chavez, ciblant le président Bush ont fait la une de bien des journaux. Mais ils n’ont au grand jamais été suivis de mesures de rétorsion Nord-américaines effectives, ou à l’inverse d’une suspension des ventes de pétrole vénézuéliennes. Beaucoup plus avares en commentaires critiques à l’égard de Washington, les autorités cubaines à l’inverse sont soumises à un embargo et à des pressions diplomatiques, concrètes et durables. Cuba il est vrai n’a pas ou très peu de pétrole.


Les autorités de Caracas s’accrochent donc au pétrole, comme à une assurance vie et à une garantie de survie politique. Ce qui peut-être les a conduits à tirer excessivement sur le chéquier PDVSA. La production de barils jours est en effet à la baisse depuis plusieurs années. Elle est en effet passée de 3,2 Mbj à 2,46 Mbj de 1997 à 2011. Une raffinerie, celle d’Amuay, a connu un grave accident ayant coûté la vie à plus de 40 personnes en août 2012. PDVSA aurait manifestement besoin de dotations plus élevées que celles qui lui sont accordées par le gouvernement. Paradoxe, faute d’investissements maisons, permettant l’entretien des installations existantes et l’exploitation des fabuleux gisements de la ceinture de l’Orénoque les autorités ont été contraintes de réintroduire en sol bolivarien, les majors du pétrole. Presque toutes ont répondu présent, de BP à Total en passant par Chevron, ENI et REPSOL.


La photographie du Venezuela d’aujourd’hui, celui qu’Hugo Chavez lègue à ses successeurs, quels qu’ils soient, est donc particulièrement composite. Les proclamations socialistes, moins qu’à Cuba et à l’URSS, renvoient sur le terrain de la politique réelle, au réformisme social de la social-démocratie européenne de l’après-guerre. Chavez ne s’interdit pas de nationaliser quand il estime que l’intérêt national est en jeu. Mais sans plus. Il n’aura jamais été qu’un collectiviste d’occasion ou d’opportunité.


Chavez aura été bien davantage un "missionnaire" accordant une forme de charité nationale aux plus pauvres. Il aura réduit ainsi la fracture sociale. La grande pauvreté a en effet baissé de 1998 à 2011 de 20,3 % à 6,9 % de la population. Mais il l’aura fait sans toucher aux fondamentaux très inégalitaires de la société. Il n’aura en aucune manière été un magicien ou un missionnaire de l’économie ayant permis à son pays de rompre avec le maléfice hollandais, la corruption et avec la délinquance, maux qui affectent de façon structurelle un pays pour bien des raisons souvent qualifié de Venezuela-saudite.

Sur la même thématique