ANALYSES

Des armes pour les rebelles ? 30 ans avant la Syrie, quand les Etats-Unis armaient les moudjahidines…

Presse
16 mars 2013
L’union européenne et les Etats-Unis semblent décidés à faire lever l’embargo sur les armes en direction de la Syrie afin d’équiper les rebelles s’opposant à Bachar el-Assad. En 1979, l’administration Carter avait aussi décidé d’armer la résistance des mudjahidines afghans contre l’occupant russe. Peut-on dire que les deux situations possèdent des points communs ?

Même si les deux situations peuvent sembler proches, il y probablement plus de différences que de ressemblances.


Au chapitre des différences, on peut noter qu’en Afghanistan, les mudjahidines luttaient non pas contre un pouvoir central dictatorial, mais contre un envahisseur étranger et un pouvoir fantoche. Ils bénéficiaient de l’appui plus ou moins direct de la grande majorité de la population. Enfin, ils servaient, à une époque où cela se pratiquait beaucoup, de combattants "par intérim" contre l’Union Soviétique dans le cadre de la lutte opposant les deux Super Grands.


Mais on note aussi que, tout comme les rebelles syriens, les mudjahidines ne se battent pas dans le cadre d’une organisation centralisée, même si, au cours des années, ils se sont regroupés au sein d’une douzaine de mouvements, ce qui pourrait se passer un jour en Syrie si la guerre civile se prolonge. Dans les deux cas aussi, les opinions publiques, comme beaucoup de dirigeants occidentaux, penchent du côté des opposants sans savoir qui ils sont réellement et sans aucune garantie de stabilité s’ils remportent la victoire.


En Afghanistan, quelles ont été les conséquences socio-politiques de l’armement des groupes islamistes ?

En Afghanistan, et surtout dans les premières années de la guerre, les combattants rebelles n’étaient pas perçus par les Occidentaux comme des islamistes, mais comme des patriotes se battant contre l’impérialisme de Moscou et accessoirement contre le marxisme. D’ailleurs, les dommages socio-politiques subis par l’URSS ont bien davantage été la conséquence de la condamnation d’une invasion réprouvée par une grande partie de la communauté internationale que les retombées directes des livraisons d’armes. En particulier le boycott des Jeux de Moscou a été très durement ressenti et marque sans doute un tournant dans la perception de l’URSS comme une super puissance leader d’une partie du monde.


Quelle a été l’utilité de cette stratégie pour Washington. A-t-elle été réemployée depuis ?

Pour Washington, cette stratégie était une partie de tout un ensemble destiné à affaiblir le seul pays contestant son hégémonie et sa puissance. Il fallait affaiblir l’Union Soviétique par tous les moyens, aussi bien politiquement qu’économiquement ou militairement. Sur le plan technique, elle a permis de tester l’efficacité de certaines armes, mais a aussi offert un excellent observatoire des réelles capacités opérationnelles de l’Armée Rouge. Les livraisons d’armes ont d’ailleurs pris un certain temps avant de prendre de l’ampleur, et il a fallu attendre 1983, après de nombreuses vérifications opérées par la CIA, pour que commencent au compte-goutte les premières livraisons d’armes sensibles, missiles sol-air tout particulièrement. Les premiers missiles sol-air Stinger ne sont arrivés qu’en 1986. Ils ont rapidement fait de gros dégâts et ont obligé les Soviétiques à modifier profondément leur emploi des avions et des hélicoptères, aussi bien dans le domaine de l’attaque que dans celui du ravitaillement.


Ces armes transitaient par le Pakistan, pays qui prélevait une partie des cargaisons au passage et les livraisons étaient contrôlées par les services secrets, proches des mouvements les plus islamistes qu’ils approvisionnaient en priorité. Ces derniers groupes ont d’ailleurs stocké une bonne partie de ces armes en prévision de la guerre civile qui a permis aux talibans d’arriver au pouvoir.


Avant la guerre en Afghanistan, les Etats-Unis avaient déjà armé –ou tenté d’armer- des groupes en lutte contre un pouvoir central jugé opposé à leurs intérêts, que ce soit en Amérique latine (affaire des contrats) ou en Asie (guérillas anti-maoïstes). La CIA continue certainement de le faire, mais de manière très discrète.


Cet exemple tend-il à démontrer qu’il est impossible ou presque de contrôler l’acheminement d’armes ?

La vente d’armes entre pays se disant respectueux du droit international passe par des restrictions et des interdictions de réexportation strictes. Quand des armes sont transmises par des voies détournées à des groupes informels et non contrôlés, il est par contre évident que le risque de voir ces armes tomber entre de mauvaises mains est très fort. On l’a vu en Afghanistan, mais aussi en Libye plus récemment. L’argument selon lequel il est possible de contrôler la destination de ces fournitures d’armes relève d’une grande hypocrisie. Il est d’ailleurs surprenant de le voir utiliser par ceux-là même qui ont reproché pendant des années aux Etats-Unis d’avoir armé et entraîné des personnages et des groupes qui se sont révélés nuisibles par la suite, Ben Laden par exemple.


Le problème va plus loin. Permettre à des groupes non contrôlés de gagner une guerre civile, c’est leur permettre de s’approprier les dépôts d’armes du précédent pouvoir. Au cours de la guerre civile en Albanie, ce sont des centaines de milliers d’armes qui ont été répandues dans la nature, et que l’on retrouve dans des endroits où on ne voudrait pas les voir, en particulier dans les milieux du grand banditisme. L’armée syrienne (300.000 personnels d’active, autant de réservistes, plus des milices) dispose d’armes, en particulier d’armes de petit calibre, en très grande quantité. La plus grande partie des dépôts est actuellement sous contrôle du pouvoir central.


Certaines livraisons sont beaucoup plus sensibles que d’autres, en particulier les missiles sol-air "légers", comme le Stinger. De telles armes sont capables de changer la physionomie d’un conflit, parce que leur présence interdit pratiquement l’emploi des hélicoptères et limite celui des avions en les obligeant à tirer de plus haut et de plus loin. Or il semble que l’un des principaux problèmes des adversaires de Bachar el-Assad soit leur incapacité à contrer les frappes aériennes et qu’ils demandent en conséquence des armements sol-air. La dispersion de telles armes remettrait immédiatement en cause les capacités d’intervention de toutes les puissances militaires.

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