ANALYSES

Hugo Chavez, président paradoxal, d’un pays paradoxal

Hugo Chavez, président du Venezuela est mort mardi 5 mars 2013. Son corps a été solennellement et publiquement mis en scène dans une caserne le 15 mars. Son successeur doit être désigné par les électeurs vénézuéliens le 14 avril prochain. Les deux candidats qui aspirent à la magistrature suprême, Nicolas Maduro, vice-président, proche du chef d’Etat défunt, et Enrique Capriles, opposant résolu, mais civilisé, se disputent pendant la campagne qui vient de s’ouvrir le parrainage du Libérateur, Simon Bolivar.


Hugo Chavez, mythe paradoxal. La mort d’un président, quel qu’il soit, et quel que soit son pays, interpelle plus que toute autre. Le président est un symbole collectif, au même titre que l’hymne national, le drapeau, les monuments du souvenir, qui par définition sont éternels. Hugo Chavez, plus que tout autre, était un mythe vivant. Un mythe construit par lui-même, qu’il avait délibérément placé sous l’aile d’un grand prédécesseur, ou d’un précurseur, Simon Bolivar. Simon Bolivar était la chair de son verbe. Vivant au-delà de la mort. Hugo Chavez ne pouvait donc, ne peut pas mourir. Pour ses adulateurs, et qui sait aussi pour ses adversaires les plus résolus. On a oublié, ou on feint de ne pas savoir, que Simon Bolivar, est au Venezuela comme en Colombie, le dénominateur commun de tout un chacun. L’enseignement de la pensée de Bolivar, ne date pas des années chavistes, mais a été introduit dans les programmes,… en 1974.


Hugo Chavez, mythe révocable. Dictateur, satrape, putschiste, émule de Fidel Castro, sont des qualificatifs communs que l’on a pu lire ou que l’on a pu écouter au sujet du président décédé. Hugo Chavez était pourtant un éternel candidat remettant sa légitimité en jeu. Il l’aura fait une douzaine de fois. Quasiment toutes avec succès. Il a en effet perdu un seul de ces défis électoraux annuels, le référendum constitutionnel de 2007. Il est vrai que l’appareil d’Etat était mobilisé en faveur du candidat officiel. Mais il est tout aussi vrai que l’opposition a pignon sur rue. Elle a des élus, députés, gouverneurs et maires. Mais elle est multiple, ce qui a constitué pour elle un obstacle majeur. Bien qu’elle bénéficie de l’appui d’un certain nombre de medias. Mais d’une consultation à l’autre le rapport de force est grosso modo resté le même, 55% pour Hugo Chavez, et 45% pour l’opposition. Ce rapport de force n’a pas bougé le 16 décembre 2012, jour d’une consultation régionale et locale, alors qu’Hugo Chavez, déjà hospitalisé à La Havane, n’était plus, physiquement, présent.


Hugo Chavez, mythe polémique et trompeur. Le Verbe était au cœur du discours chaviste. Seules les qualités de débatteur et d’orateur, de bateleur diront certains, du colonel-président, permettent de comprendre comment le responsable d’un pays finalement aussi modeste a réussi à capter l’attention d’autant de medias internationaux. Le paradoxe ici est total entre la Parole et les actes. La conviction mise dans les propos les plus excessifs, l’art de la provocation, ont finalement séduit une presse en quête permanente d’auditeurs et de téléspectateurs. Les journaux, radios et télévisions occidentales le tournaient souvent en dérision, mais ils avaient finalement besoin de ce chef d’Etat porteur d’indice d’écoute. Or la réalité était la plupart du temps bien éloignée des excès tribuniciens. Le Venezuela n’est pas en effet une démocratie populaire. L’économie de marché, bien que soumise à des caprices d’Etat reste la norme. Les Etats-Unis sont les principaux partenaires commerciaux du Venezuela. Le socialisme vénézuélien est un réformisme de répartition des dividendes pétroliers. Il n’y a pas ici de fiscalité confiscatoire. Caracas n’est pas La Havane.


Une opposition en quête d’un mythe concurrent. Ecartée d’un pouvoir qu’elle estimait lui revenir l’opposition aura été tout aussi excessive dans ses propos et ses actes que le président aujourd’hui disparu. Elle aura tout tenté pour l’écarter du pouvoir. En avril 2002 le patronat, les partis traditionnels avec le soutien d’une partie de l’armée ont arrêté Hugo Chavez. L’opposition, constatant alors l’absence du chef de l’Etat, déclare la vacance du pouvoir et désigne un président intérimaire. La pantalonnade durera 48 heures. Quelques mois plus tard elle a tenté de bloquer la production et l’exportation de pétrole, mettant le pays au bord d’une catastrophe majeure. Le Brésil, d’Henrique Cardososo d’abord, puis de Lula da Silva, ensuite, sortira Chavez de ce mauvais pas. Trois ans plus tard l’opposition dénonce la dictature chaviste. Elle refuse de participer aux législatives. N’ayant obtenu, et pour cause aucun député, elle dénonce l’arbitraire d’une chambre "bleue horizon", monocolore. L’opposition a depuis lors changé son fusil d’épaule et décidé de participer aux élections. La politique sociale du pouvoir a ultérieurement été dénoncée comme clientéliste. Les Missions, c’est leur nom grâce à l’argent du pétrole ont permis aux habitants des périphéries urbaines et sociales d’accéder à la santé et à l’éducation. En octobre 2012, Henrique Capriles, au nom de l’opposition a fait marche arrière et signalé qu’élu, il maintiendrait des programmes qui ont démontré leur bien fondé.


Hugo Chavez et le paradoxe iranien. Il reste bien sûr les foucades internationales. Jusqu’aux derniers moments d’Hugo Chavez, ceux de ses funérailles officielles, les télévisions occidentales auront mis en évidence une réalité sélective. Le président iranien était là, au pied du cercueil, qu’il a ostensiblement baisé. Soit. Mais il y avait aussi les amis latino-américains d’Hugo Chavez, les alliés de l’ALBA, l’Alliance Bolivarienne des Amériques, le Bolivien Evo Morales, le Nicaraguayen Daniel Ortega, l’Equatorien, Rafael Correa. Et pourquoi n’avoir pas signalé la présence tout aussi significative des présidentes argentine et brésilienne, Cristina Kirchner et Dilma Rousseff, du chef de l’Etat péruvien Ollanta Humala. Et mieux encore, celles d’Enrique Peña Nieto, président du Mexique, Juan Manuel Santos, président de Colombie, et de Samuel Piñera, président du Chili, considérés comme des alliés des Etats-Unis et de l’Europe.


Président paradoxal, réalité paradoxale, pays finalement paradoxal, difficilement réductibles aux instantanés et aux touits qui sont le nec plus ultra de l’information des années 2010. Paradoxe supplémentaire, et final (?), Nicolas Maduro, chef de l’Etat intérimaire et candidat aux présidentielles du 14 avril, a signalé que feu Hugo Chavez, son mentor et prédécesseur, avait poursuivi au ciel son travail politique en œuvrant en faveur de l’élection du nouveau pape François Ier.

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