ANALYSES

Corées : quelle forme pourrait prendre le conflit entre Sud et Nord ?

Presse
10 avril 2013
Bien qu’il soit loin d’être certain que les menaces nord-coréennes soient finalement mises à exécution, la tension continue entre Pyongyang et Séoul avec le blocage par le Nord de l’accès à un complexe inter-coréens aux travailleurs du Sud. En quoi un véritable affrontement serait-il différent sur le plan stratégique des guerres d’escarmouche modernes ? Quel sont les défis d’une guerre face à une armée régulière plutôt qu’un groupe paramilitaire ?

A ce jour, et si l’on en croit les déclarations des Etats-Unis, qui sont les seuls à disposer de réels moyens de surveiller ce qui se passe en Corée du Nord, il n’y a pas de préparatifs militaires en cours. Ni déploiements de troupes, ni activité particulière autour de points sensibles. La remise en route du réacteur nucléaire de Yongbyon, qui est au cœur de la partie de poker très peu transparente que jouent Washington et Pyongyang depuis 1993 n’a pas de signification militaire directe, pas plus que l’interdiction d’accès des travailleurs sud-coréens dans la zone d’économie mixte de Kaesong, située au Nord de la frontière. Ces deux modes d’action ont déjà été utilisés par le passé lors des différentes gesticulations pratiquées par le Nord. La frontière avait déjà été fermée brièvement en mars 2009, bloquant quelques centaines de Sud-Coréens dans leurs usines. On note que les activités de Kaesong sont une des rares sources de revenus dont dispose le pays et que leur cessation aggraverait la situation économique du pays.


Les forces en présence sont considérables. Au Nord, 1.200.000 militaires, mais aussi une force de réserve/milice de plus de 6 millions de personnes. 3500 chars, 20.000 pièces d’artillerie, des dizaines de mini sous-marins, 600 avions de combat. Et, bien sûr, bon nombre de missiles sol-sol à moyenne portée. Tout cela est très obsolète, peu disponible et peu fiable. On pense aussi que le renseignement technique est très limité, tout comme les capacités de communication. On peut aussi penser que les réseaux de commandement n’ont pas la sophistication et la résilience de ce qui se fait en Occident, ce qui multiplie les risques de dérapage. Par exemple, le Nord semble avoir réussi à maintenir en état des missiles sol-air ayant la capacité d’abattre des avions de ligne se posant à Séoul. La masse de moyens tant matériels qu’humains est impressionnante et on peut penser que les troupes sont fortement motivées. De plus, à côté de ces forces conventionnelles, des capacités chimiques certaines et un développement systématique des moyens asymétriques, guerre électronique et cyberguerre en particulier. Enfin, contrairement à ce qui s’est passé lors de la Guerre de Corée, Pyongyang ne peut compter sur l’aide d’aucun allié, pas même sur le plan matériel. Au contraire, ses anciens alliés, Russes et surtout Chinois, n’ont rien à gagner d’un conflit dans la péninsule.


Face à ces forces, le Sud dispose aussi de moyens importants, avec 650.000 militaires d’active et plus de 4 millions de réservistes. L’équipement, un peu moins abondant que celui du Nord, est quand même impressionnant, avec 2.500 chars, 10.000 pièces d’artillerie, une solide marine et plus de 500 avions de combat. A la différence des matériels du Nord, ceux du Sud sont relativement modernes et surtout maintenus en bonne condition. Aux forces nationales s’adjoindraient les forces américaines prépositionnées (28.500 hommes) et des renforts importants.


Un affrontement direct, que l’on imagine mal, serait -sur le papier-, une guerre d’une dimension bien différente de ce que sont les conflits des dernières décennies. A la différence des conflits modernes, qui opposent des forces de guérilla à des armées constituées, le choc serait frontal et dévastateur.


Les frappes nucléaires, dans un sens comme dans l’autre, sont-elles envisageables ?

Il faut d’abord aborder la vision technique. Personnellement, je ne crois pas à l’existence d’armes nucléaires opérationnelles aux mains de Kim Jong Un. J’ai même de très sérieux doutes sur la réalité et la réussite des trois essais déjà effectués, qui pourraient n’être que des simulations effectuées avec de très grosses quantités d’explosifs classiques. Toutefois, les technologies qui ont permis aux Etats-Unis de fabriquer les armes de la fin de la Deuxième Guerre Mondiale sont à la portée de pratiquement tous les pays qui décideraient d’y consacrer suffisamment de moyens et de se soustraire aux vues de la communauté internationale. En admettant qu’il existe une ou deux bombes nucléaires, elles ne seraient transportables que par avion ou par des moyens "exotiques" à base de navires de commerce. Outre le fait que les attaques-suicides ne font pas partie de la rhétorique de Pyongyang, les moyens de surveillance des Etats-Unis rendraient très hasardeuse une telle attaque de la dernière chance. Par, ailleurs, Kim n’aurait rien à gagner d’une telle attaque. Dans ces conditions, une riposte nucléaire est encore moins envisageable.


Les Etats-Unis ont récemment placé un croiseur antimissile afin de détecter et de parer aux menaces de la Corée du Nord. Ce conflit, s’il est engagé, serait une guerre à distance ? Peut-il se régler ainsi ?

La "publicité" que font les Etats-Unis pour les défenses anti-missiles dans la zone est une constante. Le Japon, la Corée du Sud et Taïwan sont les principaux clients potentiels de tels systèmes. L’interception d’un missile nord-coréen serait une excellente démonstration de la capacité des systèmes anti-missiles américains, et pourrait pousser les opinions publiques à réclamer l’achat de tels systèmes.


Outre les moyens réellement asymétriques, la capacité de nuisance de la Corée du Nord repose largement sur des missiles, qu’ils soient sol-sol ou sol-air. Or les systèmes dont elle dispose sont tous des systèmes "indiscrets" qui ne peuvent pas être tirés depuis des silos et doivent être sortis à l’air libre un temps relativement long avant leur utilisation éventuelle. Une telle exposition, facile à prouver, donnerait aux Etats-Unis un excellent prétexte pour détruire ces missiles avant même leur décollage. Une telle action, qui pourrait se compléter de frappes ciblées sur des centres de commandement, recueillerait très probablement, sinon l’approbation, du moins une certaine complaisance de la plus grande part de la communauté internationale.


Une intervention au sol est-elle crédible et quelle forme prendrait-elle ? Pourrait-elle passer par le 38ème parallèle qui sépare les deux Corées ou cette zone est-elle une sorte de ligne Maginot qu’il faudrait éviter ?

Une intervention au sol de la Corée du Sud et de ses alliés paraît à exclure. Si elle devait se produire le long du 38ème parallèle, il ne faut pas oublier que Séoul et d’autres villes sud-coréennes ne sont qu’à quelques dizaines de kilomètres de la ligne de démarcation, ce qui exposerait les populations civiles dans les premières heures du conflit. Les forces des Nations unies, en 1950, avaient fait changer le sort de la guerre en débarquant à Incheon, dans le dos des forces communistes, mais il est difficile d’imaginer le recours à de telles options. 

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