ANALYSES

Commerce mondial des armes: regards croisés sur le traité de l’ONU

L’Assemblée générale de l’ONU a adopté le 2 avril 2013 le premier traité sur le commerce international des armes traditionnelles. Nous vous proposons l’analyses de Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).


Comment analysez-vous le vote à l’ONU ?

On peut faire deux observations. La première, c’est que c’est un traité en grande partie venu de la société civile et des organisations non gouvernementales. Les ONG ont été à l’initiative, les Etats ont suivi. C’est donc, en soi, quelque chose de très original en matière de désarmement sachant que ce traité ne relève pas du strict désarmement humanitaire où les ONG étaient jusqu’alors cantonnées. C’est donc une grande victoire pour tous ces groupes.


Il faut voir qu’à l’origine, un premier texte avait été proposé en 2003 par Brian Wood, d’Amnesty International, ensuite soutenu par d’autres organisations. L’initiative a été reprise et soutenue à partir de 2005 par la Grande-Bretagne qui avait besoin de faire oublier les conditions de son engagement en Irak aux côtés des Américains.


Seconde observation : le texte a été adopté à une très large majorité. Au sein de cette majorité, on remarque la présence des Etats-Unis. A l’ère Bush, ce pays s’était opposé au processus durant les étapes préliminaires de son élaboration. Barack Obama avait indiqué que son pays le soutiendrait dès son premier mandat en 2009. Les pays africains ont, eux aussi, très largement approuvé ce texte, parce que ce sont les premières victimes de pratiques irresponsables en matière de transferts d’armement. Les Européens ont également apporté leur soutien car l’UE dispose déjà d’un instrument, le Code de conduite sur les exportations d’armements, dont la norme est encore plus rigoureuse que ce traité.


La Chine, la Russie et l’Inde se sont abstenues en mettant en avant le principe de souveraineté pour justifier leur vote. Dans ce sens, le traité, dont la portée est pourtant limitée, les gêne car il véhicule une vision occidentale de la société internationale où il existe des droits universels, comme le droit humanitaire ou les droits de l’Homme, qui viennent limiter la souveraineté des Etats.


Pourtant, ces trois pays ne sont pas allés jusqu’à voter contre, comme ils l’avaient fait dans le passé sur la Convention interdisant les mines antipersonnel. C’est une timide évolution et ils se sont quand même dissociés d’alliés potentiellement embarrassants : la Corée du Nord, la Syrie et l’Iran, qui avaient fait échouer l’adoption du texte au consensus le 28 mars et qui sont les seuls pays à s’être opposés lors du vote à l’Assemblée générale des Nations Unies.


Mais la souveraineté a un sens différent pour la Chine, la Russie et l’Inde. Pour les deux premiers, c’est une question de principe. Aux yeux du troisième, le traité est déséquilibré car il impose plus d’obligations aux importateurs qu’aux exportateurs. Hors aujourd’hui, l’Inde est l’un des principaux pays importateurs d’armement dans le monde et elle a peur de se voir limiter ses achats alors qu’elle n’a pas encore la capacité de produire les armes les plus modernes…


Certains pays voulaient également que le traité considère les ventes d’armes aux mouvements rebelles comme des trafics d’armes, et donc les interdise purement et simplement. Ils n’ont pas obtenu satisfaction. Ce qui explique le vote de la Syrie, qui tentait ainsi d’interdire les ventes d’armes aux rebelles sur son territoire, suivie en cela par l’Iran et la Russie.


Quel avenir voyez-vous pour ce texte ?

Le traité est très peu contraignant dans le sens où les cas d’interdiction ont un caractère très général (violation du droit humanitaire, des droits de l’Homme), mais il est très ouvert. Il respecte quand même le principe de souveraineté dans le sens où ce sera à chaque Etat, dans le cadre de ses lois, d’évaluer si une vente d’armes est légale ou pas. Dans le même temps, il demande à chaque pays de mettre en place un régime de contrôle des exportations de matériels : une disposition très importante pour lutter contre le trafic d’armes.


Les ONG considèrent que c’est un premier pas. Il souhaite que ce texte puisse évoluer dans le temps et c’est ainsi qu’il a été conçu.


Pour les Français et les Européens, c’est une évolution positive car il institue un standard mondial qui se rapproche du standard de l’UE.


Et au final, le traité sera-t-il efficace ?

Je pense que la société civile va jouer un rôle très important pour contrôler son application. Même si les obligations sont limitées sur le plan juridique, le texte pourrait avoir le même effet que les accords d’Helsinki en 1975 avec la corbeille sur les droits de l’homme qui a permis aux dissidents soviétiques de s’exprimer et de saper progressivement la légitimité du régime.


 

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