ANALYSES

Quelle logique sous-tend le jeu d’alliances de la Chine ?

Presse
19 avril 2013
La Corée du Nord a récemment enjoint les ressortissants étrangers de quitter la Corée du Sud. Malgré le climat anxiogène entretenu en ce moment par la dictature, la Chine, exaspérée par son alliée éternelle, n’en continue pas moins de l’assurer de son soutien. Quelles en sont les raisons ?

Il y a encore quelques jours, le Ministre de la Défense Nord-Coréen déclarait que son seul véritable ennemi était les Etats Unis, et que les "marionnettes" Sud-Coréennes ne méritaient même pas d’être attaquées. Les toutes dernières déclarations marquent donc une nouvelle étape dans la rhétorique de la menace.


Théoriquement, Pékin et Pyongyang sont liés par le traité d’aide, de coopération et d’amitié signé en 1961, prolongé en 1981 et en 2001 et toujours valide jusqu’en 2001. Ce traité garantit une aide militaire inconditionnelle en cas d’attaque extérieure, ce qui ne concerne donc pas une éventuelle attaque lancée par le Nord. La position de la Chine vis-à-vis de la Corée du Nord a en fait commencé à évoluer dès la fin des années 1980, en particulier quand certaines velléités avaient fait craindre pour la sécurité des Jeux Olympiques de Séoul (1988). La deuxième phase d’évolution date de la fin des années 1990, quand, au milieu des rebondissements créés par la crise nucléaire, la Chine s’est trouvée en position d’intermédiaire, poussée dans le dos par les Etats-Unis, puis membre à part entière des pourparlers à six à partir de 2003. Petit à petit, la Chine a été de plus en plus réticente à laisser la Corée du Nord continuer de mener ses programmes balistiques et nucléaires. Dans le même temps, elle se voyait contrainte d’assurer une bonne part de la survie de son "alliée" en lui fournissant," volens nolens", une aide importante en énergie et en nourriture, ne serait-ce que pour éviter un effondrement du pays qui aurait amené d’énormes vagues de réfugiés.


Le peu de réalité des relations militaires entre les deux pays est d’ailleurs attesté par l’absence d’exercices communs, par la fin des livraisons ostensibles de matériels chinois et par la rareté des visites de militaires de haut niveau. L’absence de relations pratiques entre les forces armées des deux pays est d’ailleurs quelque chose qui date, semble-t-il, de plusieurs décennies.


Le soutien déclaratif a continué plus longtemps, même si Pékin a voté différentes résolutions des Nations Unies condamnant Pyongyang. C’est devenu systématique après 2004, avec la résolution 1695 (en 2006) qui interdisait les ventes de tout ce qui pouvait aider aux programmes balistiques et/ou nucléaires, puis la 1718 (en 2006) qui mettait en place des sanctions, suivie des 1874 et 1877 (renforcement des sanctions en 2009) et de la 2087, votée le 22 janvier 2013, qui marque le point de départ de la crise actuelle. Les premières déclarations chinoises condamnant ouvertement Pyongyang datent de 2009, et elles deviennent de plus en plus dures. La fin objective de la relation "d’alliance" peut être marquée par le vote de la dernière résolution condamnant et sanctionnant la Corée du Nord (2094, du 7 mars 2013), co introduite par la Chine et les Etats-Unis à la suite de l’annonce du dernier essai nucléaire. Depuis, les déclarations chinoises sont devenues de plus en plus dures, et, dernière démonstration en date, Pékin a renforcé sa présence militaire le long de la frontière Nord-Coréenne et procédé, dans les tout derniers jours, à des exercices comportant des tirs réels.


Si on regarde la liste des pays « alliés » de la Chine, ou qui du moins s’entendent sur certains points politiques et économiques, on est frappé de constater qu’ils sont très souvent parmi les « infréquentables » (Syrie, Iran, Birmanie…) de l’échiquier mondial. Peut-on parler de « pragmatisme débridé » de la part des Chinois ? L’intérêt économique et la stabilité des régions mettent-ils toujours au second plan les questions de respect des populations, souvent victimes des régimes soutenus ?

Les pays qui pourraient être qualifiés d’alliés au sens militaire du terme de la Chine sont, outre la Corée du Nord, le Pakistan et les membres de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS). Le Pakistan est à la fois un allié de revers contre l’Inde, une tête de pont, un client et un point d’appui –pas toujours fiable- contre les dérives fondamentalistes, mais il n’y a pas de vrai traité d’alliance. Quant aux membres de l’OCS, ce sont bien davantage des partenaires sécuritaires que militaires.


Le cas des pays "parias" auxquels la Chine fournit des matériels militaires et peut être même des aides à la prolifération est plus complexe. On peut en effet parler de pragmatisme, sous couvert de la sempiternelle "non-ingérence dans les affaires d’autrui" qui sert systématiquement de justification aux relations parfois contre nature que la Chine entretient avec certains pays. En Afrique, subsaharienne surtout, nombre de pays, outre leurs ressources naturelles, offrent des espaces agricoles et l’occasion de nombreux chantiers d’infrastructure capables d’employer une main d’œuvre chinoise excédentaire. L’établissement d’une relation économique contrainte, souvent au travers de prêts qui engagent pour très longtemps, permet aussi d’assurer des débouchés aux produits chinois (et aux contrefaçons) qui ne peuvent être exportés vers les pays ayant des niveaux de vie plus élevés et de meilleurs filets de sécurité. De plus, un certain nombre de pays peu fréquentables disposent de ressources qu’ils ont beaucoup de peine à vendre aux pays qui se piquent, au moins en apparence, d’éthique. La relation avec la Chine leur permet de valoriser ces ressources. Dans cette relation, il est clair que le soutien à la bonne gouvernance ne fait pas partie, toujours au nom de la non-ingérence, des préoccupations chinoises.


Ce qui, pour nous Occidentaux, relève de l’incompréhensible, obéit forcément à une logique propre au jeu d’alliances de la Chine. Comment mieux comprendre les raisons pour lesquelles Pékin se comporte ainsi sur la scène internationale ?

La Chine de Pékin, jusqu’à sa réadmission à l’ONU (25 octobre 1971), était mise à l’écart d’une grande part de la communauté internationale. Depuis la rupture avec Moscou, elle était même dans une position particulièrement difficile, n’ayant pas non plus réussi à se positionner dans le Tiers Monde. Toutefois, cet isolement s’inscrit très largement dans l’historique de l’Empire du Milieu, qui n’a jamais eu de vrais alliés ni même d’amis sur le long terme. Conséquence directe de cette manière de voir, la Chine est très réticente à tout ce qui lui est imposé par l’étranger. Le souvenir détestable des invasions mongoles puis mandchoues, son dépeçage par les puissances pendant un siècle à partir du milieu du XIX°, l’occupation japonaise sont encore des souvenirs très vivaces. Si elle prêche, sans être toujours très pratiquante, la non-ingérence dans les affaires des autres, c’est avant tout parce qu’elle déteste que l’on s’ingère dans les siennes. Elle a d’ailleurs souvent réussi à éviter des condamnations, en particulier en matière de droits de l’homme, en réunissant derrière elle tous les pays qui, comme elle, ne veulent pas qu’on leur impose des "lois" supranationales.


Dans ces conditions, le développement de relations privilégiées avec tel ou tel pays obéit avant tout à des questions d’intérêt. L’un des principes de la coexistence pacifique qu’elle avait fait adopter à la conférence des non-alignés de Bandoeng (1954) est celui du "bénéfice mutuel". Désormais aussi, la croissance économique de la Chine a fait d’elle un pays de toute première importance, qu’il est hors de question d’attaquer frontalement. Elle peut donc profiter de ses choix.


Toutefois, un certain nombre de dirigeants chinois commencent à prendre conscience de la responsabilité de la Chine dans la bonne marche du monde. L’acceptation de l’intervention en Libye et des sanctions contre la Corée du Nord en sont de bons exemples, tout comme la participation à la lutte contre la piraterie au large de la Somalie. 

Sur la même thématique