19.12.2024
«Les Pakistanais détestent les Américains, les Taliban ont la cote»
Presse
25 avril 2013
Qui sont les Taliban pakistanais ? Comment se sont-ils constitués ?
En tant qu’organisation, la constitution des Taliban pakistanais est récente. Sa naissance est l’une des conséquences de l’intervention des Etats-Unis en Afghanistan contre le régime des Taliban en novembre 2001, à la suite des attentats terroristes du 11 septembre. Les Taliban étaient soutenus par des militants étrangers, en particulier arabes et pakistanais. Après la chute de ce régime, ces militants djihadistes liés à Al-Qaïda et son chef Oussama Ben Laden se sont réfugiés dans les zones tribales pakistanaises d’ethnie pachtoune, comme les Taliban afghan. Ces zones étaient déjà investies à l’époque de la guerre anti-soviétique (1980-1988) par les moudjahidine afghans soutenus par le Pakistan et les Etats-Unis, tandis que différents groupes arabes, tchétchène, ouzbeks y étaient aussi implantés. A fur et à mesure du prolongement de la guerre en Afghanistan, les groupes djihadistes des zones tribales se sont radicalisés et ont fondé, en décembre 2007, le mouvement Tahrik-e-Taliban Pakistan (TTP), qui regroupe 16 mouvements djihadistes présents dans ces zones.
Quels objectifs se sont-ils fixés au Pakistan ?
Dès sa création, le TTP s’est fixé deux objectifs : combattre l’Etat pakistanais d’une part et la présence étrangère en Afghanistan d’autre part. Mais, la nature de ces deux objectifs est différente. En Afghanistan, ils apportent leur soutien aux Taliban afghans, en particulier aux réseaux de Haqani, la faction la plus radicale, proche d’Al-Qaïda et à l’origine des grands attentats suicides. Au Pakistan, le TTP vise la déstabilisation de l’Etat. C’est en cela que les Taliban afghans et pakistanais se différencient. En Afghanistan, ces hommes sont des rigoristes, voire fanatiques, mais également nationalistes et ils cherchent à reconquérir le pouvoir pour établir à nouveau un Emirat islamique. Quant au TTP, fortement influencé par Al-Qaïda, il cherche à déstabiliser le Pakistan, renverser le régime et faire de ce pays un Qaïda (la base) pour le djihad planétaire.
Ces Taliban ont-ils des alliés dans la sphère politique actuelle ?
Il faut savoir que l’assise politique des Taliban est ethnique. Leur influence reste principalement cantonnée auprès des Pashtounes des zones tribales mais aussi dans la province Pakhtunkhwa (nord-ouest) à majorité pachtoune. Cependant, leur influence s’est étendue depuis 2001 à d’autres provinces pakistanaises, notamment au Pendjab et à Karachi, et cela pour deux raisons. Après l’intervention américaine en Afghanistan, le Pakistan est devenu l’allié américain dans « la guerre contre le terrorisme ». Sous la pression de Washington, le général Musharaf, alors président du Pakistan, a interdit les activités des organisations islamistes radicales comme Lashkar-e- Taïba et Lashkar-e-Jhangvi qui se sont jointes aux Taliban dans la zone tribale de Waziristân. Les militants de ces organisations ont fourni aux Taliban un renfort important dans la province de Pandjabi et de Sind (Karachi). Ensuite, la guerre en Afghanistan dans les zones tribales a provoqué une forte émigration des Pachtounes à Karachi au sein de laquelle les Taliban sont très actifs. S’il ne peut être affirmé qu’il existe une alliance entre les Taliban et certains partis politiques traditionnels, nous savons que l’important parti Jamiat-e- Islami Pakistan a été impliqué dans la création des Taliban afghans et que son chef Mawlana Fazlur Rahman est considéré comme leur père spirituel. Récemment, Imran Khan, le chef du nouveau parti, le Pakistan Tahreek-e- Insaf, implanté essentiellement dans la province de Sind, a fait un voyage triomphal dans les zones tribales et a pris une position très antiaméricaine en dénonçant l’usage des drones dans ces zones par les Etats-Unis. Sans parler d’une alliance entre les Taliban et les partis traditionnels, il faut reconnaître que dans un pays où les sentiments anti-américains sont partagés par près de 97 % de la population, les Taliban bénéficient d’une certaine sympathie auprès d’une frange de la population.
La polémique grandit face à l’inaction du gouvernement dans ces zones fortement talibanisées. Pensez-vous que l’Etat pakistanais soit assez fort pour s’opposer aux talibans ?
Le gouvernement a une double approche vis-à-vis des Taliban pakistanais. Il alterne entre la paix et la négociation et des offensives militaires. La raison est simple. Certains partis et mouvements islamistes radicaux ont été soutenus dans le passé par les gouvernements qui les utilisaient dans le conflit du Cachemire mais aussi pour aider les taliban afghans. C’est pourquoi il existe dans les zones tribales et dans d’autres parties de la province Nord-Ouest, des mouvements de Taliban qui sont soutenu par le gouvernement. Mais, à partir de 2004, lorsqu’une partie de ces mouvements se sont radicalisés avec l’appui des combattants étrangers liés à Al-Qaïda, nous avons assisté à plusieurs offensives militaires de grande envergure, notamment ces dernières années dans le Waziristân contre le TTP, et plus au nord dans les vallées de Bajaur et Swat en 2008. Mais, il est vrai aussi que le Pakistan soutient les Taliban afghans et certaines factions les plus radicales de ces talibans se trouvent entre l’Afghanistan et le Pakistan, dans le Waziristân. Le Pakistan ne peut mener une guerre totale dans les zones tribales qui sont extrêmement difficile d’accès. Les différentes offensives militaires n’ont pas eu le succès escompté. De fait, tant que la guerre dure en Afghanistan, le Pakistan n’a pas d’intérêt à mener une guerre totale contre les Taliban pakistanais dont il n’a pas la certitude de sortir vainqueur. L’empire britannique de l’Inde n’a jamais cherché à soumettre ces zones au sein de l’empire.
Face à cette sympathie des Pakistanais pour le message des taliban, peut-on croire que les Pakistanais éliront de nouveau une assemblée laïque ?
Le résultat des élections générales du 11 mai devrait se jouer, comme dans le passé, entre les deux grands partis traditionnels, le Parti du Peuple pakistanais (PPP) du président Asef Ali Zardari – un parti se qualifiant de progressiste et laïc et qui est même membre de l’Internationale Socialiste – et la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N) de l’ancien premier ministre Nawaz Sharif. Le mérite du PPP est que, pour la première fois dans l’histoire du Pakistan, un gouvernement civil élu par le suffrage universel a pu achever une législature, qui plus est en étant confronté au terrorisme, aux difficultés économiques et aux relations tendues avec son allié américain. Cependant, la coalition dirigée par le PPP n’a pas réussi à améliorer la situation économique, n’a pas pu endiguer le terrorisme ni empêcher les Etats-Unis de violer constamment la souveraineté du Pakistan en intervenant dans les zones tribales pakistanaises, notamment par l’utilisation des drones. La corruption, endémique au Pakistan, s’est même aggravée.
Par ailleurs, l’opinion publique est de plus en plus réticente vis-à-vis de la démocratie. Les derniers sondages montrent que les jeunes préfèrent, pour une grande majorité d’entre eux, un gouvernement islamique. C’est la raison pour laquelle, à l’heure actuelle, Nawaz Sharif est donné favori des prochaines élections. Cependant, il est probable que son parti n’obtienne pas seul la majorité au Parlement. D’où la question des alliances qui se pose. Au Pakistan, certains élus changent d’appartenance avant ou après l’élection. Il est probable que le nouveau parti d’Imran Khan, seul élu au Parlement sortant, fasse un bon résultat. Il a fait de la dénonciation du PPP et de la LMP son cheval de bataille et donc nul ne sait vers quel parti il ira après les élections. Deux autres alliés du PPP, le National Awami Party dans la province pachtoune du Nord-Ouest et le parti des mohajer MQM dans le Sind feront probablement de bon résultat. Mais, en même temps, les partis religieux traditionnels comme Jamiat-e-islami ou Jamiat-ul-Uluma, laminés aux dernières élections, peuvent revenir en nombre au Parlement. Ces partis, adoptant comme d’habitude une approche opportuniste, feront alliance au plus offrant. Tous ces éléments rendent le résultat des élections du 11 mai très aléatoire.