ANALYSES

«L’Europe est d’abord là pour nous protéger»

Presse
15 mai 2013
Interview de Pierre Verluise, directeur de recherche à l’IRIS, par Jean-Marie Decorse
Peut-on craindre un éclatement de la sphère européenne ?

L’Union européenne est travaillée par des forces qui poussent à l’explosion. Ces forces se mesurent à plusieurs échelles, d’abord celles des régions (on pense à l’Écosse, la Catalogne…) qui ont tendance à demander plus d’autonomie. À l’échelle nationale cette fois, on se heurte à des crises politiques liées à la crise économique. Et, à l’échelle européenne, on assiste à une crise des institutions avec cette double question : va-t-on vers plus de transferts de souveraineté à l’échelle de l’UE ou vers un regain des égoïsmes nationaux ? Le débat est important et parce qu’il se passe dans l’urgence, il ne se déroule pas sur la place publique.

Comment relancer l’idéal européen ?

Avant tout, rappelons que l’Europe est là pour nous protéger. Nous sommes dans une période où les citoyens sont inquiets pour leur quotidien et leur avenir. Ils ont le sentiment de se trouver sur une planche savonnée, incontrôlable. Objectivement, ce sentiment se nourrit d’éléments concrets. On a l’impression d’un effacement géopolitique de l’Europe démontré sous l’angle démographique, économique et stratégique. L’idée forte qui a porté le projet européen fut celle d’une «Europe de la paix». Le slogan, historiquement et politiquement juste, ne passe plus la rampe auprès des jeunes générations. Il faut trouver un autre argument, celui d’une «Union européenne qui protège». Je donnerai un exemple, celui des normes sanitaires qui nous entourent, dont nous sommes tous bénéficiaires.

Relancer l’UE, n’est-ce pas aussi faire respecter certaines valeurs ?

Oui, notamment celles de la démocratie et de l’État de droit. Or, les élargissements de 2004 à la Hongrie, de 2007 à la Roumanie, puis la Bulgarie, ont fait entrer des pays dans l’UE qui ne respectent pas à la lettre ces traités. Quand un pays est dans l’UE, comment le reconduire sur le chemin des vraies valeurs européennes ? On sait tous que les réseaux organisés, la corruption, restent importants dans ces pays. Que peut faire l’Union ? Pas grand-chose. On assiste à la dégradation de la qualité de la certification Union européenne. Les citoyens veulent faire respecter ses valeurs. Si on veut relancer le projet européen, il faut donc se montrer plus ferme.

Et les transferts de souveraineté ont-ils eux aussi évolué ?

La crise contraint les États membres à accepter de nouveaux transferts de souveraineté. On est passé d’une Europe marquée par le fédéralisme monétaire, l’euro, à un fédéralisme budgétaire. C’est maintenant le contrôle par la Commission européenne des budgets nationaux avant qu’ils ne soient présentés à la représentation nationale démocratiquement élue. Ce saut s’est fait sans explications.

Mais la représentation parlementaire peut-elle vraiment jouer son rôle ?

Le paradoxe est étonnant : le traité de Lisbonne a renforcé le pouvoir du Parlement qui n’a jamais été aussi puissant. Mais les perceptions sont inverses. Beaucoup pensent que cette institution a de moins en moins de pouvoir et ne vont plus voter aux élections pour le Parlement européen. Il faut souhaiter que cette participation augmente en 2014.

Reste la question des frontières…

On doit se poser cette question si on veut relancer l’idée européenne. Qui faut-il faire entrer, et quelle serait l’incidence à court ou moyen terme de l’adhésion de ces pays-là ? À force de ne pas poser ces questions, on génère une inquiétude nourrie par le fait de ne pas savoir. J’observe que les États riches, Islande, Suisse ou Norvège ne sont pas enthousiastes pour adhérer.
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