19.12.2024
Syrie : levée de l’embargo sur les armes, un « compromis d’un cynisme insupportable »
Presse
29 mai 2013
Que peut changer la levée de l’embargo européen ?
Il faut tout d’abord relativiser cette décision. Certes, le principe a été validé, mais pour, au mieux, dans deux mois. Les Européens savent en effet qu’il y a de fortes probabilités désormais que la conférence de paix dite "Genève 2" se tienne courant juin. Or livrer des armes dès maintenant la mettrait en péril. Cela rajouterait de la violence à la violence et éloignerait donc la possibilité d’une solution politique, enjeu même de la réunion.
On lève l’embargo sur les armes mais on ne livre pas d’armes. Le concept est assez étrange malgré tout.
Elle prouve que le rapport de forces politiques à l’UE n’est pas aussi simple que ce pouvait affirmer François Hollande. Même s’il disait il y a quelques semaines être prêt à livrer seul des armes, il s’est heurté à la "real politik" et aux dissensions. Résultat : au bout d’une nuit de discussions, les Européens sont arrivés à ce compromis d’un cynisme insupportable pour les insurgés.
Pourquoi la France, appuyée par le Royaume-Uni, poussait-elle à une levée rapide de cet embargo ?
Il s’agissait de permettre aux rebelles d’arriver à "Genève 2"-si ces derniers se mettent d’accord sur leur participation, ce qui est loin d’être gagné vu que les discussions traînent entre eux à Istanbul- dans les meilleures conditions possibles d’un point de vue militaire. Depuis plusieurs semaines, l’armée de Bachar al-Assad est à l’offensive et reprend du terrain. Les insurgés sont quant à eux sur la défensive, en partie car ils manquent effectivement d’armes -il ne faut néanmoins pas omettre de signaler qu’ils en reçoivent grâce au Qatar et à la Turquie. Mais ils sont surtout totalement divisés, aussi bien sur le plan politique que militaire avec une Armée syrienne libre qui n’a d’armée que le nom et dont les homme se livrent aussi à des exactions. Résultat : dans la situation actuelle, livrer des armes ne changerait pas grand-chose. D’un point de vue plus terre-à-terre, "Genève 2" se prépare sous l’égide des Etats-Unis et de la Russie. Il fallait donc aussi que les Européens, et notamment la France, qui avait misé une chute rapide d’Assad, se rappellent à leurs bons souvenirs pour ne pas être mis à l’écart.
Si rien ne bouge d’ici deux mois, peut-on penser que des armes seront effectivement livrées ?
Oui. Reste à savoir de quels types d’armes il s’agira. "Livrer des armes" est aujourd’hui devenue une formule mythique pour se donner bonne conscience sur le mode "on ne laissera pas tomber les insurgés". Or il y a une différence entre des armes de poing et des missiles sol-air.
Surtout, d’après mes sources, la DGSE a prévenu François Hollande qu’il serait impossible de tracer ces armes et savoir qui, in fine, les récupérera. Or il y a de fortes probabilités qu’elles tombent entre les mains d’Al-Nosra (ndlr : le principal groupe islamiste) ou d’autres groupes jihadistes. Ce serait alors paradoxal de lutter contre les islamistes au Mali tout en les armant indirectement en Syrie.
"Genève 2" peut-elle vraiment avoir lieu après cette décision européenne ?
Oui. Reste à savoir avec quelles parties. La CNS (Coalition nationale syrienne) semble incapable pour l’instant de se mettre d’accord sur sa composition et sur son élargissement. Alors ne parlons même pas de son éventuelle présence à cette conférence. Côté régime, Bachar al-Assad ne viendra pas personnellement. Le régime pourrait donc être représenté par son ministre de la Défense ou par celui des Affaires étrangères. Si Assad est rusé, il enverra une délégation composée non seulement d’alaouites mais aussi de sunnites. Contrairement à ce qui est souvent dit, tous les sunnites ne sont pas opposés au pouvoir. C’est ce qui explique d’ailleurs en partie pourquoi il tient si bien depuis deux ans.