Turquie : « Un avertissement pour Erdogan, mais pas un ‘printemps turc’ »
Quel est le sens de la contestation qui touche le pays depuis quelques jours ? Peut-on faire un parallèle avec le "printemps arabe" ? Les réponses de MYTF1News avec Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut des relations internationales et stratégiques.
Elles sont en tout cas révélatrices d’un profond mouvement de défiance et de contestation du pouvoir. Mais sur leur forme actuelle, elles ne vont pas continuer plus que quelques jours et les gens ne vont pas descendre dans la rue éternellement.
Au-delà des manifestations, qui ont certes une signification politique, il faudra en effet passer à la séquence politique proprement dite. Or il n’y a pas aujourd’hui d’alternative politique crédible venue de l’opposition parlementaire. Le mouvement ne peut donc pas s’inscrire durablement.
Tout à fait. Comparaison n’est raison. Bien sûr, il y a des similitudes comme la spontanéité, la rapidité ou l’utilisation des réseaux sociaux. Mais aussi et surtout une différence fondamentale : la Turquie n’est pas un pays de tyrannie ni une dictature comme l’étaient les pays du "printemps arabe", mais bel et bien un Etat de droit. N’oublions pas qu’il existe, entre autres, plusieurs partis d’opposition parlementaire et que la presse est diversifiée.
Il faut aussi relativiser cette contestation en rappelant que l’AKP, au pouvoir depuis 2002, a gagné ces troisièmes législatives d’affilée il y a deux ans avec près de 50% des suffrages. Et des sondages réalisés il y a deux semaines lui donnent encore environ 40% des intentions de vote. Certes, une partie de la population est remontée et la brutalité de la répression a rapidement radicalisé le mouvement. Mais on est très loin d’une crise de régime.
Il s’agit surtout d’un avertissement pour Erdogan et son style politique autoritaire. Il est en effet également vrai que depuis deux ans le pouvoir a été marqué par une dérive de l’AKP, symbolisée par des lois liberticides. Les slogans des manifestations, comme "gouvernement démission" ou "Erdogan démission", prouvent que cela a créé un sentiment de frustration et que le mépris affiché du Premier ministre ne passe plus. Mais Erdogan ne démissionnera pas.
Il est incontestable que l’AKP possède une puissante base électorale et sociale. Mais quand un parti gouverne depuis une dizaine d’années, des tendances autoritaires naissent. Et c’est encore plus vrai quand son chef est lui-même déjà autoritaire, comme l’est Erdogan. Ajoutez à cela le fait que les partis d’opposition, faibles et peu inventifs, ne jouent pas leur rôle, vous arrivez à la situation actuelle.
La contestation montre que la société civile turque reste néanmoins vigilante. Et elle a raison de faire attention car certaines déclarations d’Erdogan sur l’avortement ou la consommation d’alcool dans les lieux publics sont inacceptables. Elles symbolisent cette dérive autoritaire et liberticide du pouvoir, à l’origine de la polarisation politique du pays.
Pour l’instant, elles sont de facto stoppées. Or c’est justement depuis ce gel que la dérive liberticide a débuté. Afin de lancer le processus d’adhésion, le gouvernement turc devait en effet accepter les exigences européennes. Comme le dossier est désormais au point mort, il ne se sent plus obligé de poursuivre les réformes. Les Européens auraient donc tout intérêt à relancer le processus.