Contestation en Turquie : « Un Mai-68 plus qu’un printemps »
Les jours passent mais le mouvement ne faiblit pas. Les affrontements entre policiers et manifestants hostiles au Premier ministre Recep Tayyip Erdogan ont repris lundi en Turquie, marquant un quatrième jour de violences. Un jeune manifestant aurait été tué dimanche soir à Istanbul par une voiture ayant percuté la foule. D’autres villes sont touchées, notamment Ankara, la capitale, et Izmir, grande ville côtière. Alican Tayla, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) décrypte la situation pour metronews.
Non, car les manifestants, contrairement à ceux des printemps arabes, ne s’attendent pas à un changement de régime ou au départ imminent de l’AKP, le parti au pouvoir. Si nous devions faire un parallèle, le mouvement se rapprocherait davantage de celui de mai 68 en France. C’est à dire une vague de protestation contre un gouvernement démocratiquement élu et déconnecté de la manière de vivre de la jeunesse. Tout est en effet parti d’un groupe pacifique de jeunes.
Elles sont multiples car le mouvement brasse tous les milieux et tous les âges, à part les militants de l’AKP. C’est avant tout la traduction d’un ras-le-bol général et le projet de construction place Taksim était la goutte d’eau. Le reproche principal porte sur le fait que le gouvernement confonde majorité parlementaire et pleins pouvoirs. Le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, ne cesse de justifier ses actions en mettant en avant les 50% de la population qui ont voté pour l’AKP. Mais il oublie justement les 50% restants. C’est sa personne qui cristallise le mécontentement, à cause sa manière d’être très autoritaire.
Oui, des centaines de journalistes sont en prison, ainsi que des étudiants et des Kurdes. L’AKP impose un conservatisme grandissant, d’abord à l’échelle locale puis à l’échelle nationale. La Turquie est majoritairement musulmane mais pas du tout islamiste, l’AKP ne s’est donc pas fait élire là-dessus mais sur un discours populiste. Et il se maintient au pouvoir de la même manière. De plus, il s’agit du seul parti de droite libérale, ce qui lui ouvre un boulevard énorme, tandis qu’en face il n’y a pas de discours efficace de l’opposition.
Il y a eu, mais cela n’a finalement pas été appliqué, une remise en cause du droit à l’avortement l’année dernière. La compagnie Turkish Airlines s’était aussi vue forcée pendant un temps d’interdire à ses hôtesses de l’air de porter du rouge à lèvres. Et plus récemment, l’AKP a décidé d’interdire la vente d’alcool à moins de 100 mètres des écoles et des mosquées, disant vouloir protéger les enfants. Evidemment, Recep Tayyip Erdogan ne dit pas clairement qu’il veut interdire l’alcool, sauf qu’à Istanbul, il y a des mosquées partout !
Il n’y a, pour l’instant, rien qui l’indique dans le comportement de Recep Tayyip Erdogan, toujours aussi inflexible : il s’oppose au tribunal administratif qui a décidé de suspendre les travaux place Taksim et continue de qualifier les manifestants de "pillards" et "marginaux". Il n’y a pas de raison non plus que les gens rentrent chez eux maintenant, après avoir enduré une répression policière aussi violente. Le mouvement a gagné plus de 60 villes dans le pays, fait plusieurs morts et des centaines de blessés. En revanche, dans les rangs d’Erdogan, quelques voix s’élèvent. Ainsi le président Adullah Gül, pourtant très fidèle au Premier ministre, commence à appeler à la conciliation, le vice-premier ministre également. La question est donc de savoir quand Recep Tayyip Erdogan va, lui aussi, lâcher du lest.