Les Japonais et Coréens ont-ils encore confiance en leur allié américain ?
Presse
9 juin 2013
Jean-Vincent Brisset : Le fait de vouloir produire son propre combustible nucléaire ne signifie pas que la Corée du Sud veut se doter de l’arme atomique. Actuellement le pays possède 23 réacteurs nucléaires qui fournissent 45% de la consommation électrique nationale. Une dizaine de réacteurs supplémentaires sont prévus pour porter cette part à 60%. La Corée du Sud dépend intégralement des Etats-Unis pour ses besoins en combustible nucléaire, au terme d’un accord bilatéral signé en 1972 et qui expirera en 2014. Outre la volonté d’indépendance en matière de combustible, le pays voudrait aussi être autorisé par Washington à poursuivre son développement dans le domaine du retraitement de manière à pouvoir gérer ses déchets autrement qu’en les stockant. Le Japon, qui était lié par des accords similaires, a acquis son autonomie depuis de nombreuses années.
Les conservateurs au pouvoir au Japon souhaitent pouvoir changer la constitution du pays afin de développer une vraie capacité militaire offensive. N’envoie-t-il pas aussi le signe qu’ils veulent pouvoir riposter eux-mêmes aux agressions (sous-entendu de la Corée du Nord voire de la Chine) ?
Les dirigeants actuels du Japon souhaitent effectivement briser les tabous gravés dans la Constitution qui font de leurs forces armées des Forces d’Autodéfense, dont l’efficacité opérationnelle est limitée par toutes les interdictions qui en découlent, et qui limitent le budget de ces forces à 1% du PIB. Ils semblent qu’ils bénéficient dans ce domaine d’un soutien de plus en plus large de la population. Mais, plutôt que de parler de "vraie capacité militaire offensive", il faut davantage voir dans cette démarche la volonté d’être plus autonomes et de pouvoir agir seuls, sans être dépendants des Etats-Unis. Cela passe par un élargissement de la conception de Défense et aussi, très largement, par l’acquisition de moyens de renseignement, de décision et de commandement indépendants. Le risque d’agression par la Corée du Nord demeure très faible, et le Japon est de plus en plus conscient d’être manipulé par les Etats-Unis sur la réalité des menaces proférées par PyongYang. Quant aux réactions vis à vis de la Chine, elles sont actuellement centrées sur le harcèlement exercé par les forces navales et aériennes de Pékin autour des Senkaku. S’agissant d’un problème de souveraineté nationale, Tokyo voudrait pouvoir le traiter de manière souveraine.
Les États-Unis auront-ils toujours les capacités militaires dissuasives pour faire face d’un côté aux velléités va-t-en guerre de Pyongyang, et de l’autre à la croissance soutenue des budgets militaires en Chine ? Est-il crédible qu’ils se désengagent un jour de cette zone laissant Japon et Corée du Sud démunis ?
A l’heure actuelle, et probablement pour très longtemps, les velléités de Pyonyang devraient en rester au stade des velléités et des rodomontades, qui sont en fait les armes d’un chantage destiné à obliger les voisins de la Corée du Nord à fournir à un pays en état de faillite complète suffisamment de nourriture et d’énergie pour survivre. Tout préparatif de guerre montrant une vraie dangerosité serait décelé par les satellites de reconnaissance et justifierait de la part des Etats Unis une frappe de décapitation contre les missiles et les postes de commandement de la Corée du Nord.
Le problème chinois est autrement plus grave. Malgré les retards, qui ne se comblent pas vraiment sur le plan technique et les archaïsmes dans les circuits opérationnels et décisionnels, la Chine dispose d’une armée puissante malgré sa fragilité. La réussite économique du pays s’accompagne de velléités stratégiques. Si elle n’ose pas encore exiger la restitution des territoires dont elle estime avoir été dépouillée par les puissances étrangères, en particulier au XIX° siècle, la Chine s’est découvert des ambitions maritimes. Elle essaie actuellement de se donner les moyens de dominer une grande partie du Pacifique, englobant entre autres le Japon et la Corée du Sud, mais aussi leurs voies d’approvisionnement maritimes dont ils ne peuvent se passer.
Le Président Obama a clairement fait basculer ses priorités stratégiques. Il a utilisé le potentiel dégagé par le désengagement militaire de son pays en Europe pour renforcer et diversifier ses positions dans le Pacifique, mais aussi dans les pays de l’ASEAN. Même en cas de victoire des Républicains, il ne devrait pas y avoir d’abandon de cette politique et des engagements subséquents. Les liens très forts qui unissent militairement la Corée du Sud et le Japon aux Etats-Unis feront sans doute progressivement place à des relations laissant plus d’autonomie à ces deux pays, et surtout, on devrait voir apparaître, sinon une vraie alliance, une solidarité militaire entre la majorité des voisins de la Chine.
La paix relative dans la région, malgré les multiples tensions, tient-elle uniquement à la présence américaine ? Si demain les États-Unis se retiraient, la guerre serait-elle forcément inéluctable ?
La Chine n’a pour le moment, aucune raison de se lancer dans une aventure militaire d’envergure, qui serait ruineuse sur le plan politique et économique. Le principal risque est celui d’un incident lourd qui serait lié aux revendications sur les Senkaku ou sur les îles de la Mer de Chine du Sud. Toutefois, la majorité des observateurs locaux pensent qu’il ne devrait pas dégénérer et que l’on aboutirait très vite à un apaisement. La présence américaine, qui est de plus en plus demandée -ouvertement ou non- par certains pays de l’ASEAN, y compris le Vietnam (ce qui en dit long), est perçue comme un facteur de sécurité. Ces pays savent très bien que si Pékin peut se permettre une agression contre un "petit", il n’est pas question de tenter la même aventure contre Washington, ni même de prendre le risque d’un dommage collatéral impliquant un citoyen américain.
L’hypothèse d’un retrait des Etats-Unis est actuellement exclue. Dans un futur plus lointain, tout est évidemment possible, même s’il est peu probable. Si le géant américain devait disparaitre de la scène et que la montée en puissance de la Chine se poursuive, il est évident que Pékin voudra asseoir une domination régionale en divisant ses voisins et en essayant d’en faire, conformément aux traditions historiques de l’Empire, des vassaux. Mais, toujours aussi traditionnellement, la force armée ne devrait pas être utilisée. L’autre risque, qu’il ne faudra jamais négliger, est celui d’une aventure militaire qui pourrait être déclenchée par des dirigeants en perte de vitesse faisant appel aux vieux démons du nationalisme chinois.