ANALYSES

«Plutôt que de maîtriser la communication, le régime préfère laisser courir les rumeurs»

Presse
13 juin 2013
Un flou total entoure l’état de santé de Bouteflika, qui est absent du pays depuis plus de 45 jours. Quelle analyse faites-vous de cette opacité régnante ? Est-ce le signe d’un simple mépris pour le peuple ou de panique en haut lieu ?

 

Les dirigeants politiques, qui n’ont pas de légitimité populaire, ont toujours peur du peuple. Par conséquent, l’opacité qui entoure l’état de santé du président Bouteflika est l’un des éléments d’un système peu tourné vers la transparence. Cette absence de communication confine à l’aveuglement car plus personne n’est à l’abri des informations qui circulent en grande quantité sur les réseaux sociaux. Plutôt que de maîtriser cette communication, le régime préfère laisser courir les rumeurs et, d’une certaine manière, alimente la déstabilisation de l’Etat.


A la faveur de la révision de la Constitution en 2008, Bouteflika s’était offert les pleins pouvoirs et aujourd’hui, on le dit dans l’incapacité d’assumer ses fonctions. Comment une telle situation influe-t-elle sur la gestion des affaires ?

 

Il est très difficile de livrer des analyses pertinentes en l’absence d’informations fiables. Je me cantonnerais à l’observation des tendances lourdes. Ce qui apparaît clairement, c’est que le système craint plus une explosion sociale que l’implosion du système.


Hors, je crois que l’on ne peut exclure ni l’un ni l’autre. L’histoire récente en Egypte, en Tunisie ou en Libye montre que le recyclage des élites politiques est une pratique très répandue. L’Algérie n’y échappera pas. On le voit déjà avec certains dirigeants de partis et jusque dans les rangs du FLN ou du RND, où l’on s’inquiète d’une vacance du pouvoir.


 


C’est carrément une situation de statu quo. La Constitution a prévu une porte de sortie, mais les décideurs semblent préférer gagner du temps. Quelle pourrait être la raison de la non-convocation de l’article 88 ?

 

Plus que le statu quo, c’est l’immobilisme de l’Etat et la paralysie des institutions qui font craindre que l’Algérie vive une nouvelle phase de crispation politique. Gagner du temps est un calcul à très court terme. L’enjeu est celui du développement, d’une jeunesse désespérée, d’un grand projet collectif.


Tous ces débats ne sont pas abordés. Malheureusement, les principaux responsables du régime ne sont préoccupés que par la pérennité du système en place depuis un demi-siècle. Les rapports de force internes cherchent à privilégier une solution de compromis et non le respect de la Constitution.


 


Les médias se sont fait l’écho de nombreux appels à préparer la succession. Certains parlent de période de transition, d’autres vont même jusqu’à annoncer une date pour une présidentielle anticipée. L’ère Bouteflika est-elle réellement terminée ? Ou est-ce là juste des ballons-sondes ?  

 

Encore une fois, en l’absence d’informations fiables, chacun peut alimenter la rumeur et se livrer à des conjectures. Que va-t-il se passer réellement ? Je l’ignore.


Présidentielle anticipée, fin de mandat dans la douleur… ou explosion sociale ? Rien n’est à exclure, la situation est volatile et les dirigeants algériens ne manifestent pas beaucoup d’empathie à l’égard de leur population. Quoi qu’il arrive, l’ère Bouteflika s’achèvera avec sa présidence.


Contrairement aux présidents précédents, Bouteflika a tenu à mettre ses hommes partout, notamment dans l’institution militaire. Ce détail risque-t-il d’influer sur la succession ?

 

Nous savons tous que la politique est aussi faite de rapports de force. En Algérie c’est la règle, les convictions sont accessoires et secondaires. L’armée ne peut être une variable d’ajustement desdits rapports de force interne au sérail. Elle est une institution qui, me semble-t-il, a beaucoup évolué. Par ailleurs, parler de «succession» laisse accroire que le pouvoir se transmet de manière dynastique. Je pense qu’il faut que chacun se réapproprie la politique pour en faire l’outil de gestion et de régulation des rapports entre l’Etat et les citoyens.


 


Le président français a évoqué la présidentielle de 2014 en affirmant faire confiance au processus électoral ; un diplomate, sous le sceau de l’anonymat, a même suggéré aux Algériens d’aller vers une période de transition. Jusqu’à quel point la présence de Bouteflika en France, dans cette période charnière, dans des institutions de santé appartenant à l’armée française, peut-elle être un atout pour les Français afin de peser sur cette fameuse «succession» dont tout le monde parle et dont on ne voit pas les contours encore ?  

 

Chacun sait que la France est un acteur central au Maghreb à la fois sur le plan économique, mais également politique. Toutefois, je ne crois pas qu’il faille alimenter les fantasmes ou certaines théories complotistes. La France défend ses intérêts et elle trouve en la personne de Bouteflika une oreille plus attentive aujourd’hui qu’hier. La vieille antienne diplomatique édictée par de Gaulle est toujours d’actualité : «Les Etats n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts.»


 


Alors que le Printemps arabe a semé les jalons de successions démocratiques au pouvoir, en Algérie, on continue à faire accréditer l’idée que c’est encore une fois l’armée qui choisira son candidat. Qu’en pensez-vous ?  

 

Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur les Printemps arabes. Ce sont des processus longs, lents et complexes.


Dire que l’Algérie est restée à l’écart est faux. Chaque pays avance à son rythme et avec les outils dont il maîtrise l’utilisation. La société algérienne n’est pas immobile, elle tente d’agir dans un champ public très contrôlé et cherche à construire des espaces de débat et d’action sociale. Savoir qui décide n’intéresse que ceux qui sont dans le sérail ou ceux qui veulent y être acceptés.


Encore une fois, la politique finit toujours par se heurter au mur de la réalité. Ignorer ou mépriser son peuple provoquera inévitablement une collision.

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