ANALYSES

Pourquoi les Brésiliens manifestent

Presse
18 juin 2013

A un an de la Coupe du monde, les manifestations contre l’augmentation des tickets de transport ont dégénéré lundi soir. Le mouvement est-il profond ? Peut-il créer du tort au pays ? Les réponses de MYTF1News avec Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste de l’Amérique du Sud.


Depuis plusieurs années, on parle du "miracle économique brésilien". Ces manifestations viennent fortement remettre en cause l’affirmation.



C’est justement la rançon du succès de l’économie brésilienne. En une dizaine d’années, il a permis un rattrapage des inégalités. Mais depuis deux ans, la croissance est passée de 7% par an à 3%. Certes, c’est important au regard de la crise en Europe. Mais cela implique une baisse des rentrées fiscales et donc des arbitrages compliqués pour poursuivre soit les actions de rattrapage social soit construire les infrastructures sportives nécessaires à la Coupe du monde de football l’an prochain et aux Jeux olympiques en 2016. La seconde solution a été retenue en priorité.

Pendant ce temps, le billet de bus a été multiplié par deux dans un pays où le salaire minimum est de 237 euros et où, par exemple, la moitié des habitants de Sao Paulo, soit environ 5 millions, le prennent quotidiennement. Au sentiment de frustration créé par la crise est donc venu s’agréger un sentiment de colère quant à l’utilisation de l’argent public pour construire des stades plutôt que moderniser les transports. 


Qui sont les manifestants de ces derniers jours, et notamment ceux de la nuit de lundi à mardi ?



Les premiers rassemblements ont eu lieu à Sao Paulo la semaine dernière, sans aucun mot d’ordre politique ni syndical. Ils ont ensuite grossi petit à petit, en partie grâce aux réseaux sociaux. Les manifestants, jeunes ou moins jeunes, protestent contre un aspect concret de leur quotidien : l’augmentation du prix du bus. J’ai ainsi noté qu’un participant soulignait qu’un "stade, ça sert une fois par semaine pour 60.000 personnes. Le bus, c’est tous les jours pour 5 millions".


La brutalité de la répression peut surprendre dans un pays dirigé par le Parti des travailleurs, censé être proche du peuple.



Rappelons que le Brésil est un Etat fédéral. Et que chacun de ses 27 Etats gèrent lui-même le maintien de l’ordre comme il l’entend. Il peut donc exister sur ce point un rapport de forces entre les Etats et le pouvoir central. Cela complique alors la mise en place d’une coordination. N’oublions pas par exemple que le gouverneur de Sao Paulo est l’ancien adversaire de Dilma Rousseff à la présidence.

Plus globalement, l’héritage de la dictature est toujours présent chez la police, ou plutôt les polices. Elles sont peu contrôlées et parfois corrompues.


Quelle peut être la suite du mouvement ?



Il est totalement imprévisible puisqu’il n’est pas encadré et a débuté avec un événement qui n’avait pas vocation à se développer. Tout dépendra de la réponse des autorités locales et fédérales sur l’augmentation du ticket de bus et l’amélioration du système de transports. Dilma Rousseff a indiqué qu’elle avait de la "sympathie" pour les manifestants. C’est plutôt positif et va dans le sens de l’apaisement. 


Quoi qu’il en soit, un an avant la Coupe du monde, ce n’est pas très bon pour l’image du Brésil.



Certes, ce genre d’événement est toujours mis en avant par la presse internationale. Ce fut le cas pour la France lors des émeutes dans les banlieues en 2005. Les touristes n’ont pas pour autant déserté le pays. Il n’y a aucune raison que cela soit le cas pour le Brésil. Dans l’optique de la Coupe du monde et des relations avec la Fifa, l’enjeu national que représente la compétition pour le Brésil peut quant à lui aider à ce que les politiques de tous bords évitent la démagogie et la récupération. Ils pourraient ainsi se mettre autour d’une table afin de trouver des solutions, notamment pour les transports publics.