Venezuela, über alles in der Welt? Questions-réponses sur une réalité controversée
La première explication le plus souvent avancée met «la» ou «le» politique en avant. Le Venezuela serait un cas à part. Cette caractéristique serait devenue évidente à partir de la victoire électorale d’Hugo Chávez en 1998. Le 1er janvier 1999, date de sa prise de fonction, aurait marqué en quelque sorte l’an I d’une ère nouvelle pour le Venezuela. Et l’agitation de ces dernières semaines, conséquence de sa mort le 5 mars 2013 ouvrant l’éventualité d’une nouvelle alternance-rupture, aurait ranimé la curiosité de la presse.
Seul l’examen des faits, ceux de la politique comme ceux de l’économie, peut permettre de débroussailler le maquis de ces années foisonnantes et bruyantes.
D’entrée de jeu un constat, souvent oublié, doit être pris en compte. Les conflits, nombreux, entre Vénézuéliens, ont été arbitrés jusqu’à d’aujourd’hui par voie électorale. Il a pu y avoir des contestations parfois virulentes, des tentatives de détournement des suffrages populaires, mais au final le constat est celui-là. Hugo Chávez est arrivé au pouvoir par l’élection en décembre 1998. Il a été réélu en 2000, 2006, 2012. Il a été soumis en 2004 à un référendum révocatoire par son opposition. Il a perdu un référendum constitutionnel en 2007. Le 14 avril 2013 au terme d’une campagne disputée, certes entachée de violences et de disputes, le successeur d’Hugo Chávez, Nicolas Maduro, a bel et bien été désigné par les bulletins de vote émis par les Vénézuéliens.
En clair, il y a bien au Venezuela deux camps face à face. Celui conduit jusqu’au 5 mars dernier par Hugo Chávez et depuis cette date par Nicolas Maduro et le Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV). Et celui d’une opposition, regroupé dans une plate-forme unitaire: la MUD (Mesa de la Unidad Democrática), dirigée par Henrique Capriles. Ces deux blocs aux frontières mouvantes ont bataillé sans discontinuer depuis 14 ans. Le côté Chávez-Maduro se présente comme socialiste et bolivarien. Il cultive une relation particulière avec le régime cubain. Henrique Capriles se déclare lui aussi bolivarien, mais anti-cubain, et ami des pays occidentaux. Ces deux groupes, tout au long de ces années, ont échangé sur la place publique des horions et des noms d’oiseaux, plus que des arguments. L’illégitimité démocratique des uns, les chavistes, serait la conséquence de leur affiliation communiste et cubaine. Celle des autres, amis de Capriles, serait la conséquence de leurs amitiés avec les pays impérialistes qui en feraient des fascistes.
Le gouvernement et ses partisans, bien qu’acceptant de se remettre électoralement en question, frisent souvent la ligne rouge de la démocratie. Les moyens de l’Etat sont massivement mobilisés en faveur du PSUV, le parti officiel. Le président bénéficie de l’antenne libre sur toutes les chaines de télévision quand il le juge utile. Les responsables du gouvernement et du PSUV menacent verbalement et parfois physiquement l’opposition jusque dans l’enceinte du parlement. L’opposition est-elle fasciste? Il y a dans un certain nombre de secteurs d’opposition le sentiment que ceux qui sont au pouvoir, les chavistes, ne sont pas à leur place. Le 12 avril 2002, ils ont tenté de renverser par les armes Hugo Chávez. Quelques mois plus tard, ils ont essayé d’étrangler le régime en paralysant la société pétrolière PDVSA. Ils ont refusé de participer aux législatives de 2005, et présenté ensuite la chambre élue, monocolore, comme la preuve de la collectivisation du pays. Le 15 avril 2013, au lendemain de la dernière présidentielle, ils ont attaqué des locaux chavistes, provoquant la mort d’une dizaine de personnes. Pour autant, toute l’opposition n’est pas sur cette longueur d’onde. Les partis Action Démocratique, Copei (la démocratie chrétienne), l’épiscopat ont tenté de modérer Henrique Capriles au lendemain du 15 avril 2013. L’opposition, dans sa majorité, penche pour le respect des règles constitutionnelles. En d’autres termes, la démocratie vénézuélienne est une démocratie fluctuante, respectée comme bousculée par tous.
Non, l’économie vénézuélienne n’a pas été étatisée. Le secteur privé est toujours là. Le bras de fer autour du contrôle de l’entreprise stratégique PDVSA (Pétroles du Venezuela, société anonyme) a certes brutalement divisé opposition et gouvernement en 2002-2003. Mais cette bataille a concerné une entreprise déjà nationalisée. PDVSA a en effet été étatisée par le parti Action démocratique, aujourd’hui dans l’opposition, en 1976. Sous Hugo Chávez, PDVSA a même passé des accords avec les majors pétrolières des Etats-Unis et d’Europe pour exploiter ses réserves de la ceinture de l’Orénoque. Quant à l’amitié avec Cuba, elle est en effet spectaculairement effusive. Mais Cuba est Cuba et le Venezuela autre chose. Les deux gouvernements ont signé des accords considérés comme mutuellement profitables. Le Venezuela échange son pétrole contre des médecins cubains, envoyés dans les quartiers difficiles. Ces praticiens ont permis la mise en place rapide de la Mission santé, impossible sans cet apport extérieur de professionnels cubains.
Troisième série d’interrogations : les biens des possédants ont-ils été nationalisés ? Les pauvres ont-ils bénéficié d’une priorité ?
Oui, les pauvres ont bénéficié d’une priorité à partir de 2003, après donc la prise de contrôle politique de PDVSA par le gouvernement. Et les riches n’ont pas été dépossédés de leurs biens. Il n’y a même pas eu de réforme fiscale correctrice. Ce sont les revenus du pétrole qui ont alimenté des fonds destinés à financer la politique sociale. Appelés Missions, ces programmes ont concerné la santé, l’alphabétisation, la scolarisation primaire et secondaire, l’université, le logement social. Particulièrement efficaces, ils ont permis d’assécher la pauvreté, sans pour autant réduire les inégalités. L’opposition, après en avoir contesté le bien fondé, avoir accusé les autorités d’acheter des voix, a fini par reconnaître leur utilité. Son chef actuel, Henrique Capriles, a pendant ses deux campagnes présidentielles, en 2012 et en 2013, proclamé d’un bout à l’autre du pays que, s’il était élu, ces programmes seraient mieux gérés, plus efficaces, mais en aucun cas remis en cause.
Plus ou moins. Cette présence particulière du Venezuela dans les médias internationaux reste peu compréhensible au vu des faits. L’âpreté des rivalités entre opposition et parti gouvernemental est un élément de réponse. Mais l’intensité de ces affrontements a quelque chose de déconcertant. Les propos tenus par les acteurs en conflit, ou d’ailleurs par leurs partisans et amis dans le monde, ont un côté excessif, déplacé et théâtral. Les fondamentaux de la société, après tout, n’ont pas été bouleversés par la gestion chaviste du pays. Le Venezuela était et est toujours un pays reconnaissant la légitimité de l’économie de marché et de la démocratie représentative. Mais ce sont peut-être les modalités prises par les affrontements entre Vénézuéliens, correspondant aux attentes et aux demandes de notre monde d’images et de mises en scène, qui les ont projetés sur les petites lucarnes de nos téléviseurs et de nos ordinateurs. Faute d’Histoire avec un grand «H», ce sont les faiseurs d’histoire qui occupent nos esprits et surtout celui de ceux qui alimentent notre quotidien visuel.