L’arrière-cour des USA
Après avoir tenté de trouver refuge en Chine puis en Russie, le whistleblower -?le lanceur d’alerte?- Edward Snowden compte désormais sur… l’Equateur. Ce petit pays risque gros?: 40% de ses exportations se font à destination des Etats-Unis. Pourtant, le chef de la diplomatie, Ricardo Patino, a d’emblée souligné que les décisions en matière internationale ne relevaient pas des «?intérêts propres?» mais reposaient sur «?des principes?». Parmi lesquels, le respect des droits de l’homme. Des propos exemplaires qui posent des questions de la place de l’Europe, berceau des droits de l’homme, dans le concert international. Entretien avec Jean-Jacques Kourliandsky, spécialiste de l’Amérique Latine à l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS).
Ces références aux droits de l’homme font partie d’une contestation globale, d’un refus d’une pratique de type impériale, développés par Rafael Correa depuis son arrivée à la présidence de l’Equateur en 2007. Mais c’est un personnage peu connu en dehors de l’Amérique Latine, longtemps masqué par la personnalité d’un autre président, Hugo Chavez, très médiatique et à la tête d’un pays gros producteur de pétrole. La disparition de Chavez a laissé un vide et l’intérêt s’est déplacé sur Correa.
Sa position sur Snowden est cohérente avec la politique menée jusque là. A son arrivée, il a refusé de renouveler un bail autorisant une présence militaire américaine sur son territoire. Cette opposition n’est pas particulièrement dirigée contre les USA, puisqu’il dénonce aussi un contrat avec le Brésil et qu’il vient de faire la même chose avec la Chine. Il est aussi intervenu face à des ONG environnementales occidentales lui demandant d’interrompre l’exploitation du pétrole dans une zone à protéger. Se présentant comme comptable des revenus des Equatoriens, il a demandé à ces ONG et aux pays du nord de l’aider à financer le manque à gagner provoqué par cette interruption.
Sa logique est de rompre avec des relations diplomatiques reposant sur la taille des pays pour aller vers une gestion plus équilibrée. Dans ce contexte, ce n’est pas lui qui est allé chercher hier Julian Assange [fondateur du site Wikileaks, vit à l’ambassade de Quito à Londres depuis juin 2012] et aujourd’hui Edward Snowden.
Ce traité était déjà mal en point. Il portait sur une préférence douanière accordé aux pays andins ayant une paysannerie productrice de coca. Or, Colombie et Pérou ont signé des accords bilatéraux plus avantageux. Avant Snowden, Correa avait déjà dit que si les États-Unis exerçait une pression relativement à cet accord, il chercherait d’autres partenariats, notamment du côté de l’Union européenne. Manifestement, il est allé plus loin. Mais les valeurs auxquelles il se réfère sont d’être globalement maître chez soi, de refuser les pressions extérieures. C’est dans cette optique que l’Équateur conteste les interventions occidentales en Libye, en Syrie…
Le constat est celui d’une sorte de repli de l’Europe par rapport à la crise avec des réponses qui conduisent à l’abandon de la défense d’un modèle particulier. En Amérique du Sud s’affiche, et c’est nouveau, un discours différent, respectant les règles d’un fonctionnement démocratique et, dans la plupart des cas, de l’économie de marché telle qu’elle a pu exister en France après-guerre?: avec un rôle moteur de l’État, notamment dans le domaine de l’énergie. Or, malgré ces évolutions, on se rend compte que les États-Unis n’entendent pas partager.
Je pense que les problèmes qui se posent ne sont pas de compatibilité de valeurs mais pratiques?: comment assurer le transfert de Russie, analyser les retombées et les sanctions possibles et comment y répondre… On l’a vu avec Assange?: les Britanniques avaient menacé de prendre d’assaut l’ambassade équatorienne, jusqu’à ce qu’ils constatent que l’Équateur n’était pas un petit pays isolé, qu’il avait le soutien de toute l’Amérique du Sud, y compris de pays alliés des États-Unis comme la Colombie. Tout cela montre cependant que l’on n’est plus dans la logique dominant jusqu’à la Guerre froide où les États-Unis auraient pu exercer une pression très directe et de nature militaire.
Les affaires d’espionnage ne sont pas nouvelles. Ce qui l’est, en revanche, c’est qu’elles sont ici rendues publiques de manière spectaculaire. Cela peut donc peser sur les relations des Etats-Unis avec les pays espionnés, notamment de la part de ceux qui n’étaient pas enthousiasmés par le projet de traité transatlantique. En France, beaucoup de personnes demandent ainsi la suspension des accords, mais en Allemagne aussi Angela Merkel n’était pas très ouverte à la poursuite des négociations.