«Rien ne dit que le rapport des Russes sur le gaz sarin des rebelles serait faux»
Il n’y a pas de raison, a priori, de mettre en doute ce rapport plus que les rapports qui ont été fournis par la France et par les Etats-Unis précédemment.
Nous sommes dans une situation où, évidemment, il faut prendre ce type d’informations avec précaution. Mais de mon point de vue, il n’y a aucune raison, a priori, de mettre en doute le document d’environ 80 pages qui a été remis au secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon par la Russie.
C’est crédible mais ça demande bien évidemment à être prouvé. Nous sommes dans une situation militaire où les insurgés n’arrivent pas à reprendre l’offensive pour une série de raisons. Nous sommes dans une situation politique où les espoirs fondés dans la perspective de l’organisation d’une conférence dite « Genève 2 » ne se sont pas encore, à ce jour, concrétisés.
Donc, nous sommes dans une période de profonde instabilité, où chacun des camps en présence use de ce que l’on appelle la guerre psychologique. Alors bien sûr, il faut prendre ces informations avec précaution. Mais encore une fois, je ne vois pas pourquoi, a priori, le rapport fourni par les Russes serait faux, serait truffé de mensonges. Il faut prendre le temps de les analyser.
Pour l’instant, les Nations unies n’ont pas eu le temps de le faire. Ils veulent prendre leur temps, ce que je considère légitime. Le document doit aussi être transmis aux Français notamment, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Ces trois pays pourront examiner en détail la teneur du rapport fourni par les autorités russes.
Là encore, je reste prudent, mais à mon avis, la principale hypothèse, c’est qu’au cours des combats – et notamment au cours de l’automne dernier -, alors qu’on constatait une avancée de l’offensive des rebelles sur un certain nombre de fronts locaux, ces deniers ont parfaitement pu avoir accès à des installations de fabrication de produits chimiques, et notamment de gaz sarin. Ils ont pu s’en emparer. C’est probablement l’explication la plus plausible, si elle est confirmée encore une fois.
Pour des raisons strictement politiques. Le président Obama avait effectivement évoqué une ligne rouge à ne pas franchir. Il avait dit que dans l’hypothèse – confirmée – où l’armée syrienne aurait utilisé des produits, des substances chimiques, voire bactériologiques, alors il aurait effectivement été concevable d’organiser une riposte armée, c’est-à-dire une intervention directe. Mais on comprend bien que sa parole a peut-être été plus rapide que sa pensée. Chacun comprend aujourd’hui que les Etats-Unis font tout pour éviter d’intervenir directement en Syrie d’un point de vue militaire.
Avec quelle légitimité le feraient-ils ? Nous savons très bien qu’au vu des rapports de force au sein du Conseil de sécurité de l’ONU – c’est l’éternel problème depuis le début de la crise syrienne –, s’il y avait soumission d’un vote dans la perspective d’une intervention militaire, dans la perspective de l’instauration d’une no fly zone au-dessus de la Syrie, il faudrait l’accord des cinq membres permanents du Conseil de sécurité.
Et nous savons fort bien, car ça s’est déjà produit à trois reprises, que ni les Russes ni les Chinois n’accepteront une telle perspective, un tel vote. Ils poseront leur veto. Donc, les Etats-Unis comme les autres membres du Conseil, et plus largement comme une partie de la communauté internationale, sont bloqués pour des raisons strictement politiques. En plus, une intervention militaire en Syrie est extrêmement compliquée d’un point de vue logistique. Mais l’essentiel, c’est le raisonnement politique.
Bien évidemment ! C’est probablement pourquoi les Russes recherchent la preuve d’une utilisation de gaz sarin par les rebelles. Ça leur permet de faire valoir un argument supplémentaire de leur volonté affirmée de trouver une solution politique. Depuis les débuts de la crise, les Russes ne cessent d’expliquer qu’il n’y aura pas de solution militaire. Sur ce point précis, je pense qu’ils ont parfaitement raison.
C’est pourquoi M. Lavrov, le ministre des Affaires étrangères russe, et son homologue états-unien M. Kerry, avaient lancé la perspective d’une conférence politique à Genève, il y a déjà près de deux mois. Malheureusement, celle-ci est extrêmement compliquée à mettre en œuvre, parce qu’il y a des oppositions diverses.
On sait qu’une partie des pays arabes n’y sont pas très favorables. Je pense particulièrement aux Saoudiens et au Qatar. Deuxièmement, on sait que l’opposition syrienne, le camp des rebelles, autrement dit la Coalition nationale syrienne, est profondément divisée. On l’a encore vu au cours de ces derniers jours, avec certes la nomination d’un nouveau président, mais la démission de son Premier ministre temporaire.
Tout cela prouve que les insurgés sont dans l’incapacité de s’unir politiquement, ce qui rend très compliquée la mise en œuvre d’une solution politique et diplomatique. Mais je pense qu’il faut inlassablement remettre ce projet sur la table, parce que chacun comprend qu’il n’y aura pas de solution militaire. Il faut concentrer toutes ces énergies diplomatiques pour qu’enfin, Genève 2 puisse se réunir et puisse commencer à débloquer une situation.