Egypte. «L’énorme onde de choc des printemps arabes»
Didier Billion, directeur-adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), spécialiste du Moyen-Orient. J’entends parler de guerre civile, mais je ne crois pas que nous sommes déjà dans cette séquence, même si, en effet, il y a déjà trop de morts dans les manifestations. Mais au-delà, les Frères musulmans sont plutôt dans une logique de conservatisme d’appareil. Il faut voir d’où ils viennent, ils ont été dans la clandestinité pendant des décennies. Depuis deux ans, tout a changé pour eux : ils ont constitué leur parti – qui est d’ailleurs probablement celui qui est le mieux organisé en Égypte -, ont gagné d’importantes élections. Je ne pense pas qu’ils aient envie de dilapider aussi facilement leurs acquis. Par ailleurs, on n’est pas à l’abri de dérapages dans la situation de crise révolutionnaire que traverse le pays dont l’économie est au plus mal. Tous les indicateurs macroéconomiques sont dans le rouge ; la vie quotidienne des Égyptiens s’est dramatiquement dégradée depuis deux ans et demi. L’incapacité de l’institution militaire à organiser la transition après l’ère Moubarak, la gestion calamiteuse des affaires égyptiennes par les Frères musulmans, le tourisme est à terre, toutes ces raisons sont évidemment à l’origine de cette révolution.
Depuis deux ans et demi, on assiste à une onde de choc extraordinairement profonde dans tout le monde arabe. Où rien n’est linéaire, mais tout évolue différemment et très vite. Ce que vit l’Égypte aujourd’hui, ça ne va pas s’arrêter dans quelques mois. Il y aura des pauses, le conflit reprendra ses droits, puis de nouvelles pauses. Il faudra probablement attendre plusieurs années pour voir une réelle sortie de crise. La déclinaison de cette crise en Égypte n’est pas simplement une situation réductible à ce qui se passe en Tunisie, en Turquie, en Syrie, en Libye… Car le coup d’État militaire que l’on vient d’observer est la représentation d’une régression de l’idée de démocratie.
Je ne crois pas les Frères musulmans jusqu’au-boutistes. Dans ces deux pays, les rapports entre l’armée et la société sont assez différents et c’est aussi le cas sur l’aspect confessionnel. En Égypte, les Coptes (chrétiens) semblent du côté de l’armée. C’est un paradoxe parmi d’autres, mais les Frères musulmans, de leur côté, se sont toujours montrés garants de la sécurité des Coptes.