ANALYSES

Pakistan-Égypte, Musharraf-Moubarak : le même sort?

Presse
23 août 2013

Après cinq ans de controverse sur l’assassinat de l’ancienne première ministre et dirigeante du Parti du Peuple du Pakistan (PPP), Benazir Bhutto, un tribunal anti-terroriste de Rawalpindi, ville voisine de la capitale Islamabad, là où Benazir Bhutto a été assassinée le 27 décembre 2007 au cours d’un meeting électorale, a accuséle général Parves Musharraf, l’ex-président et l’ex-chef d’état-major de l’armée, de meurtre, de complot criminel pour meurtre et d’avoir facilité l’assassinat de Benazir Bhutto.


En attendant, un procès probablement très long pour connaître son sort, il a été placé en résidence surveillée. C’est le premier épisode important de cet assassinat politique resté mystérieuse jusqu’à l’inculpation du général Musharraf. Dès le lendemain de l’assassinat de la pasionaria de la démocratie, tous les yeux tournaient vers son ennemi juré, le général Musharraf. Le PPP l’a accusé officiellement, mais lui a attribué cet acte criminel aux Talibans pakistanais (TTP), notamment son chef, assassiné plus tard par des drones américains, Baitullah Mehsud, qui avait nié son implication dans cet attentat. À la demande du gouvernement pakistanais, une Commission spéciale de l’ONU, après six mois d’enquête a conclut, en 2010, que l’assassinat de Mme Bhutto "aurait pu être prévenu" si des mesures appropriées avaient été prises. La commission d’enquête de l’ONU ajute: le gouvernement pakistanais "pleinement informé des sérieuses menaces" n’a pas été "très actif pour les neutraliser ou garantir la sécurité proportionnée pour ce type de menace". On peut conclure que la responsabilité de l’assassinat de Benazir Bhutto revient au général Musharraf au moins par négligeance.


Dans l’histoire mouvementée du Pakistan, dès sa naissance, à la suite de la partition de l’Inde britannique en 1947, ce pays a été gouverné davantage par les militaires que par les civiles. Le père de Benazir Bhutto, le premier ministre progressiste Zulfekar Ali Bhutto, a été pendu par les militaires, à la suite d’un coup d’Etat, le 4 avril 1979. La seule fois qu’un gouvernement civil ait pu aller jusqu’à la fin de son mandat, est le gouvernement sortant dirigé par le PPP, dont l’époux de Benazir Bhutto, Asif Ali Zardi, a dirigé après la mort de son épouse le parti et élu par la suite président de la République.


Le fait que le Pakistan se trouvait l’alliée des États-Unis dans "la guerre contre le terrorisme" et que la retombée de la guerre en Afghanistan a contribué à l’émergence d’un mouvement des Talibans pakistanais (TTP) de type terroriste qui a fait de la déstabilisation du Pakistan, considéré comme "soumis à l’Amérique" leur objectif principal, ont contribué à une certaine "paix armée" entre l’armée et le gouvernement civil. C’est sous la pression des États-Unis et un rôle actif de Hillary Clinton en faveur de Benazir Bhutto, allant jusqu’à mettre en balance leur aide militaire et économique au Pakistan que le général Musharraf, alors président du Pakistan, a dû accepter le retour de Benazir Bhutto de l’exil pour participer aux élections générales. Une vision politique libérale et même socialiste du PPP (Zardari est également l’un des vice-présidents de l’Internationale socialiste) n’était pas étrangère à la décision américaine.


Si pour la première fois un gouvernement civil a pu terminer son mandat sans être déposé par les militaires, est une exception au Pakistan. Face à la faiblesse des partis politiques, l’armée est une institution solide, puissante sans l’avis de la quelle rien n’est décidé au Pakistan. Les questions stratégiques telle que la guerre en Afghanistan, le conflit au Cachemire, les relations avec l’Inde, les États-Unis ou la Chine sont quasiment le domaine réservé de l’armée. On peut facilement comparer le rôle de l’armée pakistanaise à celle de l’armée égyptienne dans la vie politique et économique du pays. C’est un hasard de voir que deux jours après l’accusation de meurtre contre le général Musharraf, Hosni Moubarak a été libéré.


C’est qu’il ne faut pas oublier c’est que le pouvoir judiciaire au Pakistan bénéficie d’une grande indépendance. Héritier des cours britanniques, les juges et les avocats pakistanais ont une réputation de compétence et d’intégrité dans la région. À maintes reprises on a assisté au conflit entre la justice et l’armée ou le gouvernement. En 2007, le général Pervez Musharraf a souhaité s’octroyer des pouvoirs supplémentaires. Devant le refus de la Cour suprême, le général Musharraf a limogé le juge en chef de la Cour suprême, Iftikhar Muhammad Chaudhry, en 2007, suscitant un grand mouvement de protestation des juges et des avocats qui ont affaibli Musharraf. Le juge Chaudhry a été réintégré dans ses fonctions deux ans plus tard par le gouvernement civil. Depuis, il s’est retiré de ce dossier dans le but de garantir "l’impartialité" des procédures visant son ennemi de longue date. Mais, encore une fois la Cour a montré son indépendance.


Le général Musharraf a un autre adversaire de taille. Il s’agit de l’actuel premier ministre Nawaz Charif. C’est à la suite d’un coup d’État militaire contre le gouvernement civile dirigé par Nawaz Sharif, en 1999 que le général a pris le pouvoir et contraint le premier ministre à un long exil en Arabie saoudite. Aujourd’hui, le nouveau Premier ministre demande que l’ex-président soit également jugé pour sa responsabilité dans ce coup d’État. D’autres charges pèsent également contre Musharraf, comme l’assassinat, en 2006, dans une opération militaire, d’Akbar Bugti, un chef rebelle de la province du Baloutchistan, sud-ouest. Le Pakistan est un État fédéral et au-delà de la province de l’ouest pachtoune et les zones tribales, le repère des talibans pakistanais, le Baloutchistan, dans le sud-ouest connaît également des mouvements de contestations parfois à caractère séparatiste.


Dans cette situation complexe où pour la première fois dans l’Histoire du Pakistan, un ancien chef d’état-major est inculpé dans l’exercice de sa fonction à la tête du pouvoir militaire, pour l’assassinat des opposants. Tous les regards tournent aujourd’hui vers l’armée et son homme fort le général Ashfaq Kayani (il a été l’aide du camp de Musharraf à la présidence). Ce n’est pas le sort personnel de Musharraf qui préoccupe l’armée mais son image et son pouvoir. La condamnation d’un ex-chef d’état-major portera un coup dur à la puissance sans rivale de l’armée. Le temps est-il arrivé pour que l’armée respecte réellement un pouvoir civil et la primauté du pouvoir politique et judicaire sur l’armée? Rien n’est sûr.

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