Cumul des mandats: la représentation politique en question
L’Assemblée nationale débat à nouveau de l’interdiction de cumuler un mandat de parlementaire (député, sénateur, eurodéputé) et une fonction exécutive locale (maire ou adjoint, président ou vice-président d’intercommunalité, de département ou de région…). Or, au-delà de la fixation de ces nouvelles incompatibilités, c’est le sens de la représentation politique qui est aujourd’hui en question. Un enjeu auquel les deux textes en discussion ne répondent que partiellement.
Le débat sur le cumul des mandats intervient alors que notre démocratie traverse une véritable crise existentielle. Les gouvernants font face à une défiance généralisée nourrie par un procès en incompétence, en impuissance, en immoralité et en illégitimité (ou du moins en "non-représentativité").
Inaudibles, les gouvernants sont confrontés à des citoyens ayant eux-mêmes le sentiment de n’être ni entendus ni compris. Un simple remaniement ministériel ou même une dissolution de l’Assemblée nationale ne saurait mettre fin à ce dialogue de sourds. La résorption de la fracture entre gouvernants et gouvernés suppose de s’attaquer en profondeur aux déficits de représentativité politique et sociologique de la représentation nationale.
Dans cette perspective, la réforme du mode de scrutin aux élections législatives est impérative. Si le scrutin majoritaire est efficace en ce sens qu’il garantit la stabilité gouvernementale, il aboutit aussi à une représentation politique déformée au sein de l’Assemblée nationale. La "Commission Jospin" a proposé que 10% des députés (58 sur 577) soient élus à la proportionnelle.
Cette solution est en deçà de celle du candidat François Hollande, qui avait indiqué durant la campagne présidentielle qu’"environ 15%" des sièges (soit près d’une centaine de députés) devaient être réservé à des députés élus à la proportionnelle. Afin d’insuffler une réelle respiration démocratique, renforcer la qualité du pluralisme politique et renouveler le personnel politique, un volontarisme plus prononcé doit s’affirmer sur ce point crucial. Les effets du scrutin majoritaire uninominal devraient ainsi être tempérés par l’institution d’une réserve de 20% des sièges (soit 115 députés) destinés aux partis minoritaires ayant réuni au premier tour un nombre total de voix supérieur au seuil de 5%.
Le cumul des mandats en nombre et dans le temps est une pratique, un fléau bien ancré dans la culture politique française. Sous l’actuelle législature, près de 60% des députés et des sénateurs détiennent également une fonction exécutive locale. Salutaires, les projets de loi (organique et ordinaire) en discussion devraient faciliter l’accès aux fonctions parlementaires et exécutives locales, en particulier pour les femmes grâce au principe de parité.
Toutefois, observant le même silence que la "Commission Jospin" à ce sujet, le gouvernement ne préconise ni encadrement ni restriction du cumul des mandats dans le temps. Or il s’agit d’une condition sine qua non pour diversifier le profil social des parlementaires.
Les progrès formels de l’égalité politique (extension continue de la reconnaissance du droit de vote et d’éligibilité) contrastent avec la crise de représentativité réelle de la représentation nationale. À l’Assemblée nationale, avec près de 40% de nouveaux députés élus, les résultats des élections législatives de juin 2012 semblaient amorcer un renouvellement générationnel, prolongé par des progrès significatifs de la parité et l’entrée "en force" de la "diversité" au Palais Bourbon.
En réalité, la morphologie du corps législatif demeure en décalage avec le corps social. La prééminence de l’homme blanc âgé et issu des classes sociales supérieures a pour pendant la sous-représentation des jeunes, des femmes, des "minorités visibles" et de nombreuses catégories socioprofessionnelles. Cette assemblée confirme le primat du critère social sur tout autre (la jeunesse, le sexe, les origines "ethniques") dans la sélection des élites élues. Ainsi, si la compétition électorale est ouverte à tout citoyen (sauf cas d’inéligibilité), l’accès aux fonctions électives nationales est fermé de fait à une part substantielle de la communauté nationale pourtant susceptible de relayer certaines réalités ou expériences au moment de l’élaboration des politiques publiques.
Les partis politiques ont une lourde responsabilité dans le phénomène de (non) distribution sociale des mandats politiques. Pis, la persistance de critères archaïques d’accès à la représentation politique, comme l’hérédité, jette le doute sur la capacité du système démocratique à se démocratiser.
L’hérédité joue encore un rôle dans l’accès à un premier mandat électif, comme si les milieux politiques contrôlaient leur propre recrutement. Si le cas de la petite-fille Le Pen est caricatural (élue députée après avoir été investie par un parti dirigé par sa tante et fondé par son grand-père), il est significatif sans être isolé.
Rappelons que Nathalie Kosciusko-Morizet, députée et candidate UMP pour la Mairie de Paris, appartient à une longue lignée d’"élites élues": un père maire de Sèvres et conseiller général des Hauts-de-Seine, un grand-père maire de Saint-Nom-la-Bretèche (Yvelines) de 1977 à 1994, un arrière-grand-père sénateur de la Seine de 1927 à 1942 et maire de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).
La tonalité parfois populiste du discours condamnant une "endogamie endémique", un entre-soi à la française, ne saurait masquer la prégnance du phénomène d’auto-reproduction politico-sociale.
Le début du quinquennat de François Hollande a été marqué par deux gestes contradictoires: si pour la première fois dans l’histoire politique française, le gouvernement a été formé selon le principe de parité homme/femme, derrière cette vitrine égalitaire, un réflexe conservateur s’est exprimé au moment crucial du recrutement des cabinets présidentiel et ministériels – cœurs névralgiques de l’appareil d’Etat et forces motrices du pouvoir exécutif – où les mécanismes d’auto-reproduction sociale, de solidarité de corps et de réseaux ont prévalu. Une énième manifestation des dérives de la "méritocratie" à la française, en somme.