ANALYSES

Face à la Chine, le Japon fourbit ses armes

Presse
28 novembre 2013

Pris dans ce conflit larvé, Tokyo a fait fortement évoluer sa stratégie de défense et le déploiement de ses forces. Tour d’horizon des mesures mises en place par l’archipel.


Sur quoi porte le différend entre la Chine et le Japon ?



La Chine est engagée dans de nombreux litiges territoriaux avec ses voisins, et le cas des Diaoyu-Senkaku est symptomatique : les forces chinoises et les gardes-côtes japonais se disputent la souveraineté de cinq îles inhabitées, et inhabitables, situées à 330 kilomètres des côtes chinoises et à 410 kilomètres de l’île japonaise d’Okinawa, mais disposant potentiellement de larges ressources halieutiques et en hydrocarbures.


La position géostratégique de ces îles en fait la clé du nord de la mer de Chine, ce qui permettrait de déployer en toute discrétion les sous-marins nucléaires chinois, de tenir à distance les marines américaine et japonaise et de déboucher plus discrètement dans l’océan Pacifique.


La crise découle de la volonté affichée du maire nationaliste de Tokyo, Shintaro Ishihara, d’acquérir trois de ces îles, alors propriétés privées, via une collecte publique afin d’y bâtir des infrastructures, voire un casino. Dans une volonté d’apaisement manquée et afin de maintenir le statu quo, l’Etat japonais préempte la zone, le 11 septembre 2012, ce qui provoque l’ire de Pékin.


Depuis, la Chine envoie régulièrement des pêcheurs escortés par des unités de gardes-côtes dans les eaux disputées, entraînant l’intervention de leurs homologues japonais. Elle envoie aussi, plus rarement, des avions, et même un drone le 9 septembre. Dernier épisode de ce conflit, Pékin a décrété, samedi 23 novembre, une « zone aérienne d’identification » (ZAI) dans l’espace aérien des îles Diaoyu-Senkaku au-dessus de la mer de Chine orientale. Pékin exige désormais que tout appareil s’aventurant dans cette zone fournisse au préalable son plan de vol précis, affiche clairement sa nationalité et maintienne des communications radio permettant de « répondre de façon rapide et appropriée aux requêtes d’identification » des autorités chinoises, sous peine d’intervention des forces armées.


Quelle est l’étendue des forces chinoises ?



Les forces de l’Armée populaire de libération (APL) sont importantes : missiles longue portée antinavires, avions de combat, dont certains, furtifs, sont en cours de développement, mais surtout une marine de guerre en pleine expansion.


Au 1er octobre 2012, selon la publication de référence Flottes de combat 2013, la marine de guerre comptait 225 000 hommes, et des navires au tonnage cumulé de 507 000 tonnes (contre 447 000 tonnes en 2008). Ces données sont d’ores et déjà certainement dépassées vu le rythme de production. Au cours des douze mois de l’année 2012, l’APL a mis en service un porte-avions, le Liaoning, 3 sous-marins, 5 frégates lance-missiles, 5 frégates d’escorte, 7 corvettes, une vingtaine de patrouilleurs lance-missiles, 4 dragueurs océaniques, 2 transporteurs de chalands de débarquement, 2 pétroliers ravitailleurs et 2 bâtiments d’expérimentation. La Chine prend la tête de la construction militaire mondiale devant les Etats-Unis.


Comment réagit l’armée japonaise ?



Elle a tout d’abord fait évoluer sa doctrine de défense : depuis trois ans, les « National Defense Program Guidelines » (NDPG ou « Lignes directrices du programme de défense nationale ») placent au premier plan la menace chinoise et la composante navale de celle-ci, suivie de la menace balistique nord-coréenne. La posture de la défense japonaise change. Des troupes et matériels japonais sont redéployés du nord vers le sud-ouest de l’archipel pour protéger les zones revendiquées par Pékin. Ainsi, le nombre de chars de combat est réduit au profit de matériels plus mobiles. Celui des sous-marins progresse. L’arrivée au pouvoir au Japon, fin 2012, des conservateurs dirigés par Shinzo Abe, accélère encore ces évolutions.


Comment évoluent les budgets militaires du Japon et de la Chine ?



Ils sont en forte hausse : le ministère de la défense japonais a réclamé le 30 août dernier une hausse de ses dépenses à quelque 4 890 milliards de yens (soit 49,9 milliards de dollars ou 37 milliards d’euros) pour l’exercice d’avril 2014 à mars 2015, soit une progression de 2,9 % par rapport au budget initial de l’année en cours. «  La hausse est la plus forte depuis l’année budgétaire 1992-1993, quand les dépenses du ministère avaient progressé de 3,8 %. Le budget de la défense a baissé pendant dix ans consécutifs jusqu’à l’année budgétaire 2012  », remarque le think tank Jane’s.


Alors que le budget des forces d’autodéfense japonaises (FAD, nom officiel de l’armée japonaise qui, depuis 1945, est une armée strictement défensive, comme le prévoit sa Constitution) a baissé entre 2003 et 2012, celui de la Chine a progressé de… 175 % ! Et ce budget (166 milliards de dollars en 2012) est plus de trois fois supérieur à celui du Japon. La hausse du budget japonais reste modeste au regard de celle du budget militaire chinois : 10,7 % en 2012-2013.


Quelles sont les forces dont dispose la marine japonaise ?



Les submersibles japonais affichent des performances techniques bien supérieures à celles des sous-marins chinois. Afin de contrecarrer le développement de la composante sous-marine de l’APL, le nombre de 18 sous-marins dont dispose la marine de Tokyo sera porté à 22, puis à 25, au cours des prochaines années. Mais la marine japonaise, l’une des plus grandes et performantes du monde, possède aussi des navires de surface impressionnants.


Les deux « destroyers porte-hélicoptères » de la classe Hyuga (du nom d’un croiseur converti en porte-aéronefs par la marine impériale japonaise pendant la seconde guerre mondiale) sont des acteurs-clés de la lutte antisousmarine japonaise. Ces deux navires demeurent (jusqu’à l’arrivée des porte-hélicoptères 22DDH) les deux plus grands navires japonais mis en service depuis la fin du conflit mondial. Deux 22DDH doivent, selon Flottes de combat 2013, entrer en service en mars 2015 et en mars 2017. Ces vaisseaux, sensiblement plus gros (19 500 tonnes et 248 mètres de long – le porte-avions français mesurant à titre de comparaison 261 mètres), ressembleront à de petits porte-avions. Ils pourront emporter jusqu’à 14 hélicoptères SH-60 (contre 4 sur les Hyuga).


Ces porte-hélicoptères permettront au Japon de renouer avec les opérations aéronavales, améliorant sensiblement les capacités de lutte contre les sous-marins chinois et permettant une projection de forces plus importante en cas d’invasion d’îles disputées. Le premier 22DDH, l’Izumo, a été lancé le 6 août 2013. L’emploi possible d’avions F35-B furtifs américains et à décollage vertical en ferait un petit porte-avions. Mais pour l’instant, le Japon n’a acheté que 42 F35-A à décollage classique.


Le Japon dispose aussi de trois porte-hélicoptères d’assaut de la classe Osumi (équivalent des BPC français, les fameux Mistral), longs de 178 mètres pour un déplacement de 8 900 tonnes, offrent chacun une capacité de projection de force de 10 chars, d’un escadron de 6 hélicoptères et de 2 LCAC, ou véhicules de débarquement à coussin d’air, qui filent à 40 nœuds). La construction d’un quatrième navire de la classe Osumi est prévue, mais il sera nettement plus grand (20 200 tonnes et 230 mètres de long). Cette montée en puissance a pour objectif de contrecarrer directement les ambitions maritimes chinoises.


La marine de guerre japonaise entend développer rapidement ses capacités amphibies et a effectué plusieurs exercices communs cette année avec les Américains qui ont une grande expertise en la matière avec leur corps de Marines (US Marines Corps).


Enfin, les garde-côtes japonais constituent une force paramilitaire puissante et très bien équipée. Cette flotte compte notamment de nombreux patrouilleurs hauturiers (de haute mer) modernes pouvant atteindre les 4 000 tonnes et des avisos porte-hélicoptères. Le budget alloué augmentera de 23 % cette année (32,5 milliards de yens, soit 260 millions d’euros).


Afin de protéger davantage les îles Diaoyu-Senkaku, Tokyo a enfin créé une unité spécifique qui comprendra 700 hommes et 12 navires et sera basée sur l’île d’Ishigaki, à 175 km au sud-est d’Uotsurijima, l’île principale des Senkaku.


Que représentent les forces terrestres et aériennes nippones ?



Pour défendre les territoires du sud-ouest, le Japon prévoit l’acquisition de différents types de missiles. Le ministère de la défense entend notamment acquérir des missiles terre-mer type 12 plus précis que les type 88 actuellement déployés permettant de menacer à plus grande distance l’approche de navires de guerre chinois. Il est aussi prévu de déployer une nouvelle unité d’observation maritime sur l’île de Yonaguni, à l’extrême-sud du Japon. En revanche, il n’est pas envisagé – pour le moment – de déployer des troupes dans les îles Diaoyu-Senkaku, ce qui accroîtrait encore les tensions, déjà vives, avec la Chine.


Sur le plan des forces aériennes, outre des drones d’observation d’ici à quelques années, Tokyo va déployer dans la base de Naha, sur l’île d’Okinawa (archipel des Ryukyu), des avions d’alerte aérienne Awacs qui étaient jusqu’à présents basés sur les autres îles de l’archipel. Ils permettront de mieux identifier les déplacements chinois à basse altitude.


Sur cette même base de Naha sont déjà  déployés des chasseurs américains, produits sous licence au Japon, F-15J/DJ. Tokyo a aussi prévu d’acheter 42 avions de combat furtifs américains F-35 – 4 devraient être acquis sur l’exercice fiscal 2014. On ne sait pas encore s’ils seront déployés dans le Sud-Ouest nippon.


Quel rôle jouent les Etats-Unis dans le plan de défense japonais ?



Le Japon est lié aux Etats-Unis par un traité bilatéral de sécurité signé en 1960, qui prévoit l’intervention des forces américaines en cas d’attaque contre l’archipel. Les Etats-Unis disposent par ailleurs de bases au Japon, et notamment sur l’île d’Okinawa. Près de 38 000 militaires américains, ainsi que 5 000 civils dépendant du Pentagone, sont déployés au Japon, dont la moitié à Okinawa. Lors d’une rencontre, le 3 octobre 2013 à Tokyo, entre le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, le secrétaire à la défense, Chuck Hagel, avec leurs homologues respectifs, Fumio Kishida et Itsunori Onodera, la révision de l’actuelle politique de coopération nippo-américaine en matière de défense a été actée. Washington et Tokyo renforceront notamment leur coopération en matière de lutte contre les cyberattaques. Les Etats-Unis déploieront ainsi des drones d’observation Global Hawk au Japon, une première, à partir du printemps 2014.


Le P-8, un avion très sophistiqué de reconnaissance aérienne sera aussi engagé pour la première fois dans l’archipel nippon pour aider les Etats-Unis et leurs alliés à mieux surveiller les activités maritimes dans le Pacifique.


Il est aussi prévu de redéployer 9 000 Marines de l’île d’Okinawa, sur celle, américaine, de Guam et dans les îles Mariannes, pour un coût de 8,6 milliards de dollars, dont 3,1 milliards seront pris en charge par le Japon. «Notre relation n’a jamais été plus forte et meilleure que maintenant », a déclaré le secrétaire d’Etat, John Kerry. « Nous continuons à nous adapter, cependant, pour faire face aux défis du XXIe siècle ». S’agissant des Diaoyu-Senkaku, M. Kerry a de nouveau appuyé la position japonaise : « Nous reconnaissons l’administration du Japon sur ces îles », a-t-il déclaré, un nouvel avertissement à l’intention de Pékin.

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