Boniface : «Le carnet de chèques ne suffit pas»
Pascal Boniface, directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et auteur de l’Atlas des crises et des conflits (avec Hubert Védrine, chez Armand Colin-Fayard), décrypte la réussite du Qatar et des Emirats arabes unis.
On pourrait croire que seul le carnet de chèques suffit mais ce n’est pas le cas. De la même façon qu’ils ont recours à une très importante main-d’œuvre étrangère pour faire tourner l’économie de leur pays, les dirigeants du Golfe recrutent sur le marché des élites à l’étranger des professionnels de très haut niveau pour travailler sur ces dossiers de candidature à l’organisation d’événements planétaires.
Les soupçons ou les critiques de corruption viennent généralement de pays qui n’ont pas été choisis par les comités sportifs ou qui n’ont pas remporté les appels d’offres. Des cas ont existé, comme à Salt Lake City pour les Jeux olympiques de 2002, mais le ménage a été fait depuis. Cela n’empêche pas d’être vigilant. Mais c’est vrai que la puissance financière des Émirats est considérée comme un atout : on sait qu’en les sélectionnant il y a davantage de chances de les voir tenir leurs obligations d’investissement sur dix ans, le temps qui est généralement donné pour se doter des infrastructures d’accueil de tels événements.
Ce sont des pays jeunes qui n’existaient pas il y a encore quarante ans. Abou Dhabi n’était qu’un petit village de pêcheurs de perle à l’origine. Leur développement vertigineux ne les a pas mis à l’abri des tensions dans cette région du monde. Ils ont eu, par exemple, très peur lors de l’invasion du Koweït par Saddam Hussein ou lors de la guerre en Irak en 2003. Si bien qu’en devenant un point d’attention pour le monde entier lors de tels événements, ils finissent par exister sur la carte bien au-delà de leur faible démographie ou de leur exiguïté territoriale.
Exactement. Organiser la Coupe du monde ou accueillir l’Exposition universelle leur permet de renforcer leur sentiment de fierté nationale et leur assure, en quelque sorte, une assurance-vie. C’est aussi une façon d’utiliser leur fortune pour devenir extrêmement lisibles. Depuis que le Qatar a racheté le PSG, il n’a jamais autant fait la une de magazines. Personne n’imagine d’ailleurs comment les Émirats pourraient dépenser leur argent autrement.
Le temps n’est plus où le CIO et d’autres avaient à choisir entre des puissances occidentales pour organiser des grands rendez-vous sportifs internationaux. La prise en compte du monde multipolaire existe désormais et la notion d’universalisme a fait son chemin. Pour le reste, c’est vrai que les Émirats sont des monarchies mais, à l’exception de Bahreïn où l’opposition chiite est réprimée par le régime, elles ne sont pas si mal notées par les organisations internationales des droits de l’homme.
C’est effectivement un paradoxe mais ils ont compris l’exemple du Japon, un pays à la fois ouvert au monde et très traditionaliste. À Abou Dhabi, on peut chasser le faucon dans le désert et accueillir le Louvre. En fait, les Émirats sont passés bien plus vite que nous à cette double identité faite de modernisme et de traditions. Au sein même des élites locales, certains reprochent d’ailleurs aux émirs d’aller trop loin dans leur ouverture sur le reste du monde.